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Tribune Chafic Abboud, clair et lisible

À l’Alba, deux maîtres se partageaient la responsabilité de la formation des peintres : César Gémayel, inconditionnel défenseur de Renoir et Manetti, qui ne jurait que par Cézanne. Ils représentaient deux courants artistiques tellement opposés que toute discussion entre eux était devenue impossible et que le désarroi des élèves qui ne savaient plus à quel saint se vouer commençait à poser problème. Il y avait beaucoup de jeunes filles inscrites à l’atelier de peinture, et un jeune homme, Jean Khalifé, dont l’âme tourmentée lui faisait passer des heures devant son chevalet. Austère et taciturne et, bien que figuratif comme l’était tout le monde à l’époque, il avait cependant réussi à s’affirmer avec un style personnel qui, faut-il le préciser, n’était ni du goût de Gemayel ni de celui de Manetti. Au beau milieu de l’année, venant d’on ne sait où, débarque un autre jeune homme, avec une allure de séducteur. On murmurait son nom avec crainte et surtout admiration : Chafic Abboud. Tout naturellement, il s’était mis à peindre avec les autres élèves en atelier et, comme c’était devenu l’habitude, dans la nature les samedis. Au lieu de préparer des toiles montées sur châssis comme c’était la règle, il utilisait indifféremment des planches de contreplaqué, des cartons et même du papier retenu par des punaises. Pour faire le fond, il commençait par commettre « la faute grave » : avec un long pinceau plat et très étroit qu’il tenait par le bout du long manche, il frottait ses panneaux en utilisant... de la thérébentine. Puis avec le même pinceau il se mettait à triturer son dessin tantôt avec des virgules et des torsades, tantôt avec des aplats utilisant des teintes inhabituelles. À le voir travailler de cette façon on savait que le sujet placé devant lui n’était que prétexte pour échapper au réel. « C’est l’École de Paris, regarde et tais-toi » disait-on en se tenant à prudente distance derrière lui. La peinture figurative qui régnait alors prenait soudain un goût fade, et l’abstraction devenait un message clair et parfaitement lisible. Qu’importe au fond si Chafic à sa manière avait révolutionné l’art pictural au Liban. Pour ceux qui ne l’ont connu qu’un court laps de temps avant qu’il ne retourne à Paris faire sa vie et réaliser la plénitude de son art, c’est sa personnalité originale et son charisme qui sont restés gravés dans la mémoire. G. Sérof
À l’Alba, deux maîtres se partageaient la responsabilité de la formation des peintres : César Gémayel, inconditionnel défenseur de Renoir et Manetti, qui ne jurait que par Cézanne. Ils représentaient deux courants artistiques tellement opposés que toute discussion entre eux était devenue impossible et que le désarroi des élèves qui ne savaient plus à quel saint se vouer...