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Actualités - REPORTAGES

Du mot à la forme (photos)

Il est vrai que la tendance est au dépouillement. Un parti-pris qui simplifie par ailleurs la production en série et réduit les coûts de fabrication. Pour les étudiants, c’est aussi une discipline, un retour au degré zéro de l’objet, une manière de le «terroriser», d’en oublier les normes, les formes et les conventions, d’interroger un mot, un «désignant», pour aboutir à une fonction, puis à une image neuve. Le design serait ainsi un enfant du langage, l’équivalent d’un structuralisme appliqué à l’objet, une forme nouvelle offerte aux mots, et comme en toute entreprise de création, une lutte permanente contre le poncif. Autour du thème «La bougie et le bougeoir», Joseph Abed a dégagé le verbe «bouger», une idée de mouvement. Or, la bougie est traditionnellement fixe et statique. J’ai donc imaginé une sorte de pique-fleurs avec des tiges métalliques souples et amovibles au bout desquelles dansent des flammèches. La forme évoque un feu d’artifice, et l’objet est flexible, on peut le composer selon son humeur !» Sponsorisé par l’argenterie Siom, le bougeoir mobile de Joseph Abed a trouvé éditeur. Sur le même thème, Gabrielle Bouhabib a réfléchi sur la parenté de la bougie avec les quatre éléments : l’eau, évoquée par la cire, le feu, par la mèche, l’air, par la fumée, et la terre par l’enracinement de l’objet dans un support. Elle a abouti à une sphère en plexiglas qui s’ouvre par un mouvement tournant, à la manière d’un éventail, et d’où se dégagent quatre bougies enchâssées dans des palettes. Pour Mounia Matta, depuis l’électricité, la bougie ne sert plus vraiment à éclairer mais à créer une ambiance. Dégagée de sa fonction de luminaire, elle appartient désormais au domaine de l’ombre qu’elle modèle à souhait. Un lumignon paré d’une résille métallique dessine autour de lui une toile fine et donne au clair-obscur une texture veloutée. Pour Mounir Mounla, le feu est primitif, il nous vient de la pierre. Le rugueux silex, symbole d’une pensée fruste, parvient au troisième millénaire sous l’aspect lisse d’un galet, poli et aseptisé par l’évolution. Il y rattache une simple tige au bout de laquelle brille une flamme. Plus zen ?... quant à Marc Schehadé, il s’est interrogé sur la mécanique de la combustion et son lien avec le temps, en occultant tout simplement l’existence de la bougie. Que faire donc avec de la cire pour obtenir de la lumière ? Un diabolo en verre fera office de sablier. À travers ses doubles parois, des bâtons de paraffine alimentent régulièrement une flamme située au centre de l’objet. Procédé d’autant plus raffiné qu’il est réversible, et soumis à des calculs physiques complexes dont dépend la survie de la flamme. Dans le même registre, Marc Baroud a réfléchi sur le thème du jouet en bois et la pérennité de certains jouets tels que le train électrique. Sa conclusion : l’attachement de l’enfant à l’objet est essentiellement dû au mouvement hypnotique du mécanisme des roues. En effet, celles-ci semblent reculer alors que le train avance. Il a donc imaginé un jouet à tirer, sans autre identité que celle de son mécanisme : une grosse boule posée sur quatre petites. À mesure que celles-ci sont tractées vers l’avant, la grosse boule sautille bruyamment à rebours. Au rayon meubles, Zeina Salamé a décidé de doter la rue Bliss de bancs publics. Pendant plusieurs jours elle a observé la faune des universitaires : ils ne tiennent pas en place, ou alors s’adossent à des poteaux et ne posent leurs postérieurs que pour rassembler leur fardeau de cahiers qui part dans tous les sens. Ils bavardent, s’animent, saluent, vont à la rencontre les uns des autres. Pour eux, elle a imaginé des sièges mi-selles, mi-tabourets de bar, en position mi-assise, mi-debout. Le valet de nuit de Roselyne Metni est une sorte de pouf en forme d’œuf (typiquement féminin, constatera Feertchak, en voulant montrer que les objets ont un sexe). Les effets y sont littéralement jetés en vrac. «Le rythme actuel de la vie fait que le soir, on se déshabille à la hâte et on n’a pas envie de suspendre ses vêtements. Ce produit est en somme un réceptacle du désordre, avec tout de même une bouture en acier surmontée d’une forme de cintre pour montrer qu’«on n’est pas des sauvages !» Enfin, en vue de la biennale de Saint-Etienne, réfléchissant à une identité libanaise du produit, Myriam Akl a imaginé,dans la foulée de la libération du Sud, un pique-fleurs en teck massif, sculpté de rigoles et recouvert d’une maille de fer. Tout un symbole. Tous ces objets, «les douze» les ont testés, pensés, analysés ensemble. Pour Zeina, un produit doit servir et plaire au plus grand nombre. Il est donc important d’en observer l’effet sur l’entourage immédiat. Pour Joseph, il faut être une équipe pour faire aboutir un projet. Quand on a la chance de profiter des dons, des talents et des conseils de chacun, on optimise le résultat du travail. Belle solidarité !
Il est vrai que la tendance est au dépouillement. Un parti-pris qui simplifie par ailleurs la production en série et réduit les coûts de fabrication. Pour les étudiants, c’est aussi une discipline, un retour au degré zéro de l’objet, une manière de le «terroriser», d’en oublier les normes, les formes et les conventions, d’interroger un mot, un «désignant», pour aboutir à une...