Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

POLÉMIQUE - Une menace pour le retour des habitants chrétiens - Damour, tiraillé entre agriculture et tourisme

Un projet de complexe balnéaire devant être réalisé sur un terrain appartement à l’Ordre maronite dans la plaine de Damour (au sud de Beyrouth) suscite depuis quelque temps des débat passionnés. La plaine de Damour (qui s’étend sur près de 800 mètres de profondeur au pied du village et jusqu’à la plage), jouit depuis l’adoption d’une loi en 1968 d’une classification double : 600 mètres de largeur sont agricoles, et une bande de 150 à 200 mètres en bord de mer est réservée à une exploitation touristique qui ne s’est jamais matérialisée. Le projet touristique dont on parle aujourd’hui divise les responsables locaux et politiques en deux camps. Le premier camp, formé du président de la municipalité mais aussi d’hommes politiques tels l’ancien député Walid Akl et le député Élie Aoun, se déclare hostile aux futures constructions sur la plaine et plaident pour une nouvelle classification agricole de celle-ci, considérant que des projets touristiques feraient perdre au village (déplacé durant la guerre) son identité et entraveraient le retour des habitants. L’autre camp, campé lui aussi de responsables locaux et, apparemment, de nombreux propriétaires dans la plaine, juge que seule une exploitation touristique pourrait relancer l’économie du village et ramener les gens chez eux, et prônent une nouvelle classification touristique de la plaine. L’Ordre maronite, pour sa part, fait valoir que le projet tel qu’il est conçu ne requiert pas un changement de classification et que la loi actuelle devrait rester inchangée. En attendant, le texte est revu, à la demande du président de la municipalité, par la Direction générale de l’urbanisme qui devrait trancher. Sur fond d’accusations à peine voilées, la sourde guerre se poursuit… Tout a commencé il y a deux ans avec les tractations pour la location d’un terrain de 200 000 mètres carrés dans la plaine de Damour (qui en totalise 5 millions), appartenant à l’Ordre maronite libanais (le plus grand propriétaire de la plaine), au profit d’un groupe vénézuélien de banques. La société appartient à un émigré libanais au Venezuela, originaire de Zghorta (Liban Nord), Edmond Abchi, qui compte y créer un projet touristique de grande dimension, doté d’une marina qui tient plus, en fait, d’une île flottante que d’un simple port. Rappelons que la population de Damour a été déplacée durant les événements. Le président de la municipalité, Antoine Ghafary, s’est opposé d’emblée à l’idée de ce projet. «Ce n’est rien moins qu’une question de survie pour Damour, déclare-t-il. Si le projet se concrétise, c’est toute la plaine, aujourd’hui agricole, qui devra s’adapter à une nouvelle situation. S’il est permis à un promoteur d’initier un projet touristique, il ne sera pas possible d’empêcher les autres de faire de même ou de vendre leurs terrains aux plus offrants. Le retour des déplacés n’ayant pas encore eu lieu, ce serait faire perdre à la localité son identité et condamner d’avance ce retour». M. Ghafary donne l’exemple d’autres villages, à l’origine peuplés de chrétiens, comme Khaldeh ou Jiyeh, et qui, par un changement démographique dû à la vente intensive de terrains, ont changé de visage. Ne tient-il pas là un discours confessionnel ? «Au contraire», insiste-t-il. «C’est parce que je tiens à la coexistence dont le Mont-Liban a toujours été le théâtre que je plaide pour un retour des chrétiens dans cette partie du pays». Mais pourquoi parle-t-il d’un changement de propriétaires alors que, pour ce projet en particulier, le terrain est loué par des moines maronites à un promoteur de cette même confession ? «Ce dont j’ai peur, c’est que les autres propriétaires ne soient encouragés à céder leurs terrains, dit-il. Si le village est séparé de la mer par une plaine qui ne lui appartient plus, il aura perdu son identité et son intérêt pour ses fils». Cependant, si les propriétaires sont enclins ou si acculés à vendre leurs terres, ne va-t-il pas à contre-courant en s’opposant au projet et à une classification touristique ? «Je n’ai d’autres choix, en tant que responsable, que de penser à l’intérêt de la localité à long terme», répond le président de la municipalité. Une affaire d’identité Cet intérêt, d’autres le voient différemment. Arguant du fait que l’agriculture a cessé depuis longtemps d’être rentable (la plaine est connue pour ses plantations de bananes), ils affirment que seule une reprise économique, assurée par le tourisme, pousserait les Damouriens à regagner leurs foyers. Selon Jacques Ghafary, moukhtar de Damour, des projets touristiques présenteraient plusieurs avantages : ils empêcheraient notamment une altération de l’équilibre démographique puisqu’il sera toujours interdit d’y construire des complexes résidentiels. «Le tourisme pourrait assurer le développement du village puisque le commerce reste peu rentable (l’entrée du village à la sortie de Beyrouth est du côté de la partie non construite). Il en est de même pour l’agriculture», dit Jacques Ghafary. Mais, il est évident que le tourisme n’est pas aujourd’hui plus profitable que l’agriculture. «Rien n’empêche de continuer à planter les terres s’il s’avère que le tourisme ne rapporte pas assez», soutient-il. «Notre idée, c’est que le village reste le même, mais que sa plate-forme devienne son moyen de subsistance». N’a-t-il pas peur qu’une tendance à construire des complexes balnéaires, indépendamment du projet objet de litige, ne défigure la plaine si des critères stricts ne sont pas observés ? «La loi garantit un important pourcentage d’espaces verts et nous protège du gâchis», dit-il. «De plus, quand un premier projet jouit d’un certain standard, les autres ne pourront que suivre». Toutefois, qui peut garantir qu’un seul projet peut assurer des emplois à des Damouriens aujourd’hui dispersés ? «Il n’est pas nécessaire que ce projet crée des emplois pour tout le monde», déclare le moukhtar. «L’argent qui affluera vers la région aidera à un développement aujourd’hui inexistant». Sur ce point, Antoine Ghafary se montre sceptique : «Les promoteurs privilégieront les personnes originaires de leur région, et les bénéfices n’iront pas aux habitants de Damour». De son côté, Jacques Ghafary trouve «surprenant» que la municipalité s’oppose à un projet qui serait pour elle source de revenus, alors qu’Antoine Ghafary parle de «principes». Pour ce qui est du risque bien réel de ventes massives en cas de réévaluation des terrains, Jacques Ghafary révèle que «des milliers de mètres carrés ont déjà été vendus dans la partie agricole de la plaine, malgré les prix très bas». À cela, le député Élie Aoun, hostile à la classification touristique, indique à L’Orient-Le Jour : «À supposer que le chiffre de 89 terrains déjà vendus dont on parle soit exact (et à mon avis il est exagéré), ce ne sera rien comparé à ce qui arrivera si la réévaluation a lieu, puisque la plaine compte des centaines de propriétaires». Agriculture ou tourisme ? Il est clair donc que le véritable enjeu est celui de la classification de la plaine. Celle-ci, comme il a déjà été noté, possède une classification mixte depuis 1968. Il y a un an, le président de la municipalité, par souci de préserver le site comme il le dit lui-même, propose une modification de la loi dans le sens d’une réduction de la partie touristique de 200 à 100 mètres. Cette décision qui n’aurait pas fait l’unanimité au sein du conseil municipal (neuf membres sur quinze seulement auraient signé sur deux étapes), n’a satisfait ni le camp favorable au projet ni celui qui lui est hostile. Le premier prône une classification touristique pour la plaine entière. «Il est vrai que Damour est traditionnellement agricole», reconnaît Jacques Ghafary. «Mais elle est aussi très proche de la capitale et doit suivre le progrès tout en préservant son identité, son environnement et sa population. Le tourisme semble tout indiqué pour sa relance économique. D’ailleurs, même avec l’option touristique, 85 % de la plaine resteront vertes puisque la loi actuelle ne permet pas de construction au-delà de 15 %». Il conteste également le fait que 100 mètres ne suffisent pas à un développement touristique, puisque cette partie est justement traversée par le chemin de fer, donc des terres publiques non constructibles, et qu’il faut également compter 25 mètres de recul par rapport à la mer. Tel n’est pas l’avis du député Élie Aoun qui considère que la nouvelle décision de la municipalité n’était pas suffisante pour préserver la plaine. «J’ai demandé au président de la municipalité de geler cette affaire de classification jusqu’à ce que la Direction générale de l’urbanisme se prononce sur la question», à ce propos souligne-t-il. «Il faut que la classification de toute la plaine reste agricole, du moins jusqu’à ce que le retour se réalise». Enfin, pour Antoine Ghafary, «l’agriculture ne mérite pas la réputation et pourrait redevenir très rentable avec une relance économique du pays, tout en maintenant les habitants attachés à leurs terres». Il ajoute : «Damour, de par sa proximité avec Beyrouth, peut devenir une réserve agricole pour la capitale ! D’ailleurs, le tourisme ne fait pas plus de bénéfices aujourd’hui». Les accusations se multiplient entre les deux camps, les uns insinuant que l’on veut garder le prix de la terre très bas, les autres considérant que certains Damouriens désirent favoriser la vente de la plaine. En attendant la suite des événements, et loin de la folie des hommes, la belle plaine verte de Damour continue d’épouser tous les jours le bleu de la mer. Une réminiscence de ce qu’était une grande partie du littoral libanais. Quels que soient les développements de l’affaire, cela durera-t-il ?
Un projet de complexe balnéaire devant être réalisé sur un terrain appartement à l’Ordre maronite dans la plaine de Damour (au sud de Beyrouth) suscite depuis quelque temps des débat passionnés. La plaine de Damour (qui s’étend sur près de 800 mètres de profondeur au pied du village et jusqu’à la plage), jouit depuis l’adoption d’une loi en 1968 d’une...