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REGARD - Faisal Samra, installation et œuvres sur papier Moitié eau, moitié alcool

Formé à l’École des beaux-arts de Paris, Faisal Samra, 47 ans, n’est pas un inconnu au Liban. Il a exposé chez Épreuve d’Artiste des œuvres non conventionnelles et il expose en ce moment chez Agial des techniques mixtes sur papier qui jouent, dans une gamme de couleurs sourdes, sur des variations de mouvement, de texture, de densité et de luminosité. Avec une sensibilité attentive aux inflexions du vécu et aux fluctuations de l’instant pour en capter l’intuition fugitive. Cela donne des œuvres feutrées, discrètes, méditatives, qui incitent au silence et invitent à l’intériorité. Les Libanais ont peu le goût des œuvres sur papier, souvent plus révélatrices que de grandes peintures. Saleh Barakat, maître des lieux et des cérémonies, apprécie de plus en plus les accrochages aérés qui donnent l’espace de respiration indispensable aux œuvres. Il n’expose que 17 pièces datées de 1992, plus éthérées que d’autres, récentes, qu’il garde dans ses tiroirs.

Dénonciation
Cette notion d’espace se retrouve, plus accentuée encore, à la galerie Fennel (spécialisée dans l’installation, la photo, la vidéo) qui expose une autre démarche, plus activiste, voire quelque peu militante, de Faisal Samra. « Third World Citizen » se présente sous les espèces de deux coins-sanctuaires, assez distants l’un de l’autre, et se veut d’abord une dénonciation de l’hégémonie du premier monde sur le tiers-monde. Le deuxième monde n’existe plus depuis la chute de l’URSS. La dichotomie Est-Ouest est désormais remplacée par le clivage ou plutôt le fossé Nord-Sud. Le tiers-monde s’est donc volatilisé. On ne peut plus en être citoyen, du moins dans les mots sinon dans les faits. Faisal Samra retarde un peu sur l’actualité langagière.
Cela dit, la dénonciation de la domination politique, économique, technologique et culturelle du premier monde promoteur de la mondialisation, de la globalisation, du libéralisme capitaliste à outrance, de la communication manipulatrice et des télécommunications instantanées, bref de l’américanisation accélérée de la planète bousculant toute « exception culturelle », se fait ici non point avec les moyens propres d’un citoyen du Sud mais avec ceux du premier monde lui-même. La critique de l’aliénation opère avec ses instruments mêmes. Et donc, en un sens, elle tend à la renforcer plutôt qu’à l’affaiblir.

Un rite universel
Mais on nage ici en pleine ambivalence et la thèse inverse peut fort bien être soutenue : il s’agit de retourner les armes de l’ennemi contre lui-même en les détournant de leur usage habituel. Tout à fait comme des avions de ligne ont été utilisés pour détruire les tours jumelles. Quand Faisal Samra, qui ne manque pas d’évoquer ce temps fort de l’histoire récente tout comme, d’ailleurs, l’invasion de l’Irak, a recours à la vidéo pour exposer sa thèse, il cherche à détourner ce moyen d’expression éminemment premier-mondiste pour camper le sort du citoyen du reste du monde par des images-choc, une animation montrant un taureau montant une biche ou deux flèches affrontées, l’une blanche, l’autre noire.
Il ne manque pas non plus de fixer sa caméra pour filmer, répétitivement, comme pour marteler le message, des voitures filant sur une autoroute, soudain happées par une force invisible. Et, en contrepoint, un cycliste, visiblement du Sud, passant et repassant lentement devant un mur dans un paysage désolé. Si l’inégalité de niveau technologique est patente, il ne faut pas oublier que même la bicyclette est un produit du premier monde.
On vient se placer devant l’écran de la télévision comme devant un autel pour célébrer un rite devenu universel. Le film passe en boucle et il tend, comme beaucoup de films lents à montage hétéroclite qui mettent votre patience à l’épreuve, à vous démonter, à provoquer des réactions de rejet. On ne discerne pas bien si le rejet s’adresse à la forme filmique, au contenu ou aux deux à la fois. La marge d’interprétation reste très ouverte.

Naufrage d’un monde
On se lève perplexe, sans avoir tranché la question ni avoir compris comment cette dénonciation, qui est en somme une pure description, peut contribuer à soulager le sort du « citoyen » concerné. Bien entendu, Faisal Samra ne cherche pas à proposer de thérapie, mais son diagnostic est approximatif et son pronostic inexistant. En somme, il s’agit du simple rappel d’une condition générale qui aurait pu être le fait d’un article de journal, d’un tract, d’un livre. C’est le problème des artistes installationnistes qui cherchent à exposer d’une manière plus ou moins métaphorique, alambiquée ou confuse des idées simples, formulables plus clairement par d’autres moyens. En cela, ils désamorcent la spécificité de leur démarche, comme la plupart des artistes dits engagés.
L’intérêt de cette exposition à deux volets vient donc d’ailleurs, de l’assimilation du téléviseur à un autel domestique : le second volet est, précisément un tel autel, une table avec des bougies fichées autour d’un cadre décrépit portant l’effigie d’une vedette du cinéma indien avec un tigre, un perroquet et un Donald Duck en plastique et des figurines agenouillées sans têtes en pâte à modeler.
Un culte dérisoire rendu à des valeurs futiles, quasiment puériles. Telle semble être la culture du « tiers-monde » de Samra : un ramassis inconsistant de déchets, d’objets de pacotille et de rebut, une ferveur quasi religieuse adressée à des idoles vides, épaves du naufrage d’un monde qui ressemble à un marché aux puces du pauvre. C’est la dénonciation du passé religieux et/ou culturel, complémentaire de la dénonciation de l’hégémonie de la culture dominante.

Le jeu du serpent
Sur les deux autels, il y a un cadre avec un écran, l’un animé, l’autre inerte. Autour des deux, le citoyen du tiers-monde décervelé se recueille devant des images aliénantes qui le volent à lui-même en lui donnant la fausse impression d’être comblé. Il perd sur les deux tableaux, celui de la modernité et celui de la tradition. Il ne peut ni vivre l’une ni revivre l’autre.
Comme le serpent qu’on enferme dans un bocal rempli à moitié d’eau et à moitié d’alcool, il fuit sans cesse d’une moitié à l’autre jusqu’à complet épuisement. Ce jeu cruel se pratiquait dans les villages de la montagne. Peut-être s’y pratique-t-il encore (Galerie Agial, Galerie Fennel).

Joseph TARRAB
Formé à l’École des beaux-arts de Paris, Faisal Samra, 47 ans, n’est pas un inconnu au Liban. Il a exposé chez Épreuve d’Artiste des œuvres non conventionnelles et il expose en ce moment chez Agial des techniques mixtes sur papier qui jouent, dans une gamme de couleurs sourdes, sur des variations de mouvement, de texture, de densité et de luminosité. Avec une sensibilité...