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Actualités - ANALYSE

Une alchimie toujours difficile à mettre au point

La désignation de M. Rafic Hariri semble devoir passer comme une lettre à la poste, pour user d’un cliché aussi éculé que localement faux. Par contre le montage d’une combinaison ministérielle s’annonce ardu. En effet à partir du moment où l’on opte pour un Cabinet politique, on se heurte aux exigences contradictoires des uns et des autres. Le dosage, l’équilibrage constituent alors un véritable casse-tête chinois. La Fontaine, qui a tout dit, notait avec un soupir désabusé qu’on ne peut jamais «contenter tout le monde et son père». Dès lors, si l’on optait pour une formule «ordinaire», sans sortir des sentiers battus, il y aurait inévitablement des mécontents. Tout l’art des jongleurs viserait à limiter les dégâts, à arrondir les angles autant que possible, pour préserver une majorité qui ne serait pas trop minée par de sourds ressentiments. Pour équilibrer la balance, il faudrait sans doute des tares. Au double sens du terme. C’est-à-dire qu’au titre des mesures pondératrices, on pourrait bien, encore une fois, sacrifier la compétence professionnelle aux impératifs dits politiques. Ce sont là les règles traditionnelles du jeu. Aux yeux de l’opinion, il est évident que dans une situation régionale et locale aussi grave, il est absolument nécessaire de passer outre à de telles pratiques. Et comme il est douteux que les forces politiques fassent montre volontairement de l’abnégation requise, il est évident que c’est aux autorités en charge qu’il revient d’imposer motu proprio le Cabinet d’exception, le comité de salut public, dont le pays a besoin. Cela étant, le coup de poing sur la table a quand même ses limites. En effet pour qu’un Cabinet soit à la hauteur, ce qui est le but recherché, son assiette politique doit être assez solide. On se retrouve donc automatiquement devant des difficultés de dosage, devant des obstacles incontournables sinon insurmontables. Peut-on de la sorte envisager un Cabinet d’union nationale, ce qui serait tout à fait logique, alors que l’Est reste ostracisé ? Pour le moment, on répète de tous côtés que l’on s’achemine vers une formule de 24, nombre suffisant pour que les principaux courants autorisés soient représentés. Mais le choix du personnel pose un problème. Car nombre de formations ou de blocs parlementaires exigent de désigner eux-mêmes leurs représentants. Voire d’obtenir tel ou tel portefeuille. Ce qui placerait le chef du gouvernement en porte-à-faux par rapport à ses propres objectifs techniques ou politiques en lui liant les mains. Le dilemme n’est pas simple : s’il devait accepter les conditions qu’on lui pose à gauche ou à droite, le Premier ministre désigné se retrouverait avec une équipe formée dans une bonne proportion d’incompétents et de fortes têtes. Il ne pourrait plus gouverner vraiment. Et s’il refusait de s’incliner, nombre de formations lui feraient défaut, le laissant avec une majorité parlementaire étriquée face, du même coup, à une opposition renforcée, capable de lui mettre tout le temps des bâtons dans les roues. Or dans la situation charnière actuelle, tout homme d’État sensé serait tenté de se récuser s’il se retrouvait dans l’incapacité de former un gouvernement fiable rassurant l’opinion. Et capable de réfréner la récession socio-économique, aussi bien que d’amortir les chocs provenant de la crise régionale. À moins bien sûr que ce même homme d’État sensé, confronté à un cas de conscience grave, n’estime de son devoir de prendre quand même la barre, à la tête d’un équipage faible, pour naviguer au plus près et limiter les dégâts. Les deux volets de l’alternative sont difficiles. Une récusation pourrait avoir des contre-effets immédiats, en termes de nouvelles divisions politiques aiguës entre les Libanais. Et une soumission résignée au fait accompli du bazar risquerait à terme de consacrer l’effondrement du pays et sa ruine économique. Toujours est-il que certains pôles locaux pensent que les développements régionaux conditionnent beaucoup les marges de tolérance relatives à l’efficience du prochain Cabinet libanais. «Si la situation régionale, disent-ils en substance, devait évoluer vers la détente et si le sommet arabe devait prendre de solides résolutions, il y aurait alors un gouvernement dont toutes les pièces ne seraient pas parfaitement à leur place. Par contre, si la tension persistait, si les Arabes se montraient désunis tandis que les Israéliens constitueraient un Cabinet d’union et de guerre, alors le Liban n’aurait plus droit à l’erreur». Émile KHOURY
La désignation de M. Rafic Hariri semble devoir passer comme une lettre à la poste, pour user d’un cliché aussi éculé que localement faux. Par contre le montage d’une combinaison ministérielle s’annonce ardu. En effet à partir du moment où l’on opte pour un Cabinet politique, on se heurte aux exigences contradictoires des uns et des autres. Le dosage, l’équilibrage...