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Actualités - OPINION

L’État malade de la peste

Quel est le seul État au monde qui s’emploie, avec autant de zèle et de célérité, avec si peu d’intelligence et de finesse, à monter, aussi impunément, l’une de ses communautés contre l’autre ? Quel est le seul État au monde, qui, sous le très hypocrite prétexte de vouloir assurer à ses citoyens l’un de leurs premiers besoins naturels – leur sécurité –, leur ôte leur raison d’être, leur droit premier : la liberté de s’exprimer ? Quel est le seul État au monde qui soit à ce point bancal, couard et prompt à se réfugier, à la moindre occasion, sous les jupes d’une sœur syrienne incapable d’accepter la présence d’une opposition démocratique, incapable d’en gérer les grosses victoires et l’indiscutable popularité ? Quel est le seul État au monde qui confonde avec autant de bêtise « autorité » (celle que les Libanais lui demandent d’avoir : autorité pour imposer le dialogue national, autorité pour défendre les libertés publiques et la démocratie, autorité pour accéder à l’indépendance, la souveraineté et la libre décision, autorité pour imposer son impartialité) avec « autoritarisme » (la décision, stalinienne, d’empêcher toute manifestation, tout sit-in, est pire encore que celle d’avoir fermé la MTV) ? C’est tout de même insensé. En politique, plus qu’ailleurs, il n’y a ni hasard ni coïncidence. Une heure après qu’un « Rassemblement musulman national » eut annoncé sa volonté (à l’évidence télécommandée) d’organiser une contre-manifestation à celle qui allait réunir toutes les femmes et tous les hommes de dialogue, le ministère de l’Intérieur publie un communiqué au cours duquel il étale sa ridicule volonté de préserver la sécurité des Libanais, pour, justement, empêcher toute manifestation. L’État s’entête dans sa bêtise, son aveuglement, son mépris des Libanais, et récidive : n’avait-il pas empêché deux manifestations prévues il y a plus d’un an, le 11 avril dernier ? Lorsque les PNL, CPL, FL et Kataëb gemayelistes avaient appelé à une manifestation réclamant le retrait syrien du Liban, et que Baas et Ahbache avaient appelé, eux, à une contre-manifestation, cet État-là avait déjà mis dans le même sac ceux qui réclamaient un pacifique et vital dialogue et ceux qui s’y opposaient, armés de couteaux et de haches. Les thuriféraires presbytes de l’actuel pouvoir soutiendront que le ministère de l’Intérieur s’est jeté (certes aussi vite que la misère sur un peuple) sur ce prétexte tombé à pic, offert sur un plateau d’argent par le mufti de Tripoli, cheikh Taha Saboungi, pour éviter au pays, entre Barbir et Riad el-Solh, un bain de sang. Les thuriféraires presbytes peuvent ainsi, en toute logique et en toute tranquillité de conscience, appeler à cor et à cri, et accueillir les secouristes – FSI, l’armée syrienne, ou les voitures sans plaques numéralogiques aux vitres fumées. Sauf que cette acuité, cette facilité à prendre les Libanais pour des débiles, est inouïe. Cheikh Taha Saboungi, censé comme tous les muftis dépendre de la présidence du Conseil, est connu pour être (très) proche de Damas – pas seulement géographiquement –, et de certains services de l’État. L’énorme ficelle utilisée par les autorités n’est plus dans ce cas une ficelle, c’est un cordage marin. La militarisation du Liban, la transformation d’un « pays message » en une dictature sécuritaire encore plus pernicieuse parce que toujours déguisée, est en constants progrès. La mission de tous ceux qui s’y refusent, pour titanesque qu’elle soit, est aujourd’hui simple : il faut créer, inventer, un État libanais. Ziyad MAKHOUL
Quel est le seul État au monde qui s’emploie, avec autant de zèle et de célérité, avec si peu d’intelligence et de finesse, à monter, aussi impunément, l’une de ses communautés contre l’autre ? Quel est le seul État au monde, qui, sous le très hypocrite prétexte de vouloir assurer à ses citoyens l’un de leurs premiers besoins naturels – leur sécurité –, leur...