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Actualités - OPINIONS

SÉMINAIRE - Une double menace : saper la mémoire des Libanais et leur faire oublier des traditions de liberté - L’évolution démocratique au Liban : mutations et prospectives

Le programme «Observatoire de la démocratie au Liban» entrepris par la Fondation Joseph et Laure Moghaizel avec le soutien de l’Union européenne se poursuivra en 2001 – 2003. Les travaux des deux années (1997 – 1999) ont déjà paru dans un ouvrage (Observatoire de la démocratie au Liban, Fondation Joseph et Laure Moghaizel en coopération avec l’Union européenne, Beyrouth, Librairie Orientale, 2000, 768 p.). Le 10e séminaire sur le thème : «L’évolution démocratique dans le Liban d’aujourd’hui : Mutations et prospectives», sous le patronage du ministre de la Justice, M. Samir el-Jisr, s’est tenu samedi au Mouvement culturel à Tripoli. Nous publions ci-après des extraits de l’exposé introductif du programme pour les années 2001 – 2003 dont le professeur Antoine Messarra assure la coordination. Dénoncer, protester, critiquer, se plaindre, défendre…, autant de comportements inhérents à une démocratie vivante et qui a des chances de survivre. Mais tout cela exige du souffle, de la ténacité, de la détermination et surtout de la confiance dans l’efficience de la démarche ou, du moins, à moyenne ou longue échéance, dans le «pouvoir citoyen» (citizen power). Or la population au Liban semble aujourd’hui saturée et blasée, non seulement à cause du contexte régional contraignant et du marasme économique, mais surtout à cause d’un discours politique défaitiste et l’absence d’une imagination au pouvoir, sinon pour dilapider l’argent public. Des mots comme ceux de souveraineté, d’indépendance, de patrie («définitive», d’après l’accord de Taëf du 22/10/1989) sont souvent vidés de leur sens dans un discours politique programmé et pour des jeunes qui apprennent à l’université des concepts et notions qu’ils croient universels. Des politiciens s’acharnent à galvauder dans la presse et sur les chaînes de télévision ces belles notions et s’adressent en 2001 à une population comme si elle était formée d’analphabètes et d’ignares, achevant ainsi de désespérer ceux qui s’efforcent d’espérer. Du savoir au pouvoir L’action démocratique au Liban se trouve ainsi à un tournant crucial où, comme dans nombre de pays qui vivent dans un contexte difficile de transition, il faut non seulement scruter au quotidien des faits, entreprendre des recherches de haut niveau et publier des rapports périodiques, mais surtout alimenter l’âme de toute démocratie qui ne peut survivre que grâce à des citoyens qui ne démissionnent pas, sont toujours là et toujours vigilants, des vigiles de la démocratie. La vigilance (vigilantia), c’est «l’habitude de veiller», et donc une surveillance attentive et soutenue. On dit : redoubler de vigilance. En physiologie, c’est l’état de l’organisme qui reçoit des stimulations et y répond. Le vigile est le veilleur, comme dans la Rome antique, membre des cohortes chargées de veiller, la nuit, avec beaucoup de soin à ce qu’il doit faire. Des recherches en sciences humaines, et dans des questions de science politique en particulier, peuvent passer à côté du problème en s’imaginant que la faille réside au niveau du «savoir». Certes, il est des cas où il faut des recherches pour combattre l’ignorance, dissiper l’erreur et donc véritablement connaître. Mais il y a aussi une seconde dimension qui ne mérite pas moins la recherche, celle-ci plus opérationnelle, à savoir la diffusion du savoir quand la faille réside dans le niveau d’«information» et de conscientisation. Quand le savoir scientifique et la conscientisation sont assurés, il reste une troisième dimension, plus opérationnelle encore, celle de la capacitation (empowerment) ou potentialité à agir à traduire le «savoir» et le concrétiser en comportement dans la vie publique. Rien ne menace davantage la démocratie au Liban que l’affaiblissement, la tiédeur, et le recul de la vigilance et de l’engagement pour la promotion et la défense de la démocratie. Menace d’autant plus grave que le Liban depuis l’accord sur l’entente nationale du 22/10/1989 vit sur ce qui reste des acquis démocratiques de son histoire. Jusqu’à quand une population peut-elle vivre sur les acquis structurels et législatifs du passé, sans de nouvelles réalisations, non épisodiques ou de façade, mais consolidées dans l’ensemble du tissu social ? Quatre occasions manquées De 1989 à 2001, tant de faits et réalisations sont autant d’occasions manquées pour restituer la confiance, clé du pouvoir citoyen et de la légitimité démocratique. 1- L’accord de Taëf du 22/10/1989 : document fondamental pour entamer un travail de mémoire, édifier des monuments de contrition nationale, dont un monument à la mémoire des disparus qui sont de toutes les communautés, régions et tendances politiques, symboles des souffrances partagées et du coût des guerres «pour les autres». Or, paradoxalement, ce sont aujourd’hui des hommes politiques au pouvoir qui menacent la population des foudres de la reprise de la guerre civile à chaque fois que des voix discordantes se lèvent pour réclamer le retour à l’esprit et au contenu de l’accord, alors qu’une des fonctions de l’État est d’être l’agent de concorde nationale. L’accord de Taëf était aussi une occasion privilégiée pour redresser les dérives du système consensuel libanais. Dix années après la mise en application des amendements constitutionnels de 1990, on peut dire que le système qu’on appelle confessionnel au Liban, régi par des lois et des normes administratives, n’est pas aujourd’hui appliqué ! Ce système en effet implique, depuis déjà l’arrêté 60 LR du 13 mars 1936, la création d’une communauté de droit commun. Cet arrêté n’a jamais été annulé, et on refuse la formulation des détails d’application. Le système confessionnel implique aussi des normes juridiques et administratives. Des «lois» régissent en effet les conditions de nomination des fonctionnaires, ainsi qu’une hiérarchie administrative pour la promotion et l’avancement, et des normes de compétences. Toutes les fois que les règles et normes de l’État de droit sont bafouées ou contournées, en respectant uniquement les formes juridiques (il y a là une fraude à la loi), ce n’est pas le système confessionnel qu’il faut incriminer, mais le clientélisme. 2- La libération du Liban-Sud : événement majeur, source de liesse populaire, de confiance en soi et en l’avenir, mais accueilli avec réserve par le pouvoir lui-même qui soulève l’extension de la libération aux fermes de Chebaa, moins par souci de souveraineté intégrale que pour justifier le maintien du Liban comme otage dans le conflit régional. 3- Les élections législatives de 1992, 1996 et 2000 : moments privilégiés pour renforcer la confiance, mais la grande circonscription, jointe à un scrutin de liste majoritaire, multiplie les effets pervers d’un tel scrutin avec un sentiment quasi général de non-représentativité. 4- Le plan de renouveau éducatif : éntamé par le Centre de recherche et de développement pédagogique de 1996 à 1999 avec la participation des forces vives de la société, ce plan, qui a besoin de continuité pour porter ses fruits et se consolider, est sapé dans ses fondements, semant la défiance auprès de la plus large couche de la population. La volonté de changement n’est pas compatible avec des stratégies de désespoir après chaque éclaircie. C’est le rôle de l’État ! Quel État prépare-t-on aux Libanais quand on affirme comme leit-motiv, et avec assurance, quand des problèmes d’indépendance sont soulevés : «Ce problème est du ressort de l’État» ! Or seul relève de l’État le droit exclusif du recours à la force organisée, en ce sens qu’aucune organisation n’a le droit de former une armée et de recourir à la contrainte par la force. Ce droit même n’est pas discrétionnaire et est susceptible de recours devant les tribunaux. On oublie ainsi le fondement de l’État de droit : «Le peuple est la source des pouvoirs et le titulaire de la souveraineté qu’il exerce à travers les institutions constitutionnelles» (Préambule de la Constitution libanaise «amendée», al. d). Vider les mots de leur signification, altérer des notions élémentaires apprises par les jeunes Libanais à l’université, diluer les problèmes dans un discours verbeux et programmé, saper la mémoire des Libanais et leur faire oublier des traditions de constitutionnalisme et de liberté…, sont autant de menaces pour la survie de la démocratie au Liban. Ces menaces interpellent tous les vigiles du pays.
Le programme «Observatoire de la démocratie au Liban» entrepris par la Fondation Joseph et Laure Moghaizel avec le soutien de l’Union européenne se poursuivra en 2001 – 2003. Les travaux des deux années (1997 – 1999) ont déjà paru dans un ouvrage (Observatoire de la démocratie au Liban, Fondation Joseph et Laure Moghaizel en coopération avec l’Union européenne,...