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Actualités - CHRONOLOGIE

Cellulaire - Cardahi fait état de la découverte constante d’irrégularités Guerre des chiffres, guerre politique et guerre interparlementaire à la Chambre

L’argumentation développée par le chef du gouvernement, Rafic Hariri, pour répondre aux critiques acerbes de l’opposition parlementaire, durant la première séance d’interpellation sur le dossier de la téléphonie mobile, était un peu trop facile. Pour trois raisons principales : premièrement, M. Hariri a minimisé l’importance des graves accusations sur l’enchevêtrement des intérêts publics et privés, portées contre le gouvernement par les députés Boutros Harb, Nayla Moawad, Omar Karamé et Husseini Husseini, cosignataires de l’interpellation sur base de laquelle ils demandent que le gouvernement pose la question de confiance devant une Assemblée qui, soit dit en passant, ne manquera pas, très probablement, de la leur accorder aujourd’hui. Avec la dilapidation des fonds publics et la violation des lois reprochées au cabinet Hariri, ce point a été pourtant une des causes principales de la motion de censure souhaitée par les députés du Front national de réforme. Deuxièmement, le Premier ministre a situé les attaques contre sa gestion du dossier de la téléphonie mobile dans le cadre d’une campagne politique qui le vise, a-t-il dit, depuis des années – « Dans ce pays, il n’y a personne qui n’ait pas encore cogné sur Hariri ». Troisièmement, il a contre-attaqué en laissant entendre que les critiques de l’opposition tendent à décourager les investissements. Et s’il a tenté de défendre sa gestion du secteur du cellulaire, plus particulièrement la résiliation des contrats avec Cellis et LibanCell, en affirmant que « (son) seul but était de soustraire ce dossier au chantage politique », en réponse aux virulents propos de M. Harb, il reste que le député Nassib Lahoud a remis les pendules à l’heure en démontrant, loin des surenchères politiques derrière lesquelles M. Hariri a tenté de s’abriter, que le gouvernement ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour les nombreux dérapages et abus qui entachent la gestion du cellulaire. Guerre des chiffres, guerre politique, guerre de confiance, guerre intraparlementaire. Guerre tout court, place de l’Étoile, où le débat a mis en évidence, pour la énième fois, le dysfonctionnement d’un système politique au sein duquel l’intérêt privé l’emporte sur le public, où l’Exécutif comparaît divisé devant la Chambre à qui il doit rendre compte de sa gestion, où les mécanismes de contrôle sont paralysés, le Parlement n’étant pas en mesure de retirer la confiance qu’il a accordée au gouvernement, même s’il conteste sa politique. On sait que le président de la Chambre, Nabih Berry, a été un des premiers à exprimer des réserves, au début des années 90, sur le procédé suivi pour la privatisation du réseau GSM. Dans la guerre des chiffres, ce sont, comme on s’y attendait, le ministre des Finances Fouad Siniora, soutenu ouvertement par le chef du gouvernement, et celui des Télécommunications Jean-Louis Cardahi qui ont croisé le fer, avec cependant un avantage à ce dernier. Face aux assurances de M. Siniora sur les rentrées du Trésor provenant de l’exploitation du réseau GSM, le ministre des Télécommunications a adopté une position plus nuancée, à même de convaincre davantage les députés que les données assénées par son collègue sont comme une vérité absolue. M. Cardahi a affirmé ainsi qu’il n’est pas possible de trancher en ce qui concerne le montant des recettes provenant du secteur cellulaire, dans la mesure où son département n’en finit pas de relever des infractions commises par les deux opérateurs actuels, la dernière en date étant la découverte de 30 groupements de lignes non déclarées à l’État. Dans le premier round de la guerre autour du cellulaire, et bien qu’à un moment donné, le gouvernement soit apparu soudé, c’est le camp Hariri qui a donné l’impression d’être le plus faible, puisqu’il a tablé principalement sur des chiffres difficilement vérifiables dans l’état actuel des choses et qu’il n’a pas répondu à certaines questions posées par les signataires de l’interpellation, notamment au sujet des raisons pour lesquelles l’État avait ramené de 30 % à 20 % sa part des recettes du secteur de la téléphonie mobile pour les sixième, septième et huitième années de l’exploitation du réseau GSM, « ce qui a porté préjudice au Trésor ». Mais la guerre ne s’est pas limitée sous la coupole du Parlement aux deux clans opposés au sein du gouvernement, qui doivent en principe s’affronter de nouveau aujourd’hui par parlementaires interposés, les députés haririens ayant commencé à affûter leurs armes pour répondre ce matin au ministre des Télécommunications. Elle a pris une tournure interparlementaire avec la campagne menée par les quatre membres du Front de la réforme contre une Chambre qui, pour diverses raisons, n’assume pas sa mission de contrôleur de l’action de l’Exécutif, décriée pourtant par de nombreux parlementaires. Et si le président de la Chambre Nabih Berry a tenté tant bien que mal de prouver le contraire, il reste que l’issue du débat aujourd’hui doit leur donner raison, à moins bien sûr d’un défaut de quorum. Tilda ABOU RIZK La séance d’aujourd’hui s’annonce longue. Une trentaine de parlementaires doivent encore prendre la parole, alors qu’une grande partie de la réunion d’hier a été consacrée à la lecture des textes de l’interpellation et de la réponse du ministère des Télécommunications, ainsi qu’aux interventions des signataires de l’interpellation. D’emblée, M. Harb, qui s’exprime au nom du Front national de la réforme, met l’accent sur le contrôle de l’action du gouvernement. Le discours de M. Harb est plus politique que technique, s’articulant principalement autour des pratiques du pouvoir « qui vont à l’encontre de l’intérêt général ». Il accuse notamment l’Exécutif d’avoir « renoncé à sa mission principale de gérer les affaires publiques pour s’occuper des intérêts de certains de ses membres ou de leurs parents ou alliés ». Il pose ensuite une série de questions : « Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de ramener de 30 % à 20 % la part de l’État des recettes du secteur de la téléphonie mobile, pour les sixième, septième et huitième années de l’exploitation du réseau GSM ? Pourquoi a-t-il refusé, après la résiliation du contrat avec les deux opérateurs, de confier au ministère des Télécommunications la gestion du réseau GSM, et pourquoi a-t-il chargé les deux opérateurs d’assumer cette mission et de continuer de percevoir 80 % des recettes ? Pourquoi a-t-il résilié le contrat neuf mois seulement avant que l’État ne commence à percevoir 40 % des revenus des deux sociétés ? Lorsqu’on avait posé la question au Premier ministre, il avait répondu qu’il voulait éloigner tout soupçon de lui, du moment qu’un de ses proches faisait partie des actionnaires d’une des deux sociétés. Mais pourquoi donc a-t-il permis à cette même société, dont ce même proche a fini par acquérir la majorité des parts, de prendre part à l’adjudication ? » Selon M. Harb, le gouvernement a violé trois lois dans l’affaire du cellulaire : celles sur l’enrichissement illicite, sur les élections législatives et sur la privatisation, dans la mesure où les trois textes sanctionnent l’abus de pouvoir. La liste des griefs de l’orateur contre le gouvernement est longue. M. Harb appelle à la formation d’un front national qui jetterait les bases d’une réforme authentique avant d’appeler le Parlement à retirer la confiance qu’il a accordée au gouvernement et d’approuver une proposition de loi que le FNR compte élaborer et qui prévoit la levée du secret bancaire sur les comptes des présidents, des ministres et des députés. C’est ensuite au tour de M. Omar Karamé de prendre la parole. Les quatre membres du FNR s’étaient réparti les rôles entre eux. S’il se dit soucieux de maintenir de bons rapports avec le chef du gouvernement, il n’en demeure pas moins que M. Karamé adresse de virulentes critiques à son équipe, après avoir dénoncé « certains gouvernants qui foulent aux pieds les règles et les lois et n’hésitent pas ensuite à donner des leçons de morale sur le petit écran ou dans les colonnes de la presse ». Il rappelle qu’il avait en vain conseillé à M. Hariri de laisser le ministre des Télécommunications gérer le dossier de la téléphonie mobile et de n’intervenir que si des erreurs sont commises. Il s’en prend à son rival électoral, le ministre des Travaux publics, Néjib Mikati, « qui possède, en violation de quatre lois, 33 % des actions de Cellis ». Karamé : « L’arbitrage de l’opinion publique » Il relève que même les contrats avec les deux opérateurs, « que le chef du gouvernement avait désignés comme étant les meilleurs au monde, n’ont pas été correctement appliqués », avant d’affirmer qu’il ne se fait pas d’illusions sur l’issue du vote de confiance aujourd’hui : « Si le Parlement veut accorder de nouveau sa confiance au gouvernement, c’est son affaire. Qu’il en assume la responsabilité. Nous comptons sur l’arbitrage de l’opinion publique. » Piqué au vif, M. Berry juge regrettable qu’un des membres du FNR, M. Albert Mansour, ait affirmé dans une déclaration à la presse que le but de la réunion est de présenter une motion de censure contre la Chambre. À plusieurs reprises au cours de la séance, il revient sur ce point. M. Karamé reprend son discours en insistant sur les irrégularités commises par les opérateurs et rappelle que M. Samaha avait réclamé la levée du secret bancaire sur les comptes des ministres, « ce qui montre qu’il sent que quelque chose se passe et qu’il n’a rien à se reprocher ». « Il a quand même des antécédents », l’interrompt M. Antoine Haddad de façon tout à fait injustifiée, sinon pour des raisons de rivalités électorales dans le Metn. Le député provoque l’ire du ministre qui réagit au quart de tour : « C’est vous et votre frère qui avez des antécédents. » Mme Nayla Moawad lui succède à la tribune. Elle insiste sur la corruption, en rappelant, sans s’y attarder, les scandales qui secouent le pays, les atteintes portées aux institutions et à l’indépendance de la magistrature, le vol de milliards de dollars au détriment du peuple, l’aggravation de la dette publique. Elle fait état d’une immense déception parce que le Parlement et la justice n’ont pu demander des comptes à personne, « car certains responsables sont au-dessus des lois ». « Ce qui est encore plus grave, poursuit la députée de Zghorta, c’est que les gens savent parfaitement qu’au terme de cette réunion, un nombre très limité de députés n’accordera pas sa confiance au gouvernement, sans que personne ne bouge. » Estimant qu’« une partie des recettes de la corruption servira à l’achat des consciences et des voix lors des échéances électorales », Mme Moawad s’interroge sur la finalité de la privatisation et veut savoir « si cette opération servira à vendre tous les services publics à une vingtaine de personnes au pouvoir, pour faire du Liban une société anonyme ». « Nous voulons que la privatisation soit le prélude à une réforme réelle, susceptible de restituer au Liban sa crédibilité », dit-elle. La colère de Cardahi M. Husseini veut attendre la réponse du gouvernement avant de prendre la parole, ce qui fait que c’est M. Cardahi qui succède à Mme Moawad à la tribune pour répondre aux points soulevés par les députés, mais en rapport avec sa propre gestion du dossier de la téléphonie mobile et des irrégularités commises par les deux opérateurs (voir par ailleurs). Il est félicité par M. Hariri pour son discours, ce qui a pour effet de donner l’impression que le gouvernement est soudé. Mais cette impression ne durera pas longtemps, car après l’intervention de M. Siniora et celle du chef du gouvernement (voir par ailleurs), le ministre des Télécommunications réclame de nouveau la parole pour mettre les points sur les « i », ce qui provoque une certaine tension dans l’hémicycle et pousse les députés haririens à passer à l’attaque. « On s’est demandé si les chiffres des recettes fournies par le ministère sont exacts. J’aimerais préciser que jusqu’à aujourd’hui et en dépit de tous nos efforts depuis un an et demi, nous ne pouvons pas prétendre qu’ils le sont parfaitement », dit M. Cardahi. « Qu’est-ce que vous faites là alors ? » lui lance M. Bassel Fleyhane, du bloc Hariri, en mâchant consciencieusement son chewing-gum, pendant que M. Walid Eido, du même bloc, renchérit : « Qu’est-ce que vous avez fait pendant un an et demi ? » M. Cardahi explose et c’est presque en hurlant qu’il poursuit : « Nous découvrons continuellement des irrégularités que nous soumettons aux autorités judiciaires, et je vais vous donner un exemple : nous avons récemment découvert trente groupements de lignes cellulaires reliées à des centraux et non déclarés. » Sa voix se perd dans le brouhaha, que M. Berry tente de dissiper. Puis M. Cardahi explique que les moyens de fraude sont nombreux, mais que son département a « quand même réussi à réduire au minimum la marge de gaspillage, ce qui n’existait pas il y a un an et demi ». « Dans quelle proportion ? Nous voulons savoir », l’interrompt M. Serge TerSarkissian, mais le ministre ne l’entend pas. Il rappelle ensuite que les deux opérateurs se doivent de s’acquitter des mandats de recouvrement, dont le montant – supérieur à 300 millions de dollars – doit être comptabilisé dans le calcul des recettes. En ce qui concerne les 180 millions de dollars d’indemnités évoqués par M. Siniora, le ministre explique que son département avait, au cours des 15 derniers mois, payé près de 40 millions de dollars pour le développement et l’entretien des équipements du réseau cellulaire. Il souligne ensuite que les raisons de l’échec de l’adjudication sont précisées dans un des documents distribués aux députés. M. Husseini lui succède à la tribune pour rappeler les différentes étapes de la privatisation de la gestion et de l’exploitation du réseau GSM, et pour expliquer que le processus était dès le départ entaché d’irrégularités. Il insiste sur le fait qu’il appartenait au Parlement et non pas au gouvernement de ratifier les contrats avec Cellis et LibanCell. Il estime que les doutes persisteront tant que les deux opérateurs continueront de gérer le réseau pour le compte de l’État, jugeant que les deux sociétés doivent être tenues à l’écart si l’on veut connaître les recettes réelles générées par la téléphonie mobile. À l’instar de ses collègues, il met le Parlement devant ses responsabilités en notant que la Chambre n’a jamais contrôlé l’action de l’Exécutif. Berry l’interrompt pour faire assumer cette défaillance à « la faiblesse de l’opposition », mais M. Husseini ne se laisse pas désarçonner et réagit du tac au tac : « Les lois électorales sont susceptibles d’affaiblir l’opposition et d’amener des bulldozers » électoraux. « Élaborez donc une loi amenant des bicyclettes », réplique en riant M. Berry, qui donne la parole à M. Salah Honein. L’intervention du député de Baabda est axée sur les violations des lois, commises à plusieurs niveaux du processus de privatisation. Le parlementaire, qui estime que la concession d’un service public, et donc l’adjudication de la gestion du réseau GSM, doit faire l’objet d’une loi, se demande pourquoi la HSBC n’a pas contribué à l’élaboration du dernier cahier des charges. Il met ensuite l’accent sur la nécessité d’approuver les deux propositions de loi qu’il avait présentées pour lutter contre les abus de pouvoir. M. Nassib Lahoud est le dernier à prendre la parole. Son intervention détonne, en raison de son caractère bref, précis et technique. En quelques mots, il expose le problème. Pour lui, « si nous en sommes arrivés là, c’est en raison de quatre principaux éléments : l’interférence flagrante des intérêts publics et privés dans le secteur de la téléphonie mobile, les tiraillements entre les pôles du pouvoir, qui ont nui aux investissements au Liban et déformé l’opération de privatisation, la précipitation, la confusion et la contradiction dans la prise de décisions, et enfin le monopole, que personne n’a abordé ». Il s’étend sur ce dernier point pour affirmer que les contrats conclus avec Cellis et LibanCell ne sont pas les meilleurs car, « en raison d’une décision hâtive du gouvernement », ils ont barré la route à toute possibilité de concurrence et favorisé le monopole, ce qui a empêché les Libanais d’avoir accès à un service de qualité à des prix compétitifs, surtout lorsque le nombre des lignes octroyées aux abonnés est passé de 50 000 à 900 000. M. Lahoud conteste le bien-fondé de la résiliation du contrat, faisant valoir que si le gouvernement avait attendu neuf mois, il aurait pu facilement accorder des licences d’exploitation à d’autres compagnies. Il reproche à l’État ses erreurs stratégiques dans la gestion du réseau GSM. Pour lui, l’adjudication de la gestion du réseau pour quatre ans est une nouvelle erreur stratégique, dans la mesure où ce délai limite le champ d’action du gouvernement, car la technologie est en perpétuel développement. Il se prononce pour la conclusion de contrats de fonctionnement étalés sur six mois ou un an, et considère que l’État pourrait entre-temps établir une stratégie à long terme pour la gestion du secteur des télécommunications. Ce processus impliquerait, précise M. Lahoud, la révision des lois contradictoires.
L’argumentation développée par le chef du gouvernement, Rafic Hariri, pour répondre aux critiques acerbes de l’opposition parlementaire, durant la première séance d’interpellation sur le dossier de la téléphonie mobile, était un peu trop facile. Pour trois raisons principales : premièrement, M. Hariri a minimisé l’importance des graves accusations sur...