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Actualités - OPINIONS

opinion - Le crime de lèse-jeunesse et l’attentat - aux mœurs politiques

«On me dit : si tu vois un esclave qui dort, réveille-le de peur qu’il ne rêve de liberté. Je réponds : si je rencontre un esclave qui dort, je le réveillerai pour lui parler de liberté» (Gebran Khalil Gebran). Je ne sais si juridictions ou jurisprudences reconnaissent de tels forfaits ou s’ils relèvent d’une cour spécialisée inconnue de nos prétoires. Le fait est que certaines autorités libanaises, en s’attaquant de front, manu militari, aux jeunes étudiants et en traitant l’opinion publique de crétine, peuvent être accusées de ces deux crimes. Tout d’abord la jeunesse. Il est banal de dire qu’elle constitue le souffle de la nation, son vivier et sa réserve d’énergie, quelles que soient ses options ou ses idéologies. Peut-il y avoir jeunesse sans risques et sans erreurs, sans extrémisme et sans cris de révolte pour introduire la dynamique du changement et de la rénovation sociale ? Peut-il y avoir jeunesse sans rêve, fût-ce dans la démesure, et sans projet utopique ? Les jeunes peuvent-ils grandir sans figures de proue à admirer et sans idéal culturel à promouvoir ? C’est le spectacle désolant de la platitude et de l’indignité qui les fait fuir et les porte à arrimer leur rêverie compensatoire à des rivages lointains et inconnus. Ne plus rêver induit la mort, juste connotation du poète Schéhadé : «Comment mourir, quand on peut encore rêver !». Rêver, mais aussi se nourrir d’exemplarité, s’identifier à une source, une origine qui donnent sens à la vie et qui tissent la trame de l’esprit d’un peuple, le Volksgeist si cher à Hegel. Un exemple. Un jeune caissier d’un supermarché me reconnaît et me retient un instant : «Je suis universitaire, diplômé d’histoire, je ne trouve pas de travail, vous voyez bien ce que je fais ; mais pire que tout, le pays me dégoûte et le comportement des autorités, ces derniers jours, ne porte plus à l’optimisme. Sommes-nous encore chez nous ? Où me conseillez-vous d’émigrer ?». Quels arguments aurais-je pu lui donner pour le retenir et l’empêcher de rejoindre le flot de ceux qui, 29 pour 10 000 par jour, disent certaines statistiques, tournent le dos à leur famille et à leur patrie ? Ce même crime de lèse-jeunesse est perpétré par des circuits bien connus, et probablement très protégés, qui tiennent le marché de la drogue au Liban et qui la diffusent impunément dans les lieux de loisirs et de regroupements festifs des jeunes. On parle volontiers – à vérifier bien sûr, et les «services» devraient s’en charger – de dealers jeunes et barbus qui ne fréquentent certaines régions, d’habitude évitées, qu’à cet effet. Où est l’État face à la protection des jeunes de ce fléau, mille fois dénoncé, et contre lequel rien de sérieux n’est entrepris ? Ne faut-il pas penser qu’il y a là un complot d’abêtissement et de décrépitude de notre jeunesse, infiniment plus dangereux que les prétendus contacts avec les services israéliens, et dont les conséquences sont souvent irréversibles ? De temps en temps, quelques coups de filet, çà et là, donnent le change, comme ce qui se passe, aussi, pour certains bordels, hôtels ou complexes balnéaires camouflés en centres de massage. Puis la fièvre retombe : ardeur et zèle s’estompent et le commerce reprend de plus belle. Où se cache donc le ministre de la Jeunesse et des Sports ? S’intéresse-t-il exclusivement aux sports, sans jeunesse ? Fait-il partie de ceux qui pensent qu’il vaut mieux «endormir» les jeunes et ne pas les laisser un instant provoquer n’importe quel mouvement qui, comme naguère en France, fit vaciller le régime d’un grand général prestigieux, pourtant glorieux libérateur de son pays du joug nazi ? Quant à l’attentat aux mœurs politiques, il tient fondamentalement au fait que la population est traitée par les autorités dites responsables, depuis fort longtemps déjà, en troupeau stupide qui peut avaler antiennes et rengaines, sans coup férir. Certains hommes politiques ont exigé du pouvoir, en vain, une simple explication de texte concernant la présence légale, nécessaire et provisoire des troupes syriennes au Liban, leur redéploiement, l’application des accords de Taëf dans ce domaine. Ils ne reçurent d’éclaircissement ni nécessaire ni suffisant à leur demande insistante. Suit la fable de l’aide du pays voisin à la reconstitution de l’armée et de l’unité de la nation conçue comme une fusion de métaux (insihar), la protection des institutions, le soutien à la résistance, etc ; alors que les faits hurlent le contraire et montrent combien nous nous trouvons encore loin de l’État de droit et des institutions. Dans certains pays, une telle propagande serait passible du délit de publicité mensongère ou de la confection et de l’usage de faux. D’ailleurs, quand le discours officiel est aussi doctrinaire et qu’il n’est plus qu’un psittacisme reproducteur aveugle d’une langue de bois éculée, le citoyen abusé perd confiance et son scepticisme se transforme en réflexe nauséeux. L’ébranlement des vertus républicaines, si véhémentes et si fragiles à la fois, s’effectue toujours par le biais de la parole fausse et de la promesse non tenue. Que les tenants de l’idée de partition du pays se rassurent ; elle n’est plus à faire, elle est déjà inscrite dans les esprits et les mentalités ; elle n’est pas géographique ; elle est cérébrale, idéelle, mais non moins brutale. Désormais, il y a la caste des valets et des vendus d’un côté, ceux qui se complaisent dans la nébuleuse des confusions de pouvoirs, qui défendent et justifient âprement toutes les infractions, tous les abus. De l’autre, les personnes, toutes générations confondues, qui luttent pour demeurer des sujets libres, qui croient à la souveraineté retrouvée et qui veulent continuer à croire que l’aube dissipera les ténèbres les plus épaisses aux matins d’hiver et de printemps. Vice-recteur à la recherche scientifique de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth
«On me dit : si tu vois un esclave qui dort, réveille-le de peur qu’il ne rêve de liberté. Je réponds : si je rencontre un esclave qui dort, je le réveillerai pour lui parler de liberté» (Gebran Khalil Gebran). Je ne sais si juridictions ou jurisprudences reconnaissent de tels forfaits ou s’ils relèvent d’une cour spécialisée inconnue de nos prétoires. Le fait est que...