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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Atelier de travail - Les femmes journalistes dénoncent les mentalités machistes Réflexion, à plusieurs voix, sur la participation de la femme libanaise à la vie politique

Qui peut rendre compte de la situation de la femme mieux que les gens de la presse ? Qui d’autre que le monde des médias, ce lieu par où convergent toutes les informations, peut refléter l’image du sexe dit faible, là où il se trouve en même temps acteur et victime ? Diverses questions relatives à la femme ont été au centre de l’atelier de travail initié par la Fondation René Moawad le week-end dernier. Une dizaine de journalistes ont ainsi été conviés à un débat en présence d’intellectuels et de professeurs d’universités, durant trois journées consécutives. Toutes les idées ont été confrontées et mises en commun sur le thème de la «Femme dans la vie politique». Objet de désir ou accessoire publicitaire par excellence, mais encore journaliste de terrain ou moissonneuse d’informations, mais rarement décideur, la femme continue de lutter aujourd’hui pour se faire reconnaître, non plus en tant qu’assistante, aide, ou subalterne, mais comme partenaire à part entière. Femme fatale, femme-objet, femme au foyer, femme militante, femme féminine, femme intellectuelle, ce sont toutes ces images à la fois que véhicule la femme libanaise, perçue dans toutes ses contradictions, un peu à l’image de cet environnement complexe dans lequel elle baigne. Mais, une évidence semble se dégager des débats animés par les représentants des médias libanais et les chercheurs réunis à Ehden : si la femme est présente un peu partout, très archaïquement d’ailleurs, elle ne l’est certes pas sur la scène politique. Qu’est devenue la situation de la femme libanaise depuis le fameux sommet de Pékin de 1995 ? Celui-ci devait marquer le point de départ d’un long cheminement à emprunter par les pays du monde, mais plus particulièrement par ceux d’entre eux où la lutte féminine en était à ses premiers balbutiements. Où en sommes-nous cinq ans plus tard ? La femme libanaise peut-elle se prévaloir aujourd’hui de certains acquis obtenus ou arrachés à l’issue d’un combat de longue haleine dont se souvient peut-être la génération qui a côtoyé Laure Moghaizel ? Est-elle parvenue à créer des brèches ou à réaliser des gains ponctuels sur le plan de la vie publique ? Le bilan, calculé en nombre de postes «conquis» par les femmes dans le secteur public, n’est pas tout à fait satisfaisant. À l’issue des élections parlementaires, et bien que le nombre des candidates qui se sont présentées était relativement intéressant, le résultat n’en était que plus décevant, s’accordent à dire les participantes. Trois députés, c’est vraiment peu, d’autant plus que deux d’entre elles doivent leur entrée en politique à des hommes, et la troisième, la nouvelle élue (Ghounwa Jalloul) au fait qu’elle se trouvait sur une liste extrêmement forte, soulignent certaines intervenantes. «Certes, rétorque Jean Makdessi, chercheuse à l’Association Bahithat, c’est toujours un acquis. Ces femmes, dit-elle en parlant de Nayla Moawad et de Bahiya Hariri, se sont exprimées plus que bon nombre de députés hommes qui siègent au Parlement depuis des années et qui ont brillé par leur passivité». Bien que plusieurs candidats aient axé leur campagne électorale sur le thème de la femme, on s’aperçoit qu’il ne s’agissait véritablement que d’une stratégie de marketing politique circonstancielle, les slogans électoraux n’ayant pas été accompagnés d’un programme solide adressé au groupe des femmes, fera remarquer une journaliste. Ce à quoi Fahmiyé Charafeddine, professeur à l’UL, répondra en avançant l’exemple de la campagne du candidat à la présidence américaine Al Gore, de plus en plus axée sur la femme : «À la seule différence, dit-elle, que les démocrates avancent tout un programme qui intéresse particulièrement les femmes dont par exemple le problème de l’avortement, en plus de questions sociales concrètes». Constat d’échec et diagnostic Si à l’Assemblée nationale, la gente féminine reste encore très minoritaire, ailleurs, sa situation n’est pas plus brillante. Bref, ce sont quelques sept postes publics en tout et pour tout que la femme aura réussi à conquérir après de longues années d’efforts : un directeur général, (au ministère des Affaires sociales), un directeur général de l’Administration centrale de la statistique (rattaché au Conseil des ministres), deux présidentes de conseils municipaux, une présidente de l’Ordre des pharmaciens, une présidente de l’Ordre des dentistes (à Tripoli), et un caïmacam à Batroun. Aucune représentation au sein des syndicats n’a pu être obtenue jusqu’à présent, une lacune grave qui sera relevée à plusieurs reprises par les intervenants. Si le constat d’échec est évident, encore faudrait-il en diagnostiquer les causes et les origines afin de pouvoir, dans une seconde phase comme nous l’explique le directeur de la Fondation Joseph Moawad, établir les recommandations, ainsi qu’un plan d’action adéquat. C’était d’ailleurs le but annoncé de cet atelier de travail qui, parallèlement, s’est adressé à d’autres groupes-cibles, à savoir les universitaires et les professions libérales. Pourquoi la femme libanaise, à l’instar de son homologue tunisienne ou même marocaine, n’a-t-elle pas encore réussi sa révolution ? Pourquoi dans un pays où l’on se targue d’être un modèle de démocratie et un exemple de libéralisme parmi les pays arabes, la femme reste reléguée au second rang alors même qu’elle a été proclamée à maintes reprises l’égale de l’homme ? Que ce soit dans la Constitution libanaise ou dans les conventions internationales signées par le Liban, qui toutes font référence aux droits sociaux, économiques et culturels de la femme, on n’aura jamais assez insisté sur l’importance du rôle de cette dernière comme associée et partenaire actif dans le processus de développement. En vain. Dans un système confessionnel, fondé d’une part sur l’impact des statuts religieux sur la vie quotidienne des femmes, et d’autre part sur l’emprise du confessionnalisme politique et son effet sur l’entrée de la gente féminine dans le cercle du pouvoir, tout semble s’ériger en obstacle insurmontable à l’affirmation des droits sociaux et politiques de la femme. «La Constitution libanaise affirme en même temps que la femme est l’égale de l’homme et rappelle que le Liban s’engage à respecter la Charte des droits de l’homme, ainsi que tous les instruments internationaux allant dans le même sens. Mais d’autre part, et dans un esprit tout à fait contraire, elle laisse toute liberté aux confessions de gérer comme bon leur semble leur statut personnel, affirme Mme Alia Berty Zein, présidente de la commission Droit et statut de la femme à l’Union internationale des avocats. Et l’avocate de démontrer les effets concrets, du point de vue légal des différents statuts, sur le plan du divorce ou de l’héritage, consacrant une double discrimination d’abord en faveur de l’homme et ensuite entre les diverses communautés. «D’où la nécessité d’une loi unifiée, appliquée par un pouvoir civil qui prenne en considération la liberté de croyance de chaque religion», dira Mme Zein. Les quotas, un artifice légal ? Problème de statuts personnels mais aussi de lois électorales et de système politique qui empêchent l’accession de la femme au pouvoir, font valoir les participantes. La question de quotas a été longuement débattue. Pour ou contre un «artifice» légal qui faciliterait ou plutôt imposerait l’accès d’une part de 10 % des femmes à l’hémicycle ? Deux équipes «arbitrairement» divisées, chargées de défendre ou d’invalider le concept, ont présenté leurs arguments respectifs. «Le concept de quotas, malgré ses inconvénients, peut servir de béquilles ou d’appui provisoire pour aider la femme dans un premier temps à accéder au Parlement, quitte à lui permettre de faire ses preuves jusqu’à ce qu’elle puisse s’affirmer par la suite par ses propres moyens. Elle ne saura attendre indéfiniment que les mentalités se transforment et que les réflexes se féminisent», arguent les premiers. «Ce système est antidémocratique, il perpétue le régime des quotes-parts confessionnelles, en privilégiant le système féodal sur l’idée de méritocratie. La femme ne doit pas être un faux témoin, mais un facteur de changement par excellence. Elle ne peut pas accepter, même provisoirement, de jouer le jeu», rétorquent les autres. Mais de tout cela que pensent les hommes ? Une société telle que la nôtre ne peut que générer des mentalités machistes et continuera à éloigner la femme de la sphère publique ou de moins des fonctions-clé du pouvoir. C’est peut-être l’idée majeure que l’on peut tirer de ce débat qui a également suscité la question des «complexes» de notre société orientale. Même dans les milieux les plus éduqués – et là réside tout le problème – on refuse toujours de voir la femme accéder à des postes de décision aussi bien dans le secteur public que privé. «Nous avons toujours une réflexion de type sexiste et il n’est pas facile de s’en débarrasser», reconnaîtra Akl Awit, directeur du supplément culturel al-Moulhak du quotidien an-Nahar, en réponse à la question de savoir pourquoi dans ce quotidien aucune femme n’est encore parvenue à un poste de direction. Cette mentalité n’est pas une caractéristique propre à ce quotidien, mais à toutes les institutions publiques et même privées. Les journalistes en témoignent, leurs conditions de promotion également, ainsi que les possibilités d’accès au syndicat des journalistes, qui leurs sont interdits depuis un certain temps… ! «Pourquoi, s’interroge Jean Makdessi, chercheuse à Bahithat, ne donne-t-on jamais aux femmes la chance de passer sur une chaîne télévisée pour exprimer leur avis sur un sujet de politique générale, d’économie ou de diplomatie ? Est-ce parce que nous n’avons pas assez d’expertes ou tout simplement parce que la femme n’a pas sa place sur ces tribunes ?». «La femme sait exactement ce qu’elle veut. Le seul problème est le regard que porte sur elle la société», certifie Scarlett Haddad invitée pour venir témoigner de son expérience en tant que journaliste-femme. La jeune journaliste retrace ces péripéties de reporter, où souvent sa féminité, au lieu d’être une arme, s’est transformée en obstacle. «Une femme journaliste, c’est souvent bon pour aller pêcher les informations, parce que c’est une femme. Malheureusement, dit-elle, il existe très peu de femmes qui font des analyses politiques et pratiquement aucune éditorialiste au Liban. Cela est dû à la mentalité qui prévaut. On ne lui permet pas encore d’être plus qu’elle n’est». Évoquant l’affaire Cobra à la suite d’une question soulevée par le public, Scarlett Haddad mettra l’accent sur la difficulté dans laquelle se trouvent les femmes qui sont attaquées sur des sujets privés. La femme reste vulnérable et ne peut pas facilement se défendre, relève la journaliste. Le combat n’en est que plus justifié. Que de chemin encore à faire. À commencer par les mentalités. Mais comme l’a souvent répété Jean Makdessi au cours de cet atelier de travail, rien, absolument rien, ne se fera sans un mouvement féministe actif, qui provoquera un véritable bouleversement au niveau de la condition féminine. Et Mme Makdessi de rappeler aux participantes les propos d’Auguste Bakhos s’adressant à Laure Moghaizel : « Vous n’obtiendrez rien à moins de vous organiser un jour en une force de pression qui enfoncera les portes du Parlement».
Qui peut rendre compte de la situation de la femme mieux que les gens de la presse ? Qui d’autre que le monde des médias, ce lieu par où convergent toutes les informations, peut refléter l’image du sexe dit faible, là où il se trouve en même temps acteur et victime ? Diverses questions relatives à la femme ont été au centre de l’atelier de travail initié par la...