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Éclairage « Le budget 2004 reflète la réalité politique du pays », répond indirectement Hariri à Lahoud Le challenge de l’Exécutif : redonner aux institutions leur plein rôle

Ce n’est plus un feuilleton, c’est une saga. Qui aurait pu se transformer en vaudeville, sauf qu’elle n’est, au fond, qu’une scandaleuse non-assistance à pays et à Libanais en danger. Les relations entre le chef de l’État et le Premier ministre, leurs scènes de ménage, leur incapacité à se mettre d’accord ne serait-ce que sur le nom d’un fonctionnaire de troisième catégorie, leur absence de sympathie et d’estime l’un envers l’autre, leurs conflits d’une régularité de métronome... tout cela aurait pu être amusant, voire drôle, si le Liban n’agonisait pas. D’autant plus que depuis quelque temps, c’est désormais au jour le jour que le pays tressaute à chaque phrase lancée, certes indirectement, par l’un à l’autre des deux protagonistes ; au jour le jour que les Libanais sont tous pris en otages, comme autant de conseillers conjugaux. Et depuis près d’une dizaine de jours, c’est le projet de budget 2004 qui est au cœur de la guéguerre à laquelle se livrent, encore poliment jusqu’à présent, Émile Lahoud et Rafic Hariri. Une guéguerre dans toutes les directions – Beyrouth, Damas, Paris, Washington même –, et dont l’objectif, secret de Polichinelle, est la reconduction éventuelle du chef de l’État à la première magistrature du pays.
Depuis qu’il a été présenté par l’inamovible Fouad Siniora (parfois on se demande comment le ministre des Finances arrive à se convaincre lui-même de ce qu’il dit, raconte ou explique), le budget dans sa cuvée 2004 a été qualifié par la quasi-totalité de la classe politique, loyalistes inclus, de totalement inutile, stérile même. Avec une question et une seule : comment pallier le déficit budgétaire visiblement indélébile ? Où sont les recettes ? Rafic Hariri a donné hier son élément de réponse : si le budget est aussi épuré, c’est parce qu’« il reflète la réalité politique du pays ». Décryptage : comme les privatisations sont bloquées – par un dirigeant, une classe, un décideur... –, et avec elles les dollars qu’elles sont censées engranger, la nouvelle loi des finances ne pouvait être qu’à l’image de ce qui a été proposé par le grand argentier. Il faut donc s’en contenter, et se souvenir, selon le maître de Koraytem, que ces privatisations, si elles avaient eu lieu, auraient apporté « près de cinq milliards de dollars ». Aussi, obnubilé, à tort ou à raison, par son ultralibéralisme quasi génétique et sa conviction que les privatisations doivent inévitablement se faire, et se faire vite, Rafic Hariri ne peut pas – et ne pourra jamais –- comprendre que pour Émile Lahoud, uniquement mû par la sacro-sainte idée d’un État-providence et interventionniste, la réduction du déficit budgétaire passe par un renforcement des revenus étatiques et par un contrôle de la gestion des services publics. « Le temps où l’on pouvait faire main basse sur tel ou tel secteur est révolu à jamais », avait dit le locataire de Baabda. Œil pour œil, dent pour dent. Surtout qu’Émile Lahoud avait argumenté sa théorie par l’exemple de la téléphonie mobile, un secteur qui a offert au Trésor des revenus supplémentaires, ce qui n’était effectivement pas le cas auparavant. Un exemple, aussi, qui fait mouche, puisque, dans cette affaire du cellulaire, il y a, entre autres, de nombreux proches du Premier ministre. Dont les escarmouches avec Jean-Louis Cardahi n’ont fait que rajouter de l’eau au moulin du chef de l’État, pétri visiblement d’une très chiraquienne idée selon laquelle il serait « le gardien de but » de l’équipe (de football) gouvernementale. Il n’empêche, Rafic Hariri a vite fait savoir qu’en s’employant à vouloir préserver l’argent public, « on peut contribuer à (le) dilapider ». Au-delà de leurs querelles « de boutiquiers », commes les qualifie régulièrement un homme politique qui les connaît bien, Émile Lahoud (qui n’est pas sans ignorer qu’il est extrêmement difficle de commencer à appliquer un discours d’investiture à un an de la fin du mandat qui lui a échu) et Rafic Hariri (qui a compris à quel point sa crédibilité a été écornée par sa conviction, féroce, qu’il vaut mieux avaler des couleuvres au kilo et abuser de compromissions plutôt que de laisser le champ libre aux autres) sont aujourd’hui face à quatre choix. Un : ne pas faire exploser la situation, oublier la présidentielle (qui se décidera sans doute sans eux) en attendant septembre prochain, continuer à atermoyer, trouver des compromis entre le blanc et le noir, faire prévaloir la situation régionale... Solution idéale sauf pour ceux qui estiment que le Liban a besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’un électrochoc pour espérer s’en sortir. Deux : provoquer le clash, fût-ce au détriment de l’un d’entre eux, et laisser l’autre sauver le pays ou se noyer en même temps que lui. Trois : se souvenir que sans réforme politique, il ne peut y avoir de réforme économique, que le Liban se doit de tenir ses engagements, dont ceux pris en novembre dernier à Paris, et que l’un sans l’autre, les deux pôles de l’Exécutif ont prouvé qu’ils ne pouvaient aller nulle part.
Rafic Hariri étant à Kuala Lumpur, le prochain Conseil des ministres aura lieu dans une dizaine de jours. Plusieurs réunions, des séances-test, d’autant plus que la correction du budget ne peut venir que des 31 hommes qui se retrouveront le 22 octobre. Avec, en toile de fond, les mots assénés, avec certes un peu de mauvaise foi, par Rafic Hariri place de l’Étoile, à la création de son deuxième cabinet sous le mandat Lahoud : « Je suis parfaitement conscient des circonstances qui accompagnent la formation des gouvernements au Liban. Nous attendons tous que ces circonstances finissent par permettre à l’ensemble des institutions de jouer pleinement leur rôle. » Le pouvoir se doit aujourd’hui de provoquer ces circonstances. Voilà le quatrième choix que le tandem de l’Exécutif devrait privilégier son challenge. Avec ou sans le « secours » du tuteur syrien. Il vaut mieux sans.
Ziyad MAKHOUL
Ce n’est plus un feuilleton, c’est une saga. Qui aurait pu se transformer en vaudeville, sauf qu’elle n’est, au fond, qu’une scandaleuse non-assistance à pays et à Libanais en danger. Les relations entre le chef de l’État et le Premier ministre, leurs scènes de ménage, leur incapacité à se mettre d’accord ne serait-ce que sur le nom d’un fonctionnaire de...