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Actualités - CHRONOLOGIE

Obstétrique "Tu enfanteras dans la douleur"

Un visage congestionné et fripé, un corps enduit de liquide visqueux, un cri... Même si la scène se répète depuis la nuit la plus reculée de l’existence de l’homme sur terre, la naissance reste l’événement le plus extraordinaire, le plus bouleversant, même pour les plus aguerris des accoucheurs. L’éclosion d’un être humain, même si on a depuis bien longtemps décrypté le mécanisme, reste toujours un miracle qui émeut profondément. Des siècles durant, ce merveilleux moment était une occasion de grandes, d’insoutenables souffrances pour la mère, qui payait souvent de sa vie le privilège d’être la seule à donner la vie. Les petits êtres aussi ne sortaient pas toujours indemnes de cette périlleuse traversée vers la lumière. Jusqu’à la seconde moitié du vingtième siècle, la mortalité périnatale, même dans les pays avancés, atteignait des taux effrayants. Ce n’est qu’au cours de ces trente dernières années que de nouvelles conceptions scientifiques et technologiques ont radicalement modifié «l’assistance à la naissance» au grand bénéfice de la mère et de l’enfant. En Europe, dans les pays les plus avancés, jusqu’à la Première Guerre mondiale (1914-1918), une femme sur cent mourait en couches. En 1950, grâce aux progrès des connaissances et l’effort des médecins, la mortalité a pu être abaissée à 50 décès pour 100000 naissances. La césarienne, à elle seule, a permis le salut d’un nombre incalculable de femmes. Après la Seconde Guerre mondiale, en effet, une autre méthode, celle du contrôle respiratoire, dite (abusivement) «d’accouchement sans douleur», est venue associer la femme plus activement à la mise au monde de son enfant. Elle a eu le mérite d’instaurer une nouvelle approche de la sacro-sainte douleur de l’enfantement, sans grands effets sur sa durée ou son intensité. Mais déjà la prise en charge de cette épreuve si pénible représentait un grand pas en avant. Depuis, les nouvelles notions et les antibiotiques ont permis une amélioration très importante quant à la sécurité autant de la mère que celle du nouveau-né... Il est toutefois indéniable que l’accouchement est une violence. Dans son ouvrage Le Passeur (Éd. Plon), le Dr Popiernik n’hésite pas à affirmer: «Une naissance est un voyage et l’accouchement reste une violence, un moment brutal où la femme devient mère et le fœtus un être humain». Ce que fait la science, c’est de lui assurer les meilleures conditions et le minimum de risques. Même si on admet avec le Dr Popiernik – qui compte à son actif 80000 accouchements au cours de sa carrière – que la mise au monde d’un enfant reste une violence, on ne peut ignorer la réforme radicale opérée dans la manière d’accoucher et d’accueillir le nouveau-né au cours de ces trente dernières années. La prise en charge de la douleur de la mère et l’amélioration incontestable de la sécurité de l’enfant font partie des grandes performances de la médecine du XXe siècle. Pendant bien longtemps, la priorité médicale n’était pas de calmer ou d’apaiser la douleur de la mère, mais de la garder en vie. Il a fallu deux siècles et demi d’efforts pour que la mortalité maternelle soit réduite. La découverte de la pénicilline et de nouvelles approches scientifiques révolutionnaires ont contribué à épargner à l’humanité les hécatombes périnatales. Dans les années 50, le Dr Fernand Lamaze, à la clinique des Bleuets, à Paris, appliquait une méthode de contrôle respiratoire dite «accouchement sans douleur» sans que son appellation, toutefois, corresponde réellement à son effet sur la douleur. Grâce à un entraînement préparatoire, commencé dès le second trimestre de la gestation, la future mère prenait elle-même en charge ses contractions au moment de l’accouchement. La panique, la crispation musculaire, la grande tension nerveuse étaient quasi abolies et l’accouchement se déroulait dans des conditions optimales. La méthode était loin d’être miraculeuse mais elle dédramatisait en quelque sorte l’épreuve et, pour la première fois, reconnaissait à la femme le droit de refuser de souffrir pour mettre au monde ses enfants. La méthode a ainsi imposé à la société la conviction qu’il était parfaitement légitime de dissocier la naissance des douleurs de l’accouchement, considérées comme expiatoires du péché originel. L’exemple américain Contrairement aux pays européens, les États-Unis avaient des conceptions bien plus libérales sur la question. Dès le milieu du XXe siècle, des anesthésistes spécialisés appliquaient des techniques, mises au point dans les hôpitaux militaires pour soulager les grands blessés, aux parturiantes qui en faisaient la demande. «La péridurale» d’aujourd’hui tire de là son origine. À l’époque, le manque d’anesthésistes professionnels a empêché la diffusion de son application dans les pays européens. Il a aussi fallu du temps au corps médical avant d’admettre qu’il n’était pas normal de souffrir autant pour mettre au monde son enfant. Les mouvements féministes ont été pour beaucoup dans l’abolition de l’idée bien ancrée de la douleur rédemptrice de l’accouchement. Une autre cause du retard de l’application de la péridurale dans cette partie du monde (elle n’est appliquée en Europe que depuis les années 70) c’était le manque d’équipes spécialisées et bien entraînées. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui où souffrir en accouchant devient une exception. Le prématuré est une personne Durant longtemps et jusqu’en 1960, dans les livres d’obstétrique, l’enfant en gestation était qualifié de «mobile fœtal», car autant lui que le nouveau-né n’étaient pas reconnus comme des personnes à part entière. En conséquence, sa souffrance n’était pas prise en considération. Aujourd’hui, il est admis qu’un nouveau-né en réanimation, avec un tube dans la trachée, peut avoir mal et doit être soulagé. Depuis quelques années, l’administration d’antalgiques est admise en médecine néonatale. Il a fallu des siècles pour que le comportement, même dans les pays les moins avancés, face à la naissance se réforme. Aujourd’hui nous sommes déjà bien loin de ce qui prévalait il y a un quart de siècle et même moins. La mortalité périnatale n’atteint plus les effrayants sommets d’antan. À différents degrès, la prise de conscience est générale. La médication de la naissance, que certains passéistes nostalgiques déplorent, a sauvé des millions de vies.
Un visage congestionné et fripé, un corps enduit de liquide visqueux, un cri... Même si la scène se répète depuis la nuit la plus reculée de l’existence de l’homme sur terre, la naissance reste l’événement le plus extraordinaire, le plus bouleversant, même pour les plus aguerris des accoucheurs. L’éclosion d’un être humain, même si on a depuis bien longtemps décrypté le...