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Actualités - OPINION

analyse - Observations sur les propos de Joumblatt à Berlin Contre « la culture de la paix » ? Sharon aussi

Les propos extrêmes tenus par Walid Joumblatt sur le Proche-Orient lors de la conférence qu’il a donnée vendredi dernier à Berlin, à l’invitation de la Fondation Friedrich Ebert (L’Orient-Le Jour du 31 janvier 2004), appellent quelques observations. M. Joumblatt est, certes, libre de ses opinions, même si celles-ci sont étroitement liées chez lui au contexte dans lequel il entrevoit son rôle politique, tant à l’intérieur que sur le plan régional. Un contexte qui, par définition, est changeant, ce qui explique que ses opinions le sont aussi. Mais, au-delà du goût de la provocation qu’on lui connaît, qui le rend souvent sympathique et lui fait tenir un discours aussi martial devant un auditoire en majorité occidental, donc peu réceptif à de tels excès de langage, on peut déceler chez lui une tendance à la simplification qui conduit à déformer les faits. L’histoire est tout sauf une succession d’anecdotes. Et ce n’est certainement pas en étalant une érudition historique à l’aide de formules à l’emporte-pièce que l’on contribuera à éclairer le présent et encore moins l’avenir. Dans la première partie de sa conférence, M. Joumblatt ouvre le feu sur les méfaits de l’alliance réelle ou implicite entre les néoconservateurs, la droite chrétienne américaine, les fondamentalistes sionistes et les grands intérêts pétroliers. Jusqu’ici, rien de bien original, ni de bien méchant, dans la mesure où de nombreux Américains et même des Israéliens, sans parler des Européens, dénoncent depuis des lustres le même péril. Mais Walid Joumblatt ne serait pas Walid Joumblatt s’il s’en était tenu à ce préambule. Il a fallu que, sans transition, son talent de l’esbroufe l’entraîne à élargir sa cible au point de mettre tout le monde dans le même sac, de qualifier d’« imbéciles » et de « fous » les modérés qui veulent tirer un espoir de l’accord de Genève et de conclure en affirmant qu’à l’ombre de l’occupation de la Palestine et de la « colonisation » de l’Irak, il ne pouvait que « refuser la culture de la paix ». Le chef du PSP a raison d’accuser une certaine droite fondamentaliste chrétienne, principalement américaine, de n’avoir jamais reconnu la moindre légitimité à l’existence d’un nationalisme palestinien, rejoignant ainsi les hérauts puristes de la doctrine sioniste, ceux qui avaient décrété que la Palestine était une terre sans peuple. Mais que vaut ce constat quand on cherche aussitôt à remettre en question les fondements mêmes du processus de paix ? Pourquoi singulariser les Ariel Sharon, les Paul Wolfowitz, les Richard Perle et autres Benjamin Netanyahu, si c’est pour ensuite déverser ses foudres sur les promoteurs de Genève et dénoncer leur « complot » ? Condamner – comme le font M. Joumblatt et beaucoup d’autres – la politique d’assassinat de militants palestiniens, la construction d’un mur de séparation et les préparatifs pour un « transfert progressif » des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza ne peut être crédible que dans la bouche de ceux qui croient au processus de paix. Comment comprendre, en effet, que l’on puisse exiger le retrait d’une colonie ou l’arrêt de la judaïsation forcée de Jérusalem lorsqu’on réclame en même temps la libération de Tel-Aviv ? Par ailleurs, il est faux et injuste de dire qu’en avalisant le principe de la terre contre la paix à la conférence de Madrid, les Arabes ont « légitimé le projet sioniste et oublié son caractère raciste ». Prétendre cela, c’est « oublier » les impératifs qu’impose par essence le processus de paix à l’ensemble des protagonistes. Et l’un de ces impératifs touche à la nature même de la légitimité que se donne l’État hébreu. Or, deux des trois légitimations possibles sont absolument incompatibles avec tout processus de paix devant conduire à la coexistence de deux États. D’abord la légitimité sioniste, dans la mesure où il n’est pas possible de faire la paix avec un peuple qui « n’existe pas », et ensuite celle tirée de la Shoah, puisque le peuple palestinien ne peut en aucun cas être tenu responsable des crimes de Hitler et encore moins des siècles de persécution des juifs par les Européens. Reste donc une seule légitimation acceptable par les Palestiniens et les Arabes, celle d’un État existant dans les faits et abandonnant définitivement les références historiques qu’il s’est attribuées jusqu’ici. En s’engageant dans le processus de paix, c’est précisément cette direction qu’ont prise les Arabes. Si Israël ne s’est pas encore entièrement acquitté de cette tâche, c’est lui qui est à blâmer et non pas les fondements du processus de paix. Face à cet enjeu d’ailleurs, Ariel Sharon et tous ceux qui partagent son point de vue en Israël ne sont pas dupes, eux qui s’acharnent depuis des années à détruire précisément le seul acquis concret du processus de paix, à savoir l’entité politique palestinienne créée par Oslo. La diplomatie officielle syro-libanaise, à laquelle on peut pourtant reprocher beaucoup de défauts et notamment un statisme quasi soviétique, ne s’est pour sa part jamais aventurée à critiquer Oslo sur le fond, se contentant de voir dans cet accord, du fait des circonstances qui ont accompagné sa conclusion, une rupture par l’OLP de la concomitance des volets arabes. Alors, comment comprendre cette vague de surenchères de la part de M. Joumblatt et d’autres ? S’agirait-il de contrer l’évolution de la politique américaine après le 11 septembre ? Mais, dans ce cas, ne devrait-on pas au contraire coller plus que jamais au processus de paix plutôt que d’en « refuser la culture » ? Mieux encore : l’accord de Genève – avec les quelques réserves qu’il peut susciter – n’est-il pas justement la meilleure arme pour affronter les projets attribués aux Wolfowitz, aux Cheney et aux Perle, sans parler d’Ariel Sharon ? Beaucoup de diplomates, de politiques et d’intellectuels européens savent déjà combien il est difficile de neutraliser l’actuel Premier ministre israélien et l’empêcher de nuire. Ceux qui ont entendu M. Joumblatt à Berlin ont dû se dire que ce sera une mission impossible. Mais pour être familiers de tels accès de fièvre qui n’ont souvent d’autre signification que le souci de l’enfiévré de se positionner là où il l’entend sur la scène politique locale et régionale, les Libanais, dans leur immense majorité, n’y prêteront même pas attention. Reste qu’un certain Liban est fatigué de tous les extrémismes. Des vrais, mais aussi des faux extrémismes. Élie FAYAD
Les propos extrêmes tenus par Walid Joumblatt sur le Proche-Orient lors de la conférence qu’il a donnée vendredi dernier à Berlin, à l’invitation de la Fondation Friedrich Ebert (L’Orient-Le Jour du 31 janvier 2004), appellent quelques observations.
M. Joumblatt est, certes, libre de ses opinions, même si celles-ci sont étroitement liées chez lui au contexte dans lequel...