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Actualités - OPINION

Jean SALEM
Professeur à l’USJ

1– Il convient, du reste, de distinguer entre les différentes conceptions confessionnelles de la légitimité et l’exploitation de la notion au plan étatique.

S’il est normal d’attendre d’une thèse de doctorat qu’elle apporte une contribution inédite, un éclairage nouveau, ou tout au moins une perspective originale sur le sujet traité, il est beaucoup plus rare qu’un mémoire de maîtrise, fût-il des plus soignés, dépasse les ambitions et les limites de sa destination académique. Aussi est-ce une surprise et un véritable bonheur quand l’enseignant (et le lecteur éventuel) se trouve devant un travail qui sort des sentiers battus et tente de s’aventurer, diligemment et courageusement, sur les sentiers difficiles de la réflexion personnelle et de l’authentique recherche. Parmi ces heureuses exceptions, prend certes place le mémoire de maîtrise de sciences politiques que vient de soutenir, à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, Michel Hajji Georgiou, sous le titre Légalité et légitimité dans le système politique libanais en temps de crise (la période Aoun). Outre l’intérêt évident que présente le sujet sur le plan de l’analyse des coordonnées de base du régime politique du Liban, examiné à travers un épisode particulièrement dramatique et traumatisant de la vie institutionnelle du pays – ce qui le rend d’autant plus riche d’enseignements sur les mécanismes profonds qui commandent la praxis politique libanaise – le travail de Michel Hajji Georgiou, qui donne largement la parole aux principaux protagonistes des deux camps qui s’affrontèrent, présente le mérite d’insérer son analyse dans une réflexion plus large, très solidement informée, sur les concepts de légalité et de légitimité et sur leurs relations, qui ne sont pas toujours sereines ni pacifiques. Car si les deux notions sont, en principe, distinctes, et peuvent, de ce fait, se trouver plus ou moins disjointes, voire antagonistes, des interférences complexes s’établissent entre elles, qui conduisent à distinguer différents types de relations entre le légal et le légitime. En principe, le légal doit être présumé légitime, et ce, sous peine de l’anéantir dans ses fondements, son autorité et son existence même ; mais il n’est présumé légitime, d’une présomption non irréfragable, et qui cède devant l’évidence de la violation des normes supérieures de la légitimité, telles qu’elles découlent du droit naturel, du droit des gens et du consensus solidement établi des nations, sorte de commun dénominateur et patrimoine de la civilisation universelle. Dès lors, on est amené à affirmer qu’il n’est normalement pas de légitimité qui ne se coule dans un cadre légal, lequel la consacre, l’explicite et la formule dans la règle de droit, la loi positive, mais qu’elle garde la possibilité de s’en détacher. À partir de ces brèves réflexions, il est aisé de constater qu’au Liban, depuis l’indépendance du pays, la coïncidence de la légalité et de la légitimité ne s’est réalisée qu’exceptionnellement, et qu’on invoque trop souvent la seconde pour se dispenser de respecter la première, qui, à son tour – la confusion sémantique aidant –, sert à couvrir les atteintes les plus graves à la légitimité, laquelle se trouve alors entièrement absorbée par la légalité. Ainsi légitimité et légalité se trouvent-elles renvoyées dos à dos. La panoplie des justifications est invariable: défense de l’«unité nationale», lutte contre le confessionalisme, «échéances cruciales», sans oublier l’inévitable et fort opportun «complot israélien» qui tombe à point nommé pour justifier les atteintes les plus grossières à l’ordre constitutionnel et légal1. Toujours présente, en quelque sorte, à l’état latent, cette contradiction revêt, en temps de crise, un caractère aigu, que les mécanismes régulateurs des compromis et des arrangements au jour le jour ne parviennent plus à maîtriser, créant une situation ingérable qui remet en question les fondements, laborieusement acquis, de la coexistence nationale et de la paix civile. C’est à un situation de cet ordre que le pays s’est trouvé confronté durant la longue crise qui l’a secoué pendant plus
S’il est normal d’attendre d’une thèse de doctorat qu’elle apporte une contribution inédite, un éclairage nouveau, ou tout au moins une perspective originale sur le sujet traité, il est beaucoup plus rare qu’un mémoire de maîtrise, fût-il des plus soignés, dépasse les ambitions et les limites de sa destination académique. Aussi est-ce une surprise et un véritable...