Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Appellation contrôlée

On parle décidément beaucoup de libanisation ces derniers temps, à propos de l’infortuné Irak : lequel n’aura échappé à la tyrannie de Saddam Hussein, grâce il est vrai à la victorieuse expédition américaine, que pour sombrer dans l’anarchie et le chaos, des suites de la même équipée et de l’effarante ineptie politique de ceux qui l’ont planifiée. Lors de la première guerre d’Irak, Bush père s’abstenait étrangement de pousser son écrasant avantage militaire, de marcher sur Bagdad et d’en finir à l’époque déjà avec le dictateur irakien : cette retenue s’expliquait par le fait que la disparition soudaine du pouvoir central, aussi odieux qu’il fût, risquait de conduire à l’éclatement du pays en trois entités, kurde, sunnite et chiite. Objection repoussée par Bush fils, Cheney, Rumsfeld et consorts qui, à la veille de la deuxième guerre, ont contre toute logique soutenu que les seules salves qu’auraient à essuyer les GI seraient faites de fleurs. Que l’Irak était promis à un avenir démocratique aussi proche que radieux. Que tous les despotes de la région auraient tôt fait d’assimiler la leçon et de se lancer sans délai dans de louables entreprises de libéralisation. Et que le scandaleux parti pris de l’administration en faveur d’Ariel Sharon, absolument contraire à l’esprit et à la lettre de la « feuille de route » pour un règlement en Palestine, n’allait en rien compromettre un idyllique ralliement des Arabes au grand dessein US. Que les néoconservateurs se soient aussi grossièrement trompés dans leurs euphoriques projections n’est encore, d’ailleurs, que la moins alarmante des hypothèses : nombreux sont ceux qui croient en effet que tant d’impréparation, d’imprévision et de méconnaissance des réalités politiques locales n’est tout simplement pas croyable. Et que l’éclatement effectif de l’Irak et même d’autres États de la région – un vieux plan que l’on attribuait traditionnellement au seul Israël – a peut-être fini, allez savoir, par séduire les néoconservateurs américains. Alors, l’Irak un nouveau Liban ? Les avertissements n’ont pas manqué, et deux de ceux-ci revêtent un poids particulier puisqu’ils émanent d’hommes qui connaissent très bien la question pour l’avoir vécue – et même endurée – dans l’un ou l’autre de ses tragiques épisodes. « N’allez pas faire comme les Libanais », a lancé récemment, à l’adresse des membres du Conseil de gouvernement irakien, l’Algérien Lakhdar Ibrahimi. Car ce diplomate d’exception, qui s’était épuisé en vain à trouver une solution pacifique à la « rébellion » du général Michel Aoun, s’efforce maintenant de dégager un terrain d’entente entre une diplomatie américaine embourbée, en panne d’idées, les partisans d’un transfert du pouvoir par paliers et ceux qui, comme l’ayatollah Sistani, n’acceptent rien moins qu’un scrutin en règle. L’Irak de l’après-Saddam est le Liban des années 80, met en garde pour sa part l’ancien otage britannique Terry Waite ; pour celui qui fut l’émissaire de l’archevêque de Canterbury et qui effectue actuellement une visite humanitaire dans notre pays, l’expédition n’a fait qu’encourager l’extrémisme et le terrorisme, créant les conditions pour une guerre civile. À ces deux saisissants témoignages, l’on pourrait ajouter celui du simple citoyen libanais qui sait très bien lui aussi – lui surtout – comment les froids calculs des chancelleries, s’ajoutant à la folie des hommes (ou pire, suscitant et alimentant celle-ci), peuvent plonger un pays dans la guerre civile et l’y laisser mariner durant de longues années. Tout cela pour en venir à une normalisation boiteuse, tronquée et qui ne satisfait que très sommairement les aspirations des peuples à la liberté, au progrès, au développement, à la démocratie, à la souveraineté, à la paix. Ce que ni l’ambassadeur Ibrahimi ni Terry Waite ne peuvent dire, c’est que, pour les Libanais eux-mêmes, l’infamant terme de libanisation n’est pas seulement un terrible souvenir de guerre. Il désigne aussi, sans aucune sorte d’excuse cette fois, un État en déliquescence, des atteintes répétées aux libertés publiques, le mépris de la loi et des droits des citoyens, un sol national arraisonné et néanmoins découpé en territoires d’influence pour ne pas dire de rackets... La liste est beaucoup trop longue, l’espace manque, il me faut bien arrêter ici. Issa GORAIEB
On parle décidément beaucoup de libanisation ces derniers temps, à propos de l’infortuné Irak : lequel n’aura échappé à la tyrannie de Saddam Hussein, grâce il est vrai à la victorieuse expédition américaine, que pour sombrer dans l’anarchie et le chaos, des suites de la même équipée et de l’effarante ineptie politique de ceux qui l’ont planifiée.
Lors de la...