Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Regard - Musée Nicolas Sursock : "Le livre" (1) Une oeuvre en soi

«Le Livre», estampillé du nouveau logo du Musée Nicolas Sursock – un S vertical et un S horizontal croisés formant un nœud à quatre boucles évoquant le motif des balustrades des balcons du singulier palais italo-levantin de 1912, composite et inclassable – se voulait au départ un hommage au donateur Nicolas Ibrahim Sursock (1875-1952), célibataire endurci qui fit un geste posthume spectaculaire que nul avant lui ni après lui n’a émulé au Liban : instituer sa demeure patricienne en bien de main-morte pour être un Musée d’art (doublé d’une fondation qui n’a pas encore vu le jour), allant jusqu’à menacer d’exhéréder quinconque parmi ses hoirs contesterait ces dipositions testamentaires pour le moins inopinées puisqu’il n’en avait jamais soufflé mot à personne. C’était en effet un homme secret qui répugnait à tout contact physique avec une autre personne (il se lavait les mains chaque fois qu’il venait d’en serrer d’autres), ce qui ne l’empêchait nullement d’être un parfait honnête homme, cultivé, raffiné, en commerce avec les beaux esprits de son temps, entre autres avec Amine Rihani dont une lettre autographe à lui adressée orne le rabat d’une double page où s’étale dans toute son impudique splendeur le Grand nu couché (1924) de G.H. Sabbagh. L’ingénieux stratagème de Saad Kiwan (qui a conçu le livre, réalisé la maquette et assuré la direction artistique et le contrôle d’exécution de A à Z, de l’esquisse première à la reliure) provoque un choc visuel totalement inattendu quand on s’avise d’ouvrir le rabat, tout à fait comparable à celui que devaient éprouver les visiteurs du Jacques Lacan quand il les menait dans le couloir obscur de son appartement pour écarter solennellement deux panneaux dissimulant rien de moins que le tableau de Courbet maintenant exposé au Musée d’Orsay L’origine du monde dont le Sabbagh est une version de pied en cap pour ainsi dire. Riches heures Les recherches ayant révélé trop peu de données palpables sur l’énigmatique Nicolas Ibrahim, l’idée a germé d’un livre sur les riches heures du Musée lui-même depuis la première exposition en 1962, Les chefs-d’œuvre de la peinture mondiale de Giotto à Picasso en reproductions de l’Unesco, jusqu’à la dernière en date, en décembre 1999, Gibran Khalil Gibran, les horizons du peintre, en passant par les manuscrits précieux et les incunables orientaux, l’art allemand de 1910 à 1960, les tapis d’Orient, les dessins de Léonard de Vinci, les sculptures et dessins de Rodin, les affiches françaises depuis Toulouse-Lautrec, les aquarelles anglaises du XXe siècle, les aquarelles à travers les siècles en reproductions, les photographies du monde entier, la peinture irakienne contemporaine, les vitraux islamiques et modernes, les gravures sur bois japonaises, la peinture syrienne, les mosaïques de Ravenne, les peintres de l’Azerbaïdjan soviétique, les chefs-d’œuvre de l’art mexicain précolombien, les tapisseries et autres œuvres de Jean Lurçat dans les collections libanaises, les miniatures de la Renaissance italienne, l’association des graveurs de Venise, les peintures impressionnistes en reproduction, les calligraphies arabes, l’art belge contemporain, l’art moderne en Tchécoslovaquie, les arts plastiques au service de l’architecture en France, les gravures des Esquimaux du Canada, les icônes melkites, l’art islamique dans les collections libanaises, les trésors de l’Équateur, soit 29 expositions en 13 ans, de 1962 à 1975. Après sept ans d’interruption dus à la guerre, Le Livre et le Liban (à Paris) en 1982, l’hommage à Nadia Tuéni en 1984, l’architecture libanaise du XVe au XIXe siècle, (à Paris et à Beyrouth), les gravures de Philippe Mohlitz, les eaux-fortes de Horst Janssen, les peintures de Bernard Buffet, l’exposition Le Scale dello Spazio, T-Race’s BSC-4971 de Nadim Karam, l’hommage à Jean Khalifé, la rétrospective Omar Onsi, les Aspects de la peinture italienne des années 90, l’Art graphique contemporain, les gravures d’Elly Ohms Quennet et Dagmar Schenk Güllich, Trente-quatre artistes contemporains pour le Liban, les gravures et sculptures espagnoles contemporaines, le Salon d’Automne du grand palais transféré à Beyrouth, le trompe-l’œil, les arts plastiques contemporains du Brésil, les orientalistes italiens, la peinture de Farouk Hosny, les œuvres de Vasarely, le colloque «L’Amour de la langue», les archives nationales, l’exposition Georges Schéhadé, l’exposition Gibran, j’en oublie certainement. Sans compter, bien entendu, les 22 Salons d’Automne de 1961 à 1998. Haute fidélité La plupart de ces manifestations comportaient des catalogues dont certains firent date comme ceux des icônes melkites et de l’art islamique. Si j’ai cité nommément toutes ces expositions c’est à la fois pour donner une idée de l’activité intense du Musée assurée par une équipe exécutive réduite au strict minimum (admirables Sylvia Agémian et Saleh Saad secondant les conservateurs Camille Aboussouan puis Lutfallah Melki) et de la richesse de contenu de l’ouvrage commémoratif dont les textes sont signés par Ghassan Tuéni, Camille Aboussouan, Lutfallah Melki et Sylvia Agémian qui a également rédigé les notices sur les expositions. Cette richesse frappe d’emblée dès la somptueuse photo de la jacquette due à Michel Assaf : toute la magie nocturne du palais savamment éclairé de l’intérieur pour faire flamboyer ses vitraux et de l’extérieur pour sculpter la façade avec une lumière ocre chaleureuse pour le rez-de-jardin et l’escalier monumental, une lumière blanche pour les ailes du premier étage et une lumière bleutée pour la partie centrale de la façade et les ailes du second étage. Le Musée tel qu’on ne l’a jamais vu et ne le verra sans doute jamais. La qualité d’impression de cette première photo donne une idée de la haute fidélité de reproduction des quelque 300 illustrations, la plupart en couleur, qui accompagnent et amplifient les textes dans une maquette aérée, élégante et subtile qui fait alterner photos en pleine page et clichés mariés à une typographie à l’ample respiration alliant en habile contrepoint et heureuses proportions les notices en marge en caractères et composition serrés et le texte principal au tempo plus détendu, avec une lisibilité optimale. L’équilibre qui en résulte est le fruit d’une maîtrise du design qui fait de chaque page et du livre en entier une œuvre en soi. (à suivre)
«Le Livre», estampillé du nouveau logo du Musée Nicolas Sursock – un S vertical et un S horizontal croisés formant un nœud à quatre boucles évoquant le motif des balustrades des balcons du singulier palais italo-levantin de 1912, composite et inclassable – se voulait au départ un hommage au donateur Nicolas Ibrahim Sursock (1875-1952), célibataire endurci qui fit un geste...