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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Le sénateur canadien d’origine libanaise préside la commission des affaires parlementaires francophones De Bané : Les sanctions contre Israël ne sont pas la bonne solution au problème du P-O(photo)

Pierre De Bané a sans doute raison, depuis deux jours, de se sentir un peu chez lui dans les couloirs de l’hémicycle. Place de l’Étoile. D’autant plus que Pierre de Bané – dont la famille est originaire du Liban-Sud – est devenu en 1968 le premier Canadien d’origine arabe à siéger au Parlement d’Ottawa, où il a été élu à cinq reprises consécutives. Poussé, boosté dans la politique par celui que ses concitoyens ont plébiscité comme étant l’homme politique canadien du siècle – l’ancien Premier ministre Pierre Elliott Trudeau – Pierre de Bané entre au gouvernement dès 1978, avec le portefeuille des Approvisionnements et Services. Sachant qu’il occupera par la suite, successivement, les postes de ministre du Développement économique régional, des Relations extérieures, ainsi que des Pêches et Océans. En 1984, il devient membre du Sénat canadien, il est l’un des doyens du Parlement, son second home depuis 34 ans. Il est enfin le président de la commission des affaires parlementaires de l’Assemblée parlementaire francophone (APF). Et il a répondu hier aux questions de L’Orient-Le Jour. Commencer avec Pierre de Bané par évoquer ce qui, avant le 11 septembre 2001, ressemblait beaucoup à des 5 à 7 avec thé et petits-fours et qui, depuis, a pris une place singulière, cruciale même : la francophonie et la kyrielle de valeurs qu’elle véhicule. « Les événements du 11 septembre ont amené nos pays à revoir entièrement toutes leurs priorités en politique étrangère. Le ministère des Affaires étrangères canadien, par exemple, a dû examiner en profondeur ses priorités. Et s’est rendu compte de l’inévitable repositionnement des politiques sur lesquelles le Canada devrait, dans les années à venir, se concentrer. En tête de ces politiques : le conflit du Moyen-Orient. Qui est une menace très sérieuse pour la stabilité du monde, sans compter l’extraordinaire souffrance qu’il impose aux peuples de la région. Et singulièrement aux Palestiniens et à la jeunesse de tous ces pays. » Justement, comment la planète francophone se positionne par rapport à ce conflit en particulier, à l’actualité en général ? Vous avez votre mot à dire ? « Nous avons certainement notre mot à dire. Les différents pôles francophones ont une histoire bien ancienne avec les pays de la région. Je pense à la France par exemple et ses relations historiques avec le Moyen-Orient. Le Canada, qui est un pays bien plus jeune, a commencé à s’impliquer dès l’invasion du canal de Suez, en proposant la création des forces de paix des Nations unies. » Il est d’ailleurs vrai que depuis cette invention canadienne, Ottawa est partout présent dans toute mission de paix régionale. « Deux peuples, deux États » Mais est-ce que vous arrivez, vous les francophones de tous les pays, à utiliser cette francophonie comme un porte-voix ? « Nous avons des valeurs. Et nous exerçons des pressions sur nos gouvernements pour leur dire, notamment en ce qui concerne le dossier palestinien, qu’il est inadmissible que cela dure. » Elles servent vraiment à quelque chose ces pressions ? « Oui. Je suis par exemple en contact permanent avec le Premier ministre Chrétien, qui lui-même exhorte ses collègues à travers la planète à faire en sorte que l’on en finisse avec ce conflit. » Nabih Berry vous a demandé hier d’accroître ces pressions sur vos gouvernements respectifs, et d’adopter même des sanctions extrêmes contre Israël s’il poursuit ses agressions contre les Palestiniens, le Liban ou la Syrie. « Je ne pense pas que cette option de sanctions contre Israël soit la bonne solution. L’option sur laquelle travaille notre gouvernement en ce moment repose sur deux aspects : donner la sécurité à Israël, de même que la liberté et la dignité aux Palestiniens. » Il s’agit donc de rendre ces deux nécessités compatibles ? « Voilà. Et parce que chacune a une incidence sur l’autre. Israël ne négociera pas tant qu’il n’est pas sûr que son existence sera assurée. Et tout ce que les pays arabes ont décidé à Beyrouth relève de la justice, du bon sens, de l’avenir. Et ça a été répété hier à Charm el-Cheikh. Elle est là la bonne solution. » Mettre un terme à la violence, d’où qu’elle vienne ? « Oui, et comprendre aussi, contrairement au Likoud, que la seule façon de vivre dans la paix, c’est l’option “deux peuples, deux États”. Et cet État palestinien ne doit pas être un ramassis de petits territoires, mais plutôt un pays économiquement viable qui veut assurer un avenir à ses enfants. » Les Libanais – et au-delà les Canadiens, les Français, les Béninois, etc. – voient cette réunion des parlementaires francophones étalée sur deux jours comme une chose importante, certes, mais un peu secondaire, folklorique. Comment leur expliquer que tout cela n’est pas uniquement prétexte à des dîners et des excursions entre copains, mais que ça peut leur être utile ? Aux Libanais, en l’occurrence... « L’APF est une institution à l’intérieur de la francophonie. Qui est dirigée par les chefs d’État ou de gouvernement, qui se réunissent une fois tous les deux ans. Nous les parlementaires avons, par rapport à l’Exécutif, un rôle consultatif. Et nous sommes les seuls. Plus de 50 pays vont se réunir à Beyrouth en octobre, nous sommes là pour leur dire : “Voici les priorités telles que nous les voyons”. Et le ministre Ghassan Salamé nous a assuré que nous allons avoir un rôle important à jouer à Beyrouth. » La générosité canadienne Vous êtes un peu les parents pauvres de la planète francophone... « Vous savez, c’est comme dans tous les pays : les tensions sont toujours là entre l’Exécutif et le Législatif. » En gros, le Liban profitera nettement du programme qui relierait l’ensemble des bibliothèques parlementaires en réseau. Quant à la décentralisation, l’un des thèmes débattus ces deux jours, Pierre de Bané rappelle ce « besoin invincible des gens d’être maîtres de leur destin. Pour que toutes les décisions cessent d’être prises au niveau central. » Sur le séisme du 21 avril et le sursaut du 5 mai en France, le sénateur canadien parle de sa fierté après avoir vu les Français « se réveiller », refuser l’intolérance, le sectarisme, le réactionnaire. Il évoque les deux « seules » façons de faire de la politique : maximiser les différences entre les gens ou, au contraire, les aplanir. Et sur la victoire un peu ambiguë de Jacques Chirac ? « C’était essentiellement un barrage à Le Pen. S’il interprète cela comme un plébiscite pour sa personne, ça ne me semble pas vraiment coller à la réalité... » Tout cela sachant que le parti canadien le plus à droite, L’Alliance canadienne, fait de bons scores, même s’il serait « injuste » de faire un amalgame avec le Front national en France. Et en ce qui concerne la rivalité entre la France et le Canada, et notamment le Québec, Pierre de Bané assure que tout cela s’est nettement aplani depuis des années. Que les relations Chirac-Chrétien sont excellentes. Et même au niveau de la planète francophone : « Nous travaillons énormément ensemble », assure-t-il. On parle toujours au Canada d’accueillir des réfugiés palestiniens, venus du Liban notamment. « Le Canada est une terre d’immigration, il a besoin d’augmenter sa population. Et la communauté arabe, à majorité libanaise, apporte une contribution remarquable au Canada. Et si tel est le souhait des Palestiniens, et qu’on en fait la demande au Canada, oui je serais prêt à défendre une loi visant à accueillir encore plus de réfugiés. Dans ce cas-là, j’espère que mon pays montrera la même générosité que dans le passé. » Et Pierre de Bané, qui pense que le gros de la crise économique libanaise est dû à des facteurs régionaux, sourit quand on lui parle – manière de conclure – de la présence syrienne au Liban. Un sujet qui tient particulièrement au cœur de la grosse majorité de la communauté libanaise au Canada. Mais assure, catégorique, que « c’est un problème spécifiquement libano-syrien. Je suis certes très sollicité à ce sujet par la communauté libanaise, mais il serait malvenu que le Canada s’immisce dans ce problème relié à la paix régionale ». Mais d’aucuns considèrent que la tutelle syrienne est une des principales raisons qui empêchent la renaissance économique. Pierre de Bané persiste, sourit, et continue, très diplomatiquement, d’inscrire le problème dans le cadre de la guerre régionale. Ziyad MAKHOUL
Pierre De Bané a sans doute raison, depuis deux jours, de se sentir un peu chez lui dans les couloirs de l’hémicycle. Place de l’Étoile. D’autant plus que Pierre de Bané – dont la famille est originaire du Liban-Sud – est devenu en 1968 le premier Canadien d’origine arabe à siéger au Parlement d’Ottawa, où il a été élu à cinq reprises consécutives. Poussé,...