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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - L’éditorialiste de RFI a comparé les approches européenne et américaine lors du congrès Europe-monde islamique Richard Labévière : Je ne suis pas amnésique, mais il n’y a pas de mal à écouter le Hezbollah

Journaliste avant d’être analyste, Richard Labévière, rédacteur en chef du service monde et éditorialiste à RFI, revendique le droit de dialoguer avec toutes les parties pour se rapprocher de la réalité. Il refuse d’émettre des jugements moraux, tout en étant très critique envers la politique des États-Unis dans la région et les agissements d’el-Qaëda, jusqu’au 11 septembre 2001. Car, depuis cette date, selon lui, cette formation n’existe plus. Et ce n’est pas une théorie fumeuse, puisqu’il est l’auteur d’une trilogie sur Ben Laden et la mouvance qu’il aurait créée. Sa participation au congrès Europe-monde islamique est, selon lui, un témoignage d’espoir pour l’avenir. Richard Labévière connaît bien le Liban, les pays arabes et le monde islamique en général. Il travaille depuis quinze ans sur ces dossiers et il a écrit plusieurs ouvrages sur le financement de l’activisme sunnite (Les dollars de la terreur ; Ben Laden, le meurtre du père et Les coulisses de la terreur). Il a aussi écrit un livre sur le quotidien des Palestiniens, dans la ville de Bethléem, paru en 2000 : Le berceau du christ. C’est donc à ce titre, dit-il, que le centre d’études et de documentation, relevant du Hezbollah, l’a contacté pour qu’il participe à la conférence sur le dialogue entre l’Europe et le monde islamique. « Je n’ai eu aucun sentiment de rejet. Au contraire, j’estime qu’il est important d’échanger des points de vue. Le dialogue est essentiel, surtout que la France a un devoir géographique dans la région. La Méditerranée doit être un trait d’union et non un facteur de désunion. De plus, je crois beaucoup aux relations personnelles. Enfin, c’est dans un contexte de crise que les différentes parties ont le plus besoin de parler entre elles. » La laïcité, un concept lié à l’histoire de France M. Labévière estime ainsi qu’il est important d’expliquer aux interlocuteurs musulmans la loi sur la laïcité adoptée récemment en France. « Elle n’est pas contre la religion, mais sur la laïcité, cette notion liée à l’histoire de la France. Cette nation est le regroupement de plusieurs groupes, ethnies et religions, qui l’ont façonnée à travers les siècles. La nouvelle loi vise à moderniser une ancienne qui date de 1905. Son objectif est de garantir la laïcité à l’école publique, qui demeure un creuset, afin de préserver la liberté de culte. L’accession à la citoyenneté est indépendante de l’ethnie ou de la religion. » Pense-t-il pouvoir convaincre ses interlocuteurs musulmans avec un tel exposé ? « J’en ai déjà parlé avec des interlocuteurs chiites et ils m’ont paru très attentifs. Ils ont même reconnu avoir jugé un peu hâtivement la loi. » Ce n’est pas seulement pour défendre la loi sur la laïcité qu’il a accepté de participer à cette conférence... « Bien sûr que non. Je la trouve très intéressante. On m’a demandé de rendre compte de la perception européenne face à la position américaine, évoquer en quelque sorte l’exception européenne. Mais je trouve très enrichissant de pouvoir étudier l’évolution du conflit en Irak, et même l’avenir de toute la région, à un moment très critique, sur les plans politique et sécuritaire, à partir de Beyrouth. » Ne craint-il pas d’être critiqué en France et accusé de donner du crédit au Hezbollah, en participant à cette conférence ? « J’essaie de faire ce métier de façon adulte et j’assume les responsabilités qui en découlent, qui consistent à écouter et à parler avec tout le monde. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à écouter le Hezbollah qui est un acteur important sur la scène locale et internationale. Je suis journaliste depuis 20 ans et je n’ai pas de leçons à recevoir sur ce que je dois faire. » Mais le Hezbollah risque de sortir grandi de cette conférence, avec une crédibilité toute nouvelle… « Ce n’est pas mon souci premier. Depuis l’attentat contre le Drakkar français, en 1983, le Hezbollah prouve qu’il peut évoluer positivement et contribuer à un changement politique intéressant. Je ne suis pas amnésique, mais je sais apprécier les efforts accomplis dans une certaine direction. À mon avis, il faut favoriser le dialogue pour que les rapports évoluent dans une dynamique de paix. D’abord, instaurer la stabilité, et à terme, aboutir à la paix. » El-Qaëda n’existe plus comme organisation opérationnelle Si des représentants d’el-Qaëda participaient à la conférence, y aurait-il assisté ? « Je dirais d’abord qu’el-Qaëda n’existe plus. Ce n’est en tout cas plus une organisation opérationnelle depuis le 11 septembre 2001. Cette date a été en quelque sorte le résultat de la montée en puissance de l’organisation qui n’est plus qu’une coquille vide, une sorte de franchise, ou une étiquette idéologique. Après le 11 septembre, il y a eu, à mon avis, trois phases. La première suit la campagne d’Afghanistan. Il s’agit d’un repli vers le chaudron afghano-pakistanais. Tous les attentats qui se sont produits pendant cette phase ramenaient vers les structures pakistanaises, et vers Karachi en particulier. Un retour favorisé par l’existence de 300 madrassa à Karachi, de partis islamistes pakistanais, dont certains avaient été interdits par Moucharraf et enfin par les services pakistanais dont l’ISI. La seconde phase est asiatique. Il y a eu ainsi les attentats de Bali et à Mombasa, dans une configuration liée à l’histoire de ces pays. La troisième phase voit des attentats à Casablanca et en Arabie saoudite. Les auteurs sont des enfants des bidonvilles de Casablanca ou des militants salafistes qui n’ont jamais mis les pieds en Afghanistan. S’ils revendiquent Ben Laden et el-Qaëda, c’est pour l’idéologie. Je dirais presque que el-Qaëda s’est en quelque sorte “CNNisée”. Tout cela pour dire que la menace terroriste s’est transformée et fortement décentralisée. On utilise simplement ce label dès qu’il y a un attentat, pour éviter d’entreprendre une analyse approfondie. La violence franchisée d’el-Qaëda n’a rien à voir avec l’action du Hezbollah ou de Hamas, menée dans le cadre d’une lutte nationale. On veut éviter de dire que les poseurs de bombes sont des poseurs de questions. Il faut donc essayer de reconstituer chaque problème, mais un terrorisme global avec une Qaëda planétaire n’existe pas. Les attentats, depuis le 11 septembre, renvoient à des acteurs locaux. » Il faut commencer par résoudre les crises l’une après l’autre Cette analyse ne démonte-t-elle pas la logique de l’actuelle Administration américaine ? « Bien entendu. La guerre sans fin contre la menace terroriste, inventée par les Américains qui depuis l’effondrement de l’empire soviétique n’ont plus d’ennemi, n’a plus d’autre raison d’être que les choix économiques et la politique énergétique de l’Administration US. » Comment expliquer, dans cet ordre d’idées, la situation en Irak ? « Cette guerre a été en principe engagée à cause de la possession par le régime irakien d’armes de destruction massive, qui n’ont jamais été retrouvées, et des liens du même régime avec el-Qaëda, liens qui n’ont pas été prouvés. Cette guerre a ouvert la boîte de pandore, en créant une zone d’instabilité au Proche-Orient. Les Américains ont sous-estimé le fait national irakien, qui attire des activistes de l’ensemble du monde arabo-musulman. Cela n’a rien à voir avec el-Qaëda, puisqu’il s’agit d’une démarche salafiste et nationaliste panarabe. Les Américains ont réussi à créer un foyer d’instabilité. Les activistes étant à majorité sunnite, on se demande comment vont réagir les chiites. Une guerre civile pourrait être en gestation. Mais il est important de relever que malgré les thèses américaines, ce qui se passe en Irak ne s’inscrit pas dans la continuité du 11 septembre. Les Américains veulent dépolitiser chacune de ces crises pour en faire une simple lutte bipolaire entre les partisans de la paix et les terroristes, rendant ainsi illégitime toute contestation. » Mais dans quelle catégorie classe-t-il les auteurs des attentats en Irak ? « Je refuse d’entrer dans une classification morale. Aujourd’hui, en Irak, il y a une force d’occupation et des actes de résistance armée qui la contestent. À mes yeux, ce n’est pas une violence terroriste, mais une force de guérilla qui utilise ponctuellement des moyens terroristes. » Pourquoi les Américains changeraient-ils leur politique, puisque cette campagne bipolaire semble porter ses fruits ? « C’est vrai que tout paraît leur réussir. Mais le coût de cette guerre et les mensonges sur les armes de destruction massive commencent à se transformer en crise. La situation actuelle en Irak nécessite un encadrement militaire et financier qui peut être gênant en pleine campagne électorale. Ce sont les considérations de politique interne qui pourraient pousser les Américains à modifier leur stratégie et à les faire renoncer à leur guerre totale contre le terrorisme, ainsi qu’au projet de « “New Greater Middle East” », qui est la nouvelle trouvaille de l’Administration US pour démocratiser et remodeler l’ensemble du M-O. Ce projet devra être présenté au prochain sommet du G8 en juin. » L’Europe ne peut rien faire ? « L’Europe a une approche plus pragmatique. Elle a engagé un partenariat avec les pays de la région, bloqué depuis 1995, à cause du conflit israélo-palestinien. C’est pourquoi, il faut d’abord régler les crises régionales importantes, en tête desquelles se trouve le conflit israélo-palestinien. Je pense donc que la meilleure initiative serait la convocation d’une conférence internationale et la relance des négociations diplomatiques pour aboutir à un État israélien aux frontières sûres et à un État palestinien viable, avec une continuité territoriale. » Scarlett HADDAD
Journaliste avant d’être analyste, Richard Labévière, rédacteur en chef du service monde et éditorialiste à RFI, revendique le droit de dialoguer avec toutes les parties pour se rapprocher de la réalité. Il refuse d’émettre des jugements moraux, tout en étant très critique envers la politique des États-Unis dans la région et les agissements d’el-Qaëda, jusqu’au 11...