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Actualités - OPINION

IMPRESSION Au bord de Beyrouth

Au bord de Beyrouth, il y a la mer qui fait de Beyrouth un paquebot immobile derrière son grand parapet. Dès le petit matin, toute une faune de rêveurs y prend ses quartiers. Ils vous diront «on marche», ils vous diront «on pêche». Ils sortiront de la voiture dont l’échappement vient de rendre son dernier râle – mais qu’importe –, le réchaud à piston, la cafetière, la mouture sombre au parfum de paresse que viendra exalter un nuage de sucre dans la brise marine. La mer est encore étale, comme engourdie par la nuit. Alors commence un rituel mystérieux : avec les gestes retrouvés des grands thuriféraires, les hommes attisent des braises en amples moulinets tandis que les femmes assemblent les narguilés. Taylorisation du plaisir. À mesure que monte la fumée du charbon rougissant, les vagues se rapprochent comme en réponse à ce sémaphore inconnu des marins. Elles lapent les remparts, font les belles, se roulent sur le dos et rincent de leurs embruns les chaises en plastique et les bancs de béton où scintille encore la croûte de sel formée la veille. Le ciel hésite. Les habitués plantent des parasols. C’est alors qu’arrivent, tout frais dans leurs survêtements clairs, les sportifs du matin à la respiration binaire. À leur passage, une traînée d’eau de toilette se mêle à l’air chargé de la marée montante. Eux, le temps leur est compté. Ils se défoulent à petites foulées : Saint-Georges – Grande roue et retour : une heure , comptabilisée en calories. Pour les plus pressés, Saint-Georges – pylône de l’AUB : quinze minutes, moins efficace toutefois. Mais à courir comme ça, le long de la mer, on croit courir au bout du monde. On sent venir le pas qui vous fera perdre pied, prendre un envol magique, pédaler la machine à vapeur, faire vriller ses hélices et contempler tout ça d’en haut et se dire que peut-être il suffirait de lever l’ancre pour être ailleurs. Tout en bas, l’urine des trottoirs, la cardamome du café, la nuée sirupeuse des pipes à eau, un relent de cacahuètes grillées, l’appel du laurier-rose aux butineurs égarés : l’essence même de Beyrouth. Des pêcheurs sans barques taquinent le fretin. Des gens se posent pour voler du jour aux jours, l’attente se mue en rêve et la vie glisse tout doucement sur ce grand ventre bleu. Fifi ABOUDIB
Au bord de Beyrouth, il y a la mer qui fait de Beyrouth un paquebot immobile derrière son grand parapet. Dès le petit matin, toute une faune de rêveurs y prend ses quartiers. Ils vous diront «on marche», ils vous diront «on pêche». Ils sortiront de la voiture dont l’échappement vient de rendre son dernier râle – mais qu’importe –, le réchaud à piston, la cafetière, la mouture sombre au parfum de paresse que viendra exalter un nuage de sucre dans la brise marine. La mer est encore étale, comme engourdie par la nuit. Alors commence un rituel mystérieux : avec les gestes retrouvés des grands thuriféraires, les hommes attisent des braises en amples moulinets tandis que les femmes assemblent les narguilés. Taylorisation du plaisir. À mesure que monte la fumée du charbon rougissant, les vagues se rapprochent comme...