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CORRESPONDANCE « Ciao Federico ! » : Fellini et ses fantômes(photos)

PARIS – De Mirèse AKAR

Pour avoir fréquenté Gideon Bachmann aux Festivals de Cannes et de Venise, je savais quel fou de cinéma il était et le culte, parfois puéril, qu’il vouait aux détails pour initiés. Si par exemple nous nous trouvions dans le salon-bar de l’Excelsior, sur le Lido, et qu’y pénétrait Alida Valli, il intimait aussitôt au pianiste l’ordre de jouer l’air du Troisième homme. Autrement, quelque chose aurait manqué à la scène !

Des « contraintes
providentielles »
Collectionneur invétéré, il avait amassé les plus belles affiches de films depuis les débuts du 7e art et avait d’ailleurs fini par les vendre pour une somme fabuleuse. Mais il collectionnait aussi des propos de cinéastes, et bien lui en a pris d’avoir gardé les rushes des prises de vues de Satyricon (1969) et de les avoir si bien exploités dans son Ciao Federico ! qui sort aujourd’hui en même temps que dix-neuf films de Fellini, pour le dixième anniversaire de la disparition du réalisateur.
Cette chronique décousue épousant les aléas d’un tournage nous offre un florilège de réflexions éclairantes sur les démons intimes, la philosophie et les paradoxes du maestro. Ainsi fait-il l’éloge inattendu des anicroches et problèmes de tous ordres qui surgissent au cours d’un tournage, devenant pour lui autant de « contraintes providentielles ». Et il n’hésite pas à qualifier de bienvenus ces obstacles qui « aiguisent le désir » et, à leur façon, coopèrent à la réussite de ses films.
C’est avec des « fantômes », explique-t-il, qu’il vit durant leur préparation, et ceux-là devront s’incarner et s’animer à chaque fois qu’il s’écrie « motore ! ». S’il donne une foule d’indications, s’il en dit parfois même trop, ce ne sera malgré tout jamais assez pour l’équipe qui l’entoure. Et l’on sent bien qu’il est seul à jouir d’une sorte de prescience lui permettant de voir déjà, au-delà du montage, ce que les autres sont encore incapables de deviner.

« De bonnes vibrations »
Se montre-t-il facilement satisfait d’une prise ? Oh, que non ! « Una ultima ! » décrète-t-il, en imposant une de plus à des acteurs parfois exténués. « Santa Madonna ! » s’exclame-t-il d’autres fois pour marquer son exaspération. Ses sautes d’humeur, que le micro-cravate prévu par Gideon Bachmann restitue fidèlement, il ne semble pas en avoir honte : « Si je n’évacuais pas toute cette pression, elle me ferait exploser ! » Renzo, Robert ou Augusto en prennent donc parfois pour leur grade. À tel autre, il arrive qu’il serve carrément une bordée d’injures. Avant de commenter, le plus sérieusement du monde : « Nous parlons comme ça à Rome. C’est un langage affectueux ! » L’essentiel, pour lui, reste sans doute d’avoir « de bonnes vibrations ».
Le miracle est que, sur le plateau, ce prodigieux illusionniste parvienne à s’abstraire du brouhaha pour continuer de vivre dans son univers à lui. On est d’ailleurs toujours mal avisé de le déranger. À une question trop insistante d’un journaliste, il répond avec un demi-sourire : « Allez donc faire un tour au bureau de presse. Ils ont toutes mes déclarations. » Gideon Bachmann, quant à lui, parvient à le faire parler : dans un anglais approximatif autant qu’en v.o. italienne. À un moment donné, Fellini le présente comme un « membre de la fédération des emmerdeurs. » Nul doute que l’intéressé ait pris cela pour un compliment.
PARIS – De Mirèse AKARPour avoir fréquenté Gideon Bachmann aux Festivals de Cannes et de Venise, je savais quel fou de cinéma il était et le culte, parfois puéril, qu’il vouait aux détails pour initiés. Si par exemple nous nous trouvions dans le salon-bar de l’Excelsior, sur le Lido, et qu’y pénétrait Alida Valli, il intimait aussitôt au pianiste l’ordre de jouer l’air du...