Actualités - OPINION
Nécessité fait loi
Par MAKHOUL ZIAD, le 07 mars 2002 à 00h00
Lorsqu’un Premier ministre n’a plus rien à dire, parce qu’il a tellement collectionné les promesses vaines, lorsqu’un Premier ministre n’a plus rien à perdre, c’est-à-dire lorsqu’il a (presque tout) perdu, il oublie qu’il est Premier ministre. Et il assène devant les journalistes que «depuis quelque temps, des personnes en majorité chrétiennes prédisent un effondrement», ou qu’«il existe dans le pays un climat négatif qui pousse les jeunes à émigrer et la plupart de ceux qui l’entretiennent sont des chrétiens». Les propos de Rafic Hariri sont indignes d’un Premier ministre. Outranciers et choquants. Ce qu’il est impossible de pardonner, dans ce pays justement, à un député, un ministre – ou même, effectivement, un simple mohafez, Rafic Hariri l’a dit, et répété. À la télévision. Il l’a dit, il l’a certainement pensé. Inutile de s’attarder sur les ridicules langues qui ont fourché ou sur les «mots rapportés hors contexte». Rafic Hariri est effectivement passé maître dans l’art d’user et d’abuser, en politique, des écrans de fumée. Un : Solidere. C’est très joli, Solidere, tout le quartier, on a l’impression, parfois, la nuit en buvant un whisky sur une terrasse, d’être en Europe. Et juste à côté, de Naqoura à Kobeyate en passant par Baalbeck, des pères de famille qui se comptent par centaines de milliers s’en retournent chez eux le soir avec une seule obsession – comment nourrir leur famille. Deux : abolition de la protection des agences exclusives. C’est sans doute un signe d’occidentalisation, c’est peut-être très bien, nécessaire, mais juste avant, il y avait – il y a toujours – cette TVA piquée au (très mauvais) gouvernement Hoss. Et sa kyrielle de dysfonctionnements. Les 1 650 LL de place de parking au lieu des 1500, c’est... royal. Trois : Paris II, que l’on nous promet depuis des lustres. À quand ? Après les privatisations ? Si l’on veut. Quatre : les discours télévisés où tout est rose, tout va bien dans le meilleur des mondes. Et la dette de trente milliards. Tout cela, ça passe. Mais la confessionnalisation du débat, c’est d’un tout autre calibre. Au Liban, c’est sacro-saint. Le devoir de mémoire aussi. Quelle mémoire bien élastique que celle du Premier ministre ! Rafic Hariri a rallumé, intentionnellement – et c’est là où c’est très grave – des feux bien mal éteints. Rouvert une boîte de Pandore loin d’être encore scellée. Sauf que c’est toujours un peu délicat, un peu triste, de s’en prendre à Rafic Hariri. Parce qu’il est l’un des très rares officiels à se démener, indépendamment de ses motivations et même s’il s’y prend souvent (très) mal. Sinon le seul. Voilà pourquoi les mots de Rafic Hariri sont bien dangereux. Et graves. C’est une faute grave. Sans doute rectifiera-t-il son tir. Ou pas. Ça ne change rien. Les mots sont lancés, la rue bourdonne. Et honnêtement, elle ne comprend pas. Le Premier ministre, tout comme n’importe quel responsable, a besoin de la confiance de l’ensemble des citoyens – sinon, ce n’est plus une République, ce n’est plus de la démocratie. Rafic Hariri a largement compromis, lundi soir sur sa chaîne de télévision, le solde de son capital confiance. Le seul problème, c’est qu’il sera un des rares à ne pas en pâtir. Les Libanais, c’est-à-dire les musulmans et les chrétiens attendent, espèrent de lui aujourd’hui, un nécessaire coup de gomme : un acte fort. Qui rassure. Tout peut s’oublier. Ziyad MAKHOUL
Lorsqu’un Premier ministre n’a plus rien à dire, parce qu’il a tellement collectionné les promesses vaines, lorsqu’un Premier ministre n’a plus rien à perdre, c’est-à-dire lorsqu’il a (presque tout) perdu, il oublie qu’il est Premier ministre. Et il assène devant les journalistes que «depuis quelque temps, des personnes en majorité chrétiennes prédisent un effondrement», ou qu’«il existe dans le pays un climat négatif qui pousse les jeunes à émigrer et la plupart de ceux qui l’entretiennent sont des chrétiens». Les propos de Rafic Hariri sont indignes d’un Premier ministre. Outranciers et choquants. Ce qu’il est impossible de pardonner, dans ce pays justement, à un député, un ministre – ou même, effectivement, un simple mohafez, Rafic Hariri l’a dit, et répété. À la télévision. Il...