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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB La justice dans ses murs

Cela a peut-être quelque chose à voir avec l’ensoleillement excessif, la chaleur et l’humidité, mais le fait est que le climat de notre région ne sied pas trop à Dame Justice. Qui, par trois fois cette semaine et en trois lieux différents, a donné à voir les tristes limites de sa vertu supposée. Saddam Hussein, un tyran particulièrement sanguinaire qui a à son actif un million de morts iraniens, koweïtiens et surtout irakiens ? Bien sûr. Doit-il répondre de ses crimes comme, avant lui, Milosevicz, Ceaucescu ou Noriega ? Cela va de soi. Et pourtant, tout tyran et tout criminel de guerre qu’il soit, l’ancien raïs a droit à un procès régulier : la justice le commande, mais l’intérêt public et la sagacité politique aussi. Et c’est sur tous ces terrains que le gouvernement provisoire d’Irak vient de prendre un bien mauvais départ. Quelle urgence y avait-il en effet à exhiber dès jeudi le fauve captif face à ses juges, alors que les nouveaux dirigeants de Bagdad ont tant d’autres chats – et des plus enragés – à fouetter ? L’Irak est encore un pays en guerre, même si celle-ci a changé de forme ; et tout en œuvrant à éradiquer une opposition armée recourant volontiers au terrorisme aveugle, les responsables doivent gagner à la force du poignet une légitimité qu’ils ne tirent pour l’heure, et en attendant les élections promises pour 2005, que de l’occupation américaine. Et c’est le même label made in USA qui poursuit inévitablement ce « tribunal spécial » appelé à juger un Saddam apparemment en pleine possession de ses redoutables moyens et qui aurait bien des choses à dire sur les complaisances ou complicités occidentales dont il a bénéficié dans le passé. Tellement spécial d’ailleurs est ce tribunal qu’il dénie à l’accusé le droit, pourtant élémentaire, basique, de se faire assister par des avocats. Justice sommaire et revancharde. Justice par procuration, même si Colin Powell peut angéliquement revendiquer, pour le dictateur déchu, la présomption d’innocence. Justice si maladroite finalement qu’elle en devient magistralement stupide : est-ce bien là en effet le modèle démocratique censé rayonner à partir de Bagdad sur tout le Moyen-Orient ? * Plus sophistiquée, plus chargée de nuances et de sous-entendus – ce qui ne la rend que plus pernicieuse, en définitive – est la justice qui vient d’Israël. On y a vu la Cour suprême faire suspendre la construction d’un segment du mur de séparation édifié en Cisjordanie : le tracé initial portait en effet un préjudice criant à des villages palestiniens de la région de Jérusalem, les coupant totalement de leurs champs d’oliviers et de leurs vignobles. Ce n’est évidemment pas dans un quelconque pays arabe – il ne faut pas rêver – qu’on risquerait de voir un tribunal adresser une injonction de ce genre au gouvernement et à la sacro-sainte armée, lesquels s’empresseraient d’obtempérer. Et tel est bien le message qu’il importait de lancer à partir de cette unique démocratie du Moyen-Orient que se targue d’être Israël. Car si la Cour suprême, saisie par les villageois palestiniens, a dénoncé l’abus, ce n’est pas (il ne faut pas rêver, une fois de plus) parce que celui-ci dépassait la mesure et l’entendement : c’est seulement parce que l’énormité de l’atteinte – et c’est dit en toutes lettres dans l’arrêt – n’était pas justifiée par un bénéfice comparable en termes de sécurité. C’est la relative gratuité de l’abus, non l’existence de l’abus, qui le rendait insupportable à ces bons juges : lesquels, d’ailleurs, se sont bien gardés de se prononcer sur le principe de cette révoltante barrière labourant, dépeçant le territoire d’autrui et qui, sur ses centaines de kilomètres de longueur, constitue le même défi aux lois internationales et aux droits des peuples. Aux antipodes des balourdises de Bagdad, suprême est en effet cette cour dans l’art subtil des relations publiques. * De subtilité point trop en revanche dans le cours chaotique, erratique, intermittent d’une justice libanaise capable des sommeils les plus prolongés comme des plus brusques réveils : la saison des ardeurs épuratrices survenant comme par hasard, soit en début de régime, ce qui permet de régler de vieux comptes, même au prix de quelques excès ; soit au contraire en fin de règne, car l’heure des bilans approche. Et avec elle, celle des manœuvres finales ayant trait à cette véritable obsession présidentielle qu’est devenue, dans cet État de non-droit, la reconduction. Entre aurore et crépuscule, rien que le vide, exception faite de l’arrestation l’an dernier d’un ancien ministre de l’Agriculture qui, dédaignant les classiques commissions, avait carrément emporté la caisse. Il peut paraître bien étrange, dès lors, que l’on continue de faire l’impasse sur le fracassant scandale des avionneurs de Cotonou – dont la cupidité et la criminelle négligence ont coûté des dizaines de vies humaines – pour se rabattre sans crier gare, avec l’inexplicable concours des renseignements militaires, sur la fraude aux dérivés pétroliers, laquelle n’a rien pourtant d’une affaire de défense nationale. Voilà bien en effet une magouille qui se poursuivait tranquillement depuis près de quinze ans, qui a parfumé de ses relents deux régimes successifs et dans laquelle se sont notoirement trouvés impliqués d’importants personnages. Non point évidemment qu’il eût fallu continuer de laisser faire ; mais si profonde désormais est la méfiance populaire qu’il faudra remonter haut, très haut, dans la liste des suspects pour convaincre l’opinion de l’irréprochable authenticité de cette singulière opération nettoyage. Car entre fuel pillé et fiel déversé à flots entre hauts responsables, on ne sait plus trop à quoi carbure la République.
Cela a peut-être quelque chose à voir avec l’ensoleillement excessif, la chaleur et l’humidité, mais le fait est que le climat de notre région ne sied pas trop à Dame Justice. Qui, par trois fois cette semaine et en trois lieux différents, a donné à voir les tristes limites de sa vertu supposée.
Saddam Hussein, un tyran particulièrement sanguinaire qui a à son actif un...