Rechercher
Rechercher

Actualités

MÉSAVENTURE - Entre le vol et la déposition au commissariat, les tribulations d’une victime devenue suspecte Comment en quelques heures j’ai perdu mon sac et beaucoup d’illusions

Dommage que ce ne soit pas tous les soirs le 31 décembre. C’est sans doute le seul de l’année où les Libanais ont pu circuler en toute sécurité. Le reste du temps, que le ministre de l’Intérieur nous pardonne, il faut déployer des trésors d’ingéniosité et de précautions pour être plus rapide que les voleurs à la tire et autres voyous professionnels. Ayant moi-même fait l’objet d’un vol, à la sortie du bureau, alors que je m’apprêtais à faire démarrer ma voiture, après une journée de labeur, un jeune homme assez banal ouvre la porte du passager, me présente ses excuses et s’enfuit avec mon sac, bourré de billets de banque, comme par hasard. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais elle ne faisait que commencer. Car, en bonne citoyenne confiante dans les institutions de l’État, j’ai voulu déposer une plainte au commissariat. Les opérations des FSI, jointes au téléphone, m’envoient d’abord au commissariat de Minet el-Hosn. Je m’y rends le cœur gros et les jambes flageolantes. Manque de chance, il est fermé. Nouveau coup de fil aux opérations et on me dit qu’il faut aller à la caserne Hélou. Le temps d’identifier le lieu et m’y voilà. Une petite porte cochère, une cour intérieure sombre, qui ajoute encore à ma terreur, et, enfin, un petit escalier, à l’autre bout de la cour. Il faut encore grimper deux étages avant de tomber sur deux FSI qui s’apprêtaient à manger des kaaks, arrosés de thé, dans cette nuit froide et pluvieuse. Pour eux, je ne fais que retarder le dîner et ils s’empressent de m’envoyer à un autre commissariat du côté de la tour Murr. Retour donc à la case départ, puisque le bureau est dans cette région, après une demi-heure d’errance. Finalement, je trouve le lieu dit et un officier tout à fait aimable et compréhensif m’accueille. Toutefois, avant de commencer à prendre la déposition, il exige mes papiers. La scène est presque kafkaïenne. « Je vous dis que mon sac a été volé, avec mes papiers et le reste. » Il ne veut rien entendre. Le règlement est le règlement. Après un long débat, il accepte de se contenter des papiers de la voiture. Mais il ne peut commencer à prendre ma déposition avant de s’assurer que je ne suis pas une grave criminelle, réclamée par Interpol. L’attente se prolonge car les services de l’État ne sont pas très rapides un vendredi soir et la victime se transforme en suspecte. Finalement, il apparaît que mon dossier est vierge. L’histoire peut commencer. Mais c’est sans la moindre conviction que l’agent note les éléments, avec l’expérience de l’homme habitué à ce que le voleur soit rarement attrapé. « Vous ne voulez pas que je vous le décrive ? » est la question que j’ose formuler d’une petite voix. « À quoi bon ? » « Mais je vous dis que je l’ai vu et que je lui ai parlé. » « Bon, si ça vous fait plaisir. Alors, à quoi ressemble-t-il ? » lance-t-il d’un ton résigné. Je décris donc une scène que je ne suis pas près d’oublier, dans l’indifférence générale des présents. Le seul commentaire de l’adjoint de l’enquêteur est des plus rassurants : « C’est sûr, cet homme vous surveillait. Le coup est audacieux et bien préparé. Maintenant qu’il a les clés de votre maison, vous devez faire encore plus attention. » Entrée au commissariat pour me sentir protégée par l’État, j’en ressors encore plus terrorisée qu’avant. « Il n’y a rien à faire, m’a-t-on dit. On ne peut pas mettre un policier dans chaque rue. Les voleurs sont rapides et bien organisés. Votre plainte vous servira juste à faire de nouveaux papiers. » Voilà comment, en deux heures exactement, j’ai perdu mon sac et beaucoup d’illusions, sans parler de ce trésor qu’est le sentiment d’être en sécurité. Scarlett HADDAD

Dommage que ce ne soit pas tous les soirs le 31 décembre. C’est sans doute le seul de l’année où les Libanais ont pu circuler en toute sécurité. Le reste du temps, que le ministre de l’Intérieur nous pardonne, il faut déployer des trésors d’ingéniosité et de précautions pour être plus rapide que les voleurs à la tire et autres voyous professionnels.
Ayant...