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Actualités - REPORTAGE

Va-et-vient désespérés au ministère de la Santé Les malades du sida à court de traitement depuis plus de six mois

Depuis plus de six mois, les personnes atteintes du virus VIH/sida sont à court de traitement. Et ce n’est pas la première fois que le ministère de la Santé, qui s’est engagé à prendre en charge ces malades, leur fait faux bond. Mais depuis quelque temps, la situation est devenue intolérable, les interruptions dans le traitement étant plus fréquentes. Il s’agit pourtant d’une maladie chronique nécessitant un traitement à long terme, au risque de développer une résistance aux médicaments. Les responsables au ministère de la Santé assurent que le médicament sera disponible dès cette semaine. Immunisés contre les promesses, mais non contre la maladie, les malades sont certains qu’ils revivront ce même épisode de leur vie plus tôt qu’ils ne le pensent. « Nous ne nous sentons pas en sécurité, avoue une jeune femme souffrant du sida. Dans notre groupe d’autosupport, nous achetons les médicaments et nous nous les partageons pour éviter l’interruption du traitement. Mais nous ne pouvons pas le faire d’une façon régulière, puisque nous manquons souvent d’argent. » Parce que le coût du traitement est assez élevé. Près de deux millions de livres libanaises par mois. « À l’heure actuelle, nous vivons avec la hantise d’assurer les remèdes, confie-t-elle. Certaines personnes séropositives ont même refusé de commencer leur trithérapie, craignant de se retrouver dans notre situation. Il s’agit là d’une décision qui les rapproche encore plus de la mort. » « Les responsables de la santé au Liban se vantent d’être pionniers dans le monde arabe dans le traitement de la maladie, poursuit la jeune femme. Très bien. Mais qu’ils assurent les médicaments ! Nous ne pouvons pas ne pas respecter les doses prescrites, ni les heures auxquelles nous devons les prendre, parce que nous développerons rapidement une résistance au traitement. Pour cette même cause, nous ne pouvons pas, non plus, arrêter un médicament et continuer à prendre les deux autres. Or, avec ces interruptions assez fréquentes, les responsables de la santé rendent notre situation encore plus grave. Sur le plan social, cela implique des absences répétées au travail. Sur le plan médical, nous sommes plus fragiles et sujets à des maladies opportunistes (pneumonie, méningite, diarrhée sévère...). Nous ne demandons pas à être traités comme en Angleterre où les personnes vivant avec le sida bénéficient de certains privilèges au même titre que celles handicapées (prix réduits dans certains restaurants, physiothérapie et examens gratuits, assistance à domicile…). Nous ne réclamons que notre droit au traitement et à une vie digne. » Mauvaise gestion et incompréhension du problème Cela est-il possible lorsque les responsables concernés ne semblent pas conscients de l’ampleur du problème ? Parce que le sida est une maladie chronique qui nécessite un traitement et un investissement structurel, administratif et financier à long terme. « On ne peut pas arrêter les traitements », insiste le Dr Jacques Mokhbat, spécialiste en maladies infectieuses, responsable de la division de bactériologie à l’hôpital Rizk et chef du département de médecine interne à la faculté de sciences médicales de l’Université libanaise. « Or, malheureusement, à cause de la mauvaise gestion, de l’incompréhension de la gravité du problème, de la mauvaise communication entre les différents ministères concernés, de la mauvaise planification budgétaire ou tout simplement par pure erreur humaine, nous souffrons continuellement de ruptures du stock et les malades sont plongés dans le désarroi », ajoute-t-il. Que se passe-t-il réellement sur le terrain ? « Les agences pharmaceutiques, qui ont signé un accord avec le gouvernement pour lui fournir les médicaments à des prix réduits, considèrent qu’il est le seul dépositaire, explique le spécialiste. Les médicaments n’existent plus donc sur le marché public au même prix offert au ministère. Le problème n’est pas propre aux sidéens. Il concerne tous les malades chroniques. » Et le Dr Mokhbat de noter : « Ayant constaté le progrès thérapeutique obtenu dans le traitement des personnes souffrant du sida, le ministère de la Santé s’est engagé, en 1997, à prendre en charge ces personnes, estimant qu’il s’agit d’une maladie chronique traitable, bien qu’incurable. Au bout d’un certain temps toutefois, et maintenant régulièrement chaque année, nous avons des pénuries de médicaments, bien que le ministère soit constamment informé du nombre des personnes atteintes du virus et de celui des malades potentiels. Or, le ministère n’achète jamais plus que la moitié des quantités requises. Ainsi, depuis 1997, nous manquons systématiquement d’un ou de deux médicaments. » « Nous avons réussi au bout de plusieurs mois de négociations, et grâce à l’intervention de l’Organisation mondiale de la santé, à signer un accord avec deux compagnies pharmaceutiques permettant au ministère de la Santé d’acheter les médicaments à un prix réduit, souligne le médecin. Malheureusement, le ministère accuse un retard dans les achats. J’ignore toujours la cause. » Acrobaties thérapeutiques Un deuxième problème auquel se trouvent confrontés les thérapeutes demeure le manque notoire concernant le choix des médicaments. « En 1996, le monde entier disposait de cinq ou six médicaments pour le traitement de la maladie, explique le Dr Mokhbat. Au Liban, nous avons décidé d’en acheter trois. Progressivement, nous avons réussi à inscrire au ministère deux autres remèdes. Mais cela ne nous offre pas des alternatives dans le traitement, dans le sens que si le virus devient résistant au premier choix thérapeutique ou si le malade ne le tolère pas, je ne peux pas opter pour un second choix. Il faut faire des acrobaties, qui nécessitent parfois l’acquisition des médicaments de l’étranger pour aider les malades qui ont développé une résistance. » Or, il existe actuellement dans le monde plus de vingt médicaments pour le traitement du sida. « Certains d’entre eux ont une toxicité nettement inférieure et sont plus faciles à prendre, permettant ainsi d’avoir une meilleure réponse au traitement, précise le Dr Mokhbat. Nous n’arrivons pas à inscrire ces médicaments auprès du ministère. » Pourquoi ? « Les sociétés pharmacologiques ne sont peut-être pas prêtes à inscrire des médicaments dans un marché qui n’est pas énorme, le nombre des personnes sous suivi médical au Liban ne dépassant pas les 250, estime-t-il. De plus, elles veulent inscrire leurs médicaments à des prix faramineux. Ainsi, ni le ministère ni les malades ne pourront les racheter. Sans oublier que nous continuons à payer des impôts sur les médicaments. De leur côté, l’agent distributeur et le pharmacien exigent leur pourcentage de gain. Le médicament est donc majoré de chiffres énormes chaque fois qu’il rentre sur le marché libanais. Il s’agit là d’une catastrophe supplémentaire, notamment pour des médicaments qui sont chers à la base. » Et pour remuer encore plus le couteau dans la plaie, « nous rencontrons d’énormes difficultés pour inscrire les génériques acceptés par l’Organisation mondiale de la santé, car nous manquons de systèmes sérieux pour le faire, au moment où d’autres génériques, d’une qualité moindre, sont inscrits en un tour de main ». 35 dollars au Soudan, 600 dollars au Liban Actuellement, même avec la réduction du prix de deux médicaments, ceux-ci n’arrivent pas à être importés, pour des raisons également floues. De plus, l’une des deux compagnies qui ont signé l’accord avec le ministère de la Santé vendra son produit à un prix réduit uniquement au ministère. Les malades qui sont couverts par la Caisse nationale de Sécurité sociale ne profiteront pas de ces réductions. « On dirait que les responsables du ministère ne réalisent pas que l’arrêt du traitement entraîne une reprise de la multiplication virale et un impact certain sur l’évolution de l’épidémie dans la société, signale le Dr Mokhbat. Ils ne réalisent pas qu’ils sont en train de démolir tout ce qui a été fait au cours de vingt années de recherches sur le sida dans le monde et au Liban. » « En 2001, les accords de Doha ont permis à certains pays de fabriquer ou d’acheter des génériques même si le produit original n’a pas perdu son brevet de fabrication, raconte le Dr Mokhbat. Les compagnies pharmaceutiques ont eu recours à des manipulations pour exercer des pressions sur les États de la Communauté européenne et sur les États-Unis pour les empêcher de le faire. Récemment, j’ai été au Soudan pour négocier le prix global du traitement pour le sida avec une compagnie qui fabrique des génériques. Nous avons pu obtenir le prix de 35 dollars par mois. Cette même compagnie est venue nous proposer au Liban le traitement à 600 dollars par mois ! C’est délirant. » Et le Dr Mokhbat de conclure : « La recherche et le développement de nouvelles molécules pour soigner le sida doivent certainement continuer. Mais il est essentiel, avant de s’engager dans le traitement de cette maladie, de placer une bonne infrastructure. L’engagement doit être pris au plus haut niveau de l’État pour lutter contre cette maladie qui menace notre jeunesse (selon un rapport de l’OMS, 25 % des personnes vivant avec le sida sont des hommes âgés de moins de 25 ans). Pour cela, il faut créer une structure de recherches, car celle-ci n’est pas exclusivement entreprise aux États-Unis et en Europe. Elle doit être faite au quotidien dans tous les pays, puisqu’il s’agit d’une maladie nouvelle au sujet de laquelle nous devons tout apprendre. » Nada MERHI
Depuis plus de six mois, les personnes atteintes du virus VIH/sida sont à court de traitement. Et ce n’est pas la première fois que le ministère de la Santé, qui s’est engagé à prendre en charge ces malades, leur fait faux bond. Mais depuis quelque temps, la situation est devenue intolérable, les interruptions dans le traitement étant plus fréquentes. Il s’agit pourtant...