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REGARD - Giampaolo Talani : peintures ; soie et couleurs Déchet de l’un, trésor de l’autre

Giampaolo Talani aime ce qui ondule et ce qui fait onduler : les vagues et le vent, les cravates qui flottent à l’horizontale, les bannières sinueuses plantées sur les forteresses de sable, les pantalons en accordéon, les cheveux en bataille, les airs de violoncelle, les désarrois intimes, les sentiments incertains, les couleurs grises, les mines blêmes, les regards perplexes. Il aime les limites mouvantes, la rencontre perpétuellement recommencée de la mer et du sable, la scansion de l’écume sur les fondations de châteaux précaires bâtis pour être engloutis par une lame plus audacieuse que les autres.

Poisson inattendu
Dans cette peinture d’excellente facture, la vie, l’histoire, la musique, l’art, c’est un peu ces châteaux provisoires aux étendards rouges déployés : réponses, si fragiles fussent-elles, à l’inanité ultime, à ce vent qui souffle à sa guise, on ne sait d’où vers où (mais on ne le sait parfois que trop bien, témoin l’Irak) et qui emporte tout sur son passage.
Le personnage énigmatique de Talani, en complet veston anthracite sur le sable de la plage, serre étrangement des poissons dans ses bras comme on bercerait un enfant, tentant de retenir ce qui, toujours, glisse, se dérobe et s’évade : le sens même des choses qui se situe, vessie pisciforme, à l’intersection de leurs cercles.
Autrefois cette « vesica piscis» symbolisait le mariage des polarités fondamentales mâles et femelles, positives et négatives, etc. : ainsi l’union des natures divine et humaine dans le Christ qui fut longtemps représenté, aux temps clandestins, par un poisson, « ichthus » en grec. Les premiers disciples, pêcheurs de leur état, furent, par un retournement paradoxal en apparence, pêchés par ce poisson inattendu.

Le vent du sens
Le poisson, c’est aussi, symboliquement le germe. Et le germe, c’est ce qui contient virtuellement la totalité, comme la semence contient l’arbre qui produira la semence qui contiendra l’arbre, dans un perpétuel recommencement, pareil à la rencontre hasardeuse mais nécessaire de la vague et du sable.
La balade talanienne à la plage, en quête de tout ce qui, par nature, est alternatif, rythmique et sinusoïdal, n’est donc pas si fortuite ni si futile que cela. Le vent du sens souffle comme bon lui semble, mais suivant cette loi ondulatoire, souvent avec une force décoiffante. Et les forteresses de sable de nos représentations mentales et de nos projections émotionnelles ne résistent pas longtemps, malgré leurs rouges bannières.
Le monde arabe a beaucoup de sable et peu de poissons. Le vent crie dans le désert et s’y perd, sans secouer un seul arbre.

Un cocon dans le thé
L’arbre, qui joue un rôle mémorable dans l’éveil de la conscience adamique de sa somnolence paradisiaque, joue le même rôle dans deux autres éveils au moins. Celui de Newton intuitionnant d’emblée la loi de la chute des corps par gravité (serait-ce la version scientifique de la chute symbolique des corps de l’Éden premier ?) et celui, moins célèbre mais tout aussi productif, de la princesse extrême-orientale qui, prenant le thé au frais sous un mûrier, vit chuter un cocon dans sa tasse, découvrant, du même coup, et le fil de soie et le principe du dévidage par ébouillantage.

Hécatombes
Tout le processus, depuis la ponte des œufs de bombyx jusqu’à la teinture du tissu de soie, est parfaitement illustré à la magnanerie de Bsous dans l’exposition « Soie et couleurs », passionnante pour les enfants qui n’ont pas la chance que j’ai eue d’élever des vers à soie dans mon jardin d’enfance, vert paradis où poussaient, arbres de vie, de connaissance et de mort, deux vigoureux mûriers.
Là aussi, c’est la même loi d’alternance rythmique qui est illustrée par les métamorphoses successives, de la chenille au papillon. L’homme n’obtient la soie qu’en détournant la loi à son profit, en interrompant son cours par une sorte de barrage qui ne laisse échapper que le peu de papillons destinés à perpétuer le cycle.
Là où l’homme passe, il laisse des hécatombes. Indispensables, croit-il, à son bien-être. Impressionnant le cynisme inconscient de la guide de l’exposition décrivant avec impassibilité, à titre de procédé purement technique, l’ébouillantage des cocons comme étant « l’étouffement » des chrysalides pour les empêcher de percer les précieuses enveloppes.
On coupe le fil de leur soi pour qu’elles ne coupent pas le fil de leur soie. Défense d’émerger à la lumière, en laissant derrière soi le cocon éventré. Le déchet du papillon est le trésor de l’homme.

La senteur du Liban
Pour cette parabole et beaucoup d’autres, pour l’agrément de la promenade en ces jours de végétation jubilatoire, avant que les feux de l’été ne viennent la dessécher, Bsous vaut amplement le détour.
Ne pas oublier de ramener des plantes aromatiques du cru, du «tymus vulgaris » à « l’artemisia arborescens », de l’« helicrysum italicum » au « pelargonium tomentosum », de la marjolaine à la lavande et à la sauge, en leurs variétés plus ou moins rares. Cultiver ces plantes odoriférantes sur son balcon, c’est respirer chaque matin un concentré de parfums pénétrants, cette essentielle « senteur du Liban » qu’exhalent les vêtements de la fiancée du Cantique des cantiques.
Pour peu que le vent souffle, elle embaumera partout, même si cette antique fragrance ne pourra guère masquer la puanteur du nouveau Liban, ce concentré de polluants, de miasmes, de relents et de remugles de toutes sortes qui nous prend au nez à longueur de journée. Malgré tout, un peu de parfum (naturel) réjouit le cœur de l’homme. (Galerie Aïda Cherfane, centre-ville ; magnanerie de Bsous, Association mémoire et développement).

Joseph TARRAB
Giampaolo Talani aime ce qui ondule et ce qui fait onduler : les vagues et le vent, les cravates qui flottent à l’horizontale, les bannières sinueuses plantées sur les forteresses de sable, les pantalons en accordéon, les cheveux en bataille, les airs de violoncelle, les désarrois intimes, les sentiments incertains, les couleurs grises, les mines blêmes, les regards perplexes....