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Actualités - CHRONOLOGIE

La thalassocratie avant Homère

Avant les Grecs, qui sont des tard venus dans le monde levantin, les humanités antéhelléniques n’ont pu vivre autrement que tous leurs successeurs. Que l’on imagine ces premiers autochtones aussi barbares que l’on voudra, ils devront encore nous apparaître semblables à ces populations malaises dont les guerriers, armés de jade et outillés de bois, sillonnaient les immensités du Pacifique bien avant que les voiliers de nos conquistadors en eussent découvert le chemin. Avant les Argonautes, la Méditerranée dut connaître d’autres marines. Avant l’histoire grecque, il y eut une préhistoire méditerranéenne. Les monuments égyptiens mentionnent constamment ces «peuples de la mer». Les anciens, au reste, avaient cette opinion. Avant les thalassocraties, comme ils disaient, d’Athènes, d’Égine, de Mégare, d’Ionie ou de Crète, ils affirmaient l’existence de thalassocraties étrangères, pélasgiques, thraces, chypriotes, cariennes, phéniciennes, lydiennes ou phrygiennes, dont ils se transmettaient la liste et les durées respectives. Eusèbe, d’après Diodore, énumère ainsi les thalassocraties qui, de la guerre de Troie aux guerres médiques, tinrent les mers, «maria tenebant» : I. Lydi et Macones, annos XCII II. Pelasgie, –– LXXXV III. Thrakii, –– LXXIX IV. Rhodii, __ XXIII V. Phrygii, __ XXV VI. Kyprii, __ XXXIII VII. Phynikii, __ XLV VIII. Aegyptii, __ … IX. Milesii, __ (XVIII) X. (Cares), __ (LXI) XI. Lesbii, __ (LXVIII) XII. Phokaei, __ XLIV XIII. Samii, __ … XIV. Lakedæmonii, __ II XV. Naxii, __ X XVI. Eretrii, __ XV XVII. Egineuses __ X. Ce mot de thalassocratie rend bien compte du phénomène qu’il veut définir. À travers toute l’histoire écrite, la Méditerranée est comme un empire où règne toujours une marine en maîtresse presque absolue. Cette marine dominante fait la police et la loi, lève les tributs ou les bénéfices, impose ses habitudes et sa langue, et fait que tour la mer est un lac anglais, français, italien, arabe ou grec. Ce n’est pas à dire – et il faut bien nous entendre là-dessus quand nous parlerons de thalassocratie phénicienne – que la marine régnante supprime toute concurrence et fasse elle-même toutes les besognes, sans élèves, sans rivaux, sans collaborateurs. Les barques et les bateaux indigènes cabotent toujours, pêchent et trafiquent toujours sur les côtes de leurs îles ou dans leurs rades et leurs golfes. La thalassocratie anglaise de nos jours n’a pas supprimé les flottes espagnole, française, italienne, grecque, etc. Au XVIIe siècle – nous ferons grand usage, pour nos comparaisons, de cette période qui nous est bien connue –, la thalassocratie franque a des concurrents arabes, turcs et barbaresques, des collaborateurs ou des élèves grecs, arméniens, syriens, etc. Mais à toutes les époques, les «peuples de la mer» se mettent à l’école, sous la férule et sous l’exploitation des thalassocraties, naviguent comme eux, comptent et paient comme eux, s’habillent comme eux, parlent souvent comme eux. Bref, si les marines locales subsistent, elles deviennent les sujettes et les servantes de la marine étrangère. Le mot thalassocratie correspond donc à une éternelle réalité. Mais quelle valeur peut avoir la liste, donnée par les lexicographes, des thalassocraties primitives ? Il est à craindre que ce catalogue n’ait, à travers l’antiquité, subi les mêmes épreuves que le Catalogue des vaisseaux homériques. Chaque auteur, en recopiant cette liste, dut augmenter les numéros de la série, en prolonger la longueur, en renverser l’ordre, au gré de ses préjugés ou de son patriotisme. Je crois qu’il est impossible de tirer de cette liste quelque renseignement certain. Il est des auteurs anciens qui nous ont parlé de ces premières marines. Mais leurs affirmations concises et peu nombreuses ne nous conduisent pas à plus de certitude. Même quand ces auteurs sont Hérodote et Thucydide, la part de vérité et la part de légende, ou du moins les apparences de vérité et les apparences de légende, sont dans leur texte mêlées trop étroitement : il faut quelque critérium extérieur pour les discerner.
Avant les Grecs, qui sont des tard venus dans le monde levantin, les humanités antéhelléniques n’ont pu vivre autrement que tous leurs successeurs. Que l’on imagine ces premiers autochtones aussi barbares que l’on voudra, ils devront encore nous apparaître semblables à ces populations malaises dont les guerriers, armés de jade et outillés de bois, sillonnaient les immensités du Pacifique bien avant que les voiliers de nos conquistadors en eussent découvert le chemin. Avant les Argonautes, la Méditerranée dut connaître d’autres marines. Avant l’histoire grecque, il y eut une préhistoire méditerranéenne. Les monuments égyptiens mentionnent constamment ces «peuples de la mer». Les anciens, au reste, avaient cette opinion. Avant les thalassocraties, comme ils disaient, d’Athènes, d’Égine, de Mégare,...