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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Côté cour

Pour ou contre la peine capitale ? Débat universel, débat séculaire appelé sans doute à durer longtemps encore même si ces dernières années, et sous la pression des organisations de défense des droits de l’homme, un nombre croissant de gouvernements a opté pour l’abolition. Voici soudain que cette même question nous interpelle tous, avec la triple exécution capitale censée avoir eu lieu à l’aube d’aujourd’hui. « La peine de mort souille notre société et ses partisans ne peuvent la justifier en raison ». « Oui, la peine de mort me déplaît ; mais il ne s’agit pas de savoir ce qui nous est agréable, il s’agit de savoir ce qui est utile à la société .» « Si l’on veut abolir la peine de mort, en ce cas que messieurs les assassins commencent » : ces trois sentences lapidaires, puisées dans la masse de citations célèbres ayant trait à ce problème, résument bien l’éventail d’arguments que l’on n’a pas fini d’avancer, d’un côté comme de l’autre. Pour les tenants de la manière forte, la société est tenue de se défendre en ayant recours aux moyens les plus radicaux, le châtiment suprême revêtant de surcroît un effet de dissuasion ; la détention perpétuelle, font-ils également valoir, n’existe pratiquement plus du fait des remises de peine devenues automatiques, ce qui implique la réinsertion à terme dans ladite société d’éléments éminemment dangereux, capables de récidiver. À cela, les abolitionnistes rétorquent qu’on ne saurait sanctionner un meurtre par un autre, prétendument légal celui-là. Et qu’au vu des statistiques ni la guillotine ni la chaise électrique, la chambre à gaz, les injections létales ou l’antique gibet ne sont jamais parvenus à empêcher les assassinats, ou même à en réduire le nombre. C’est dire la complexité que revêt la question dans un pays comme le Liban où les apparences démocratiques – un Parlement théoriquement élu, une justice indépendante en principe, une liberté d’opinion et d’expression consacrée par les textes fondamentaux – se trouvent tous les jours démenties dans les faits par le comportement d’un pouvoir échappant à toute transparence, à tout contrôle, à toute obligation de rendre compte sinon aux forces même pas occultes qui l’ont mis en place. Sourd aux protestations européennes et singulièrement françaises, insensible à l’exemple de la rigoureuse Turquie qui vient de mettre au chômage ses bourreaux dans l’espoir d’être admise à l’UE, Beyrouth soutient que l’on avait affaire, là, à trois crimes particulièrement odieux portant atteinte à la sécurité de l’État ; et qu’en tout état de cause, le pays n’est pas encore mûr pour l’abolition de la peine de mort. Mais alors ne serait-il même pas assez mûr pour un système judiciaire échappant aux interférences et ingérences politiques, insensible à la fameuse raison d’État invoquée plus souvent qu’à son tour ? Deux fusillés et un pendu, le tout obéissant grosso modo à la règle de l’équilibre communautaire : par-delà la controverse sur la peine capitale, ce qui dérange le plus, au fond, c’est le spectacle d’un appareil de répression aux humeurs capricieuses, au zèle sporadique, erratique, chaotique, capable qu’il est de passer sans transition de la clémence la plus surprenante (pour ne pas dire de la complaisance) à la sévérité la plus extrême. Pour les suppliciés de ce samedi en effet, pour les 14 autres qui depuis 1994 les ont précédés sur le gibet, que de spadassins en liberté, que de chefs de bande même pas repentis recyclés dans la haute politique alors que se trouve embastillé un seul d’entre eux, que de parrains impunis croulant parfois sous les honneurs, que de responsables de mort d’homme continuant de vaquer tranquillement à leurs douteuses affaires, que de spoliateurs de biens publics étalant avec insolence le fruit de leurs rapines... Des mises à mort de ce matin, on aura eu la décence de ne pas avoir fait, cette fois, des représentations publiques. Mais qui espérait-on leurrer avec une telle programmation ? La fulgurante et macabre sanction de l’aube, en effet, ne peut suffire à convaincre les citoyens que la justice n’a pas d’heure et qu’elle veille jour et nuit à ce que nul ne se place au-dessus de la loi.Que dans l’affaire de la catastrophe aérienne de Cotonou par exemple, on ne va pas s’acharner sur quelque bouc émissaire sans inquiéter autrement les tireurs de ficelles et les puissants protecteurs. Que les vaudevillesques allers-retours en prison de Rana Koleilat vont réellement permettre de remonter jusqu’aux caïds du blanchiment d’argent. Que d’avoir saisi mercredi à l’aéroport des dinars irakiens ramenés par des changeurs va donner l’idée aux enquêteurs d’ interroger les VIP’s qui, avant le renversement de Saddam Hussein, ont joué les convoyeurs de valises entre Bagdad et Beyrouth. Et pour finir que la remise à neuf très médiatisée du Palais de justice de Saïda va réellement, à elle seule, porter les juges à siéger en toute sérénité, à rendre verdict, à infliger au besoin des peines sévères, alors que courent toujours ceux qui ont assassiné quatre d’entre eux en plein tribunal ! Pour terrible qu’il soit, l’exemple d’aujourd’hui ne fera pas illusion et si gibier de potence il doit absolument y avoir, alors il faut aller le traquer partout où il se trouve. La justice, c’est bien connu, se doit d’être aveugle. Mais pas de la sorte, pas à ce point.
Pour ou contre la peine capitale ? Débat universel, débat séculaire appelé sans doute à durer longtemps encore même si ces dernières années, et sous la pression des organisations de défense des droits de l’homme, un nombre croissant de gouvernements a opté pour l’abolition. Voici soudain que cette même question nous interpelle tous, avec la triple exécution capitale...