Bavard à plumes

Beyrouth, an de grâce 2104, Musée national. Dans sa cage, au milieu des sarcophages, colifichets et autres bimbeloteries datant de l’époque phénicienne, un gris du Gabon, plus que centenaire, raconte l’histoire du Liban. Y avait pas que Winston Churchill à avoir élevé un perroquet. Toutes proportions gardées, nos olibrius locaux, après maints crêpages de touffe en Conseil des ministres, avaient décidé d’acquérir le volatile pour, pensaient-ils, laisser à l’histoire un témoignage lumineux de l’éblouissant rayonnement de leur propre image. Au fil des ans, les neuneus d’en haut neuneutaient, neuneutaient, neuneutaient… Pendant que l’oiseau parlait, parlait, parlait… Extraits : – « Budget si, budget no, budget mais… Siniora, Siniora, au voleur ! Tu la sens ma grosse taxe ? » – « Barbu, barbus, Hezbollah, Nasrallah et chapelet explosif. Si le poil avait de la valeur, y pousserait pas ailleurs. » – « Riri, fric-fric, Rafic à fric, rira bien qui rira Hariri… Bouboule, as-tu retrouvé ta boussole ? » – « Mille millions de mille Émile ! Un mandat, deux mandats, mille mandats… Au secours, il rempile encore ! » – « Sur un Parlement perché, Istiz Nabeuh s’accroche à son fromage. Toujours aussi déplumés, les déshérités écument de rage… » – « Hoss, Hoss, Hoss… Sacrée toux ! Quand Sélim Hoss rira, le monde tremblera. » – « Au Sud, au Sud, l’armée ! Raté, la Grande Muette fait en plus la sourde oreille. » Blotti dans sa cage du Musée national, le gris du Gabon se repasse dans sa petite tête d’oiseau un résumé de la vie politique locale : une pièce, deux fauteuils et deux blaireaux en train de deviser de part et d’autre d’un cendrier et d’un pot de fleurs. En 100 ans de métier, il n’a jamais vu un président, ministre ou député assis, en train d’écrire derrière un bureau. A priori, se dit-il, aucun homme politique libanais n’est inutile, tous peuvent servir de mauvais exemple. Gaby NASR