Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Histoire - Hommage à l’un des pionniers de l’Indépendance Sélim Takla, le roseau qui plie pour mieux s’affirmer

Cinquante-neuf ans déjà... Né le 11 janvier 1895, Sélim Takla décède le 11 janvier 1945 à l’aube de ses cinquante ans. À l’âge où certains font leur vie, la sienne se défaisait. Les échelons de la vie active, administrative et politique, il les avait franchis avec aisance certes, mais aussi à force de travail et de sacrifice. Il aura passé sa vie à organiser, œuvrer, assumer, sans avoir pleinement goûté, de son vivant, au fruit de son labeur. Pionnier de l’Indépendance, plusieurs fois ministre des Affaire étrangères et des Travaux publics, il était le roseau qui plie pour mieux s’affirmer. Certes, il a fait partie de la vieille école, une école où démissionner de son poste de ministre faisait partie de convictions personnelles et pas seulement du jeu politique. Au milieu du XIXe siècle, fuyant le joug des Ottomans, Moussa Mikhaël Takla émigre de Homs à Zouk Mikhaël où une partie de la communauté grecque-catholique est installée. Son fils, Habib, né en 1870, pharmacien de formation, s’établit lui aussi à Zouk où il fonde une famille. Sélim, l’aîné de ses sept enfants, voit le jour le 11 janvier 1895. Après des études primaires à l’École des sœurs de la Charité, à Zouk, il est admis, à 12 ans, au collège de Antoura en tant qu’interne. En 1913, il rejoint l’École française de droit de Beyrouth, filiale de l’Université de Lyon, administrée par les pères jésuites et qui vient d’être inaugurée. Un an plus tard, la rupture des relations diplomatiques entre la France et l’Empire ottoman oblige les professeurs de l’école, comme les missionnaires français, à quitter Beyrouth. En mars 1919, avec la fin de la Première Guerre mondiale, Sélim Takla reprend ses études interrompues. En 1920, il fait partie de la première promotion de licenciés en droit. Il opte pour le poste d’inspecteur. Sortir la justice de l’impasse Takla cumule les fonctions d’inspecteur directeur et conseiller de la justice, avant d’assumer, pour un court moment, les fonctions de juge d’instruction de Beyrouth. Le 9 janvier 1933, il est nommé mutessarif du sandjak de la Békaa, qui comprenait alors les cinq cazas de Zahlé, Rachaya, Békaa Moallaka, Baalbeck et la moudirieh du Hermel. Nommé secrétaire général de la direction de l’Intérieur, de 1925 à 1929, Takla s’attelle à l’organisation de la police, de la gendarmerie et d’une école de formation des Forces de sécurité intérieure. La loi concernant la citoyenneté étant la base de l’État, Takla procède au recensement des citoyens libanais et à l’élaboration d’une loi régissant les élections législatives. Le texte posait une nouvelle condition qui bouleversait les habitudes libanaises : il était dorénavant interdit à deux membres proches d’une même famille de siéger au sein d’une même assemblée, parlement, municipalité ou autres. Par ailleurs, le mandat du chef de l’État ne devait pas dépasser les cinq ans, avec possibilité de renouvellement pour cinq ans après le terme du premier mandat. L’année 1925 vit aussi la naissance d’une commission formée de 35 membres pour étudier le projet du « Destour » libanais dont Sélim Takla fait partie. 1929 : Sélim Takla a 33 ans. On le charge d’administrer et de présider le Conseil municipal de Beyrouth. Il procédera à la réorganisation des services juridiques et de la comptabilité. En 1932, il instituera le « Soundouk al-Ittihad al-baladi ». Mais la grande réalisation de ses premières années à la tête de la municipalité est la mise en place d’un service moderne de sapeurs-pompiers. Le dossier le plus sensible auquel Takla est confronté est celui de la modernisation de Beyrouth. La tâche est lourde ; son coût le sera encore plus... Partisans et détracteurs Les choses se gâtent à partir de 1932. La municipalité contracte un nouvel emprunt de 250 000 LL, toujours dans le but d’embellir et d’étendre la capitale, ce qui nécessite de nouvelles expropriations. La dette de la municipalité se monte alors à 63 millions de francs contre 20 millions en 1927. Critiqué, Takla aura désormais ses « partisans » et ses « détracteurs ». Il fait maintenant partie du décor politique. L’affaire « Kaoukab al-Charq » vient apporter de l’eau au moulin de ses détracteurs. Le 11 mars, place el-Borj, l’immeuble portant ce nom s’effondre. On recense 42 morts et une vingtaine de blessés. À l’origine de la catastrophe, les travaux de réhabilitation entrepris par Abou Afif dans son restaurant, au rez-de-chaussée. Comment Abou Afif a-t-il pu obtenir un permis réglementaire alors que l’immeuble est frappé d’alignement ? Takla est mis en cause. Les parents des victimes réclament sa suspension pour que l’enquête soit menée loin de toute influence ou intervention. Les critiques et reproches pleuvent de toutes parts. En mai 1935, Sélim Takla est de nouveau mis en cause. La raison : les dissensions au sein de la communauté sunnite beyrouthine, autour de l’élection annuelle du vice-président du Conseil municipal. Une manifestation monstre est organisée à l’occasion de la célébration de la fête du Maouled. Les premiers incidents éclatent à l’arrivée de Takla à la mosquée : une partie du public l’acclame alors que l’autre le hue. À la sortie de la mosquée, sa voiture est renversée, ce qui enclenche une bataille entre les deux groupes. L’incident vaut à Takla sa mutation de Beyrouth au Liban-Nord. Politiquement, Tripoli n’était pas une ville « facile ». Le clivage politique entre les partisans du Mandat et les prosyriens s’étendait à tout le Nord qui comprenait deux régions : l’une musulmane, prônant l’union avec la Syrie ; l’autre chrétienne, affichant sa sympathie pour les Français. La tension atteint son paroxysme lorsque les Tripolitains apprennent que leur ville ne sera pas rattachée à la Syrie, du fait de la convention franco-syrienne du 9 septembre 1936. Et ils organisent une manifestation à l’occasion de la visite du président Émile Eddé. Les forces de l’ordre se heurtent aux manifestants. Bilan : un mort et de nombreux blessés. Une grève est décrétée, qui durera 36 jours et ne prendra fin qu’à la suite de la visite de trois leaders syriens venus dans le but de calmer les esprits. À l’annonce par le chef de l’État de la dissolution de la Chambre des députés, le 24 juillet 1937, Sélim Takla démissionne de la fonction publique et se prépare à entrer dans l’arène politique en annonçant sa candidature comme député du Mont-Liban. Les années politiques 1937-1945 Le mois de janvier 1938 voit s’opérer un remaniement ministériel. Un gouvernement entièrement « eddéiste » est formé par Abdallah Yafi. L’opposition modérée, dont le chef de file est Béchara el-Khoury, et son parti « Constitutionnel » dont Takla fait partie, refuse toute participation au cabinet. L’entrée de la France dans la guerre, le 3 septembre 1939, marque un raidissement de la politique de Paris au Levant. Dans l’attente d’un dénouement de la crise internationale, Sélim Takla ne cesse de répéter que le « Liban est maintenant une nation et qu’en cas de victoire des Alliés, il s’agit pour lui d’en tirer profit ». Mais la défaite de la France est aussi celle des Destouriens. De retour du Caire où il était invité par Nahas Pacha, Béchara el-Khoury est accusé d’avoir signé un pacte économique arabe liant l’Égypte, l’Irak, la Transjordanie et le Liban. Voulant rassurer les Libanais, notamment les chrétiens, sur ses intentions à l’égard de l’union arabe, il cherche à se placer en interlocuteur auprès des Français. L’homme du dialogue sera Sélim Takla. Aux élections législatives des 29 août et 5 septembre, Sélim Takla et Béchara el-Khoury sont élus. Le 21 septembre de cette même année, Béchara el-Khoury est élu président de la République. La formation du gouvernement est confiée à Riad el-Solh, et Sélim Takla est nommé ministre des Affaires étrangères. Au nouveau ministre est confié un ministère sans « locaux et à l’état embryonnaire ». C’est au Sérail que Takla élira domicile. L’existence d’un ministère des Affaires étrangères au sein du gouvernement libanais est alors très récente. Les affaires extérieures sont « complètement » entre les mains des Français. Si, à la tête des délégations, on avait opté pour des hommes politiques, il fallait trouver le personnel adéquat pour les assister. L’organisation d’un concours était la solution moderne pour recruter les cadres diplomatiques. Il sera le premier concours de son genre institué par la nouvelle Administration libanaise. Artisan et porte-parole Votée au Parlement le 9 novembre la loi constitutionnelle élimine toute référence au Mandat. Dans la nuit du 10 au 11 novembre, Béchara el-Khoury, Riad el-Solh, Sélim Takla et Camille Chamoun sont arrêtés et conduits à la forteresse de Rachaya. Adel Osseirane et Abdel Hamid Karamé les suivront dans l’après-midi. À l’annonce de ces arrestations, le pays est en effervescence et des pressions internationales sont exercées. Les prisonniers sont libérés le 22 novembre. Ils sont accueillis à Beyrouth « dans un enthousiasme sans précédent ». Béchara el-Khoury tient à la foule un discours sans équivoque sur l’indépendance du Liban et à sa solidarité avec le gouvernement Solh : « Désormais au Liban, il n’y a qu’une confession celle de la Nation libanaise ». Désigné membre de la Commission qui doit, sous la direction Solh, partir pour Le Caire le 5 janvier 1944, Takla se plaît à dire qu’il est le « premier chrétien qui participe à ces conversations ». Le troisième maillon À côté des présidents Khoury et Solh, Takla a été le troisième maillon de la chaîne qui a permis l’édification d’un État indépendant. Comme la majorité des nationalistes libanais, il militait pour l’indépendance et la souveraineté du Liban. Il tendait à une collaboration étroite et franche avec les États arabes et rejetait l’idée « française » qu’un « danger musulman » guettait les chrétiens dans un Liban souverain. Et Sélim Takla se présente comme un des plus fervents défenseurs de la participation du Liban au comité préparatoire d’Alexandrie qui doit se tenir fin septembre 1944. Le 7 octobre 1944, la signature du protocole d’Alexandrie consolide la position du Liban indépendant dans l’espace politique régional organisé autour d’une coopération entre les États arabes. Ce protocole ne laissa pas les Libanais indifférents. Les mises au point du gouvernement ne parvenant pas à amadouer les récalcitrants, Béchara el-Khoury demanda au ministre des Affaires étrangères d’en revoir certains points. Takla a entrepris l’étude en profondeur d’un projet libanais autour de la Charte de la Ligue arabe. Le point le plus important qu’il relève porte sur une clause stipulant que les pays membres ne sont pas tenus par la règle de la majorité. Après une crise ministérielle de plusieurs semaines, Abdel-Hamid Karamé accepte de former le nouveau cabinet. Takla garde les Affaires étrangères et reçoit en plus le ministère de la Justice. Il meurt subitement, le 11 janvier 1945, à la suite d’une crise cardiaque. Son successeur, Henri Pharaon, poursuivra sa politique, dont le point central sera l’adhésion du Liban à la Ligue arabe, au moment de sa création officielle, le 22 mars 1945. Dans les années 40, le Liban aura ainsi connu sa plus abondante « cuvée » de politiciens. Des hommes qui ont su imposer leur pays sur la scène arabe mais aussi internationale. Sélim Takla était un de ceux-là. Celui qu’on surnommait le « cerveau du Destour », le « visionnaire », le « fin diplomate », le « fonctionnaire modèle », le « porte-parole » du Liban, le « négociateur » convainquant parce que convaincu, « modeste » parce qu’intelligent, était devenu l’« incontournable »... Maha ARIDA Série de colloques à Aix-en-Provence En juin 2001, un colloque s’est tenu à Aix-en-Provence sur le thème : « Les mandats britanniques et français au Proche-Orient ». Puis les 20 et 21 juin 2003, l’association Mémoires méditerranéennes des sciences de l ’homme et l’Institut de recherches et d’études du monde arabe et musulman ont tenu deux journées d’études sur Sélim Takla, dans la salle Georges Duby du MMSH à Aix-en-Provence. Un troisième colloque, toujours dans le cadre des cycles des Études mandataires : des mandats aux indépendances, est prévu pour l’an 2005. Durant les deux journées d’études, 16 intervenants ont pris la parole : M. Christian Graeff, Mme Nadine Picaudou, M. Gérard D. Khoury, M. Antoine Salamé, Mme Chantal Verdeil, M. Farès Sassine, M. Mounzer Jaber, Mlle Carla Eddé, M. Khaled Zyadé, Mme Juliette Honvault, Mme Anne-Laure Dupont, S.E.M. Michel el-Khoury, M. Raghid Solh, Mme Nadine Méouchy, M. Ahmad Beydoun et Mme Carmen Abou-Jaoudé. Les Cahiers du colloque seront publiés en France au cours de l’année. Un résumé du colloque est sous presse et la biographie de Sélim Takla est en cours de rédaction.
Cinquante-neuf ans déjà... Né le 11 janvier 1895, Sélim Takla décède le 11 janvier 1945 à l’aube de ses cinquante ans. À l’âge où certains font leur vie, la sienne se défaisait. Les échelons de la vie active, administrative et politique, il les avait franchis avec aisance certes, mais aussi à force de travail et de sacrifice. Il aura passé sa vie à organiser,...