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Actualités - BIOGRAPHIES

REGARD - Fausto Melotti (1901-1986) : sculptures, peintures, plâtres, céramiques, gravures - Architecte de l’invisible

Curieuse erreur dans la page de titre du catalogue de l’exposition anthologique itinérante de Fausto Melotti, artiste italien protéiforme, ingénieur électrotechnicien, musicien, sculpteur, peintre, céramiste, poète, théoricien d’une abstraction formelle musico-mathématico-modulaire reposant sur les lois de l’harmonie et du contrepoint, donc de la composition verticale et horizontale, et sur celles de la métrique et de la prosodie, donc de la scansion rythmique, transposées de la dimension temporelle à la dimension spatiale. Une erreur qui, au demeurant, s’inscrit parfaitement dans la sicence et l’art des intervalles et dans le sens et le sentiment des distances et des proportions qui constituent, au fond, l’essence même de sa démarche créatrice tout intellectuelle, loin des séductions sensibles de la représentation figurative et du charme tactile des volumes et des matériaux. Le catalogue lui alloue, en effet, une durée de vie, donc un intervalle, un espace, un parcours, un passage supplémentaire d’une décennie, en le faisant trépasser en 1996 au lieu de 1986. Équations en trois dimensions Rallonge involontaire, mais, si j’ose dire, erreur perspicace et heureuse puisqu’elle nous mène tout droit au cœur même de la pensée artistique de cet homme pour qui les mesures, les chiffres et les nombres comptaient tellement. Bien qu’il n’ait fait ses études de physique et de mathématiques puis de génie électrique que pour complaire à son père, tout en menant des études de musique et ensuite des études de sculpture pour complaire à ses propres aspirations, son esprit semble structuré en quelque sorte «more geometrico». Toute forme revient, pour lui, à des associations relationnelles entre éléments modulaires mathématiquement déchiffrables. En sorte que ses sculptures (du moins les 8 multiples en or, acier ou laiton surtout, édités de 3 à 99 exemplaires, et les 4 exemplaires uniques, dont trois «variations» sur un thème et une «esquisse», datés de 1969 à 1984, présentés dans cette exposition restreinte – 64 pièces – mais belle et concentrée : quintessentielle) sont, si l’on veut, des équations en trois dimensions. Plus exactement, ces sculptures ou plutôt ces échafaudages (Melotti se plaisait à les qualifier d’«anti-sculptures» pour souligner leur immatérialité et la prépondérance des vides sur les pleins, ce qui en fait des sctructures transparentes, aériennes, par là légérissimes et, paradoxalement, presque impondérables, du moins visuellement) sont des articulations de plans bidimensionnels bien plus que des objets tridimensionnels. Avec leurs lignes filiformes – de ténus tubes de laiton soudés, rémanence sans doute du savoir-faire de l’électrotechnicien – elles ressemblent à des assemblages de courbes dites algébriques, transcendantes et/ ou ornementales. Ainsi, La Lune au soleil est une chaise composée d’une assise rectangulaire, d’un dossier rectangulaire avec des chaînes parallèles, des pieds rectangulaires et d’une sinusoïde terminée par un croissant posée sur l’assise : chaque élément est géométriquement et algébriquement identifiable et mettable en équation. Le personnage Insomnie a pour corps une parabole cubique et pour bras une parabole, avec une sphère pour tête. Cube Alphabet est un cube dont les côtés sont constitués de lettres de l’alphabet, elles-mêmes faites de cercles, de triangles, de paraboles et de rectangles. Le Contrepoint plan est un parallélépipède rectangle fait de lignes parallèles, d’ellipses plus ou moins excentrées, de rectangles déployés en largeur et qui se répondent d’un côté et de l’autre du quadrilatère de base, le plein ici devenant contrapunctiquement vide là. Les Sept Magnifiques sont un rectangle comportant une ellipse-mandorle et une sinusoïde resserrée, surmonté d’un carré avec une spirale et un pendule à disque, le tout reposant sur deux triangles. Thème et Variations III est un carré avec des tiges parallèles à boules d’où retombent des chaînes en courbes de «chaînette». Ordre canonique Ce qui hante Melotti, c’est la recherche d’un ordre canonique à la fois plastique, mathématique, architectural et musical puisque, comme le montre Contrepoint plan, la lecture de l’œuvre n’est pas la saisie immédiate d’un volume, mais le passage, qui doit se faire dans le temps, comme le déchiffrement d’un contrepoint justement, d’un élément géométrique à un autre, la structure en registres de l’œuvre invitant d’ailleurs à l’analogie avec une partition. Des éléments géométriques sont, pour Melotti, des modules et le travail du constructeur – on ne peut plus parler de sculpteur dans le sens strict du terme – devient un travail de «modulation» (je dirais de modularisation) plutôt que de «modélisation». La plupart de ces modules n’ont aucun sens en eux-mêmes, pas plus que les lettres isolées de l’alphabet. L’irradiation du néant C’est leur association qui leur en confère un, mais précaire, car il semble toujours menacé tellement la construction apparaît vulnérable et fragile : c’est cette vulnérabilité apparente qui les dote d’une sorte de vibration sensible et d’une aura poétique que leur minimalisme formel, leur netteté, leur exactitude et leur pureté, qui aboutissent à leur totale absence d’opacité à l’analyse, tels des objets de science plutôt que des objets d’art, et la prévalence des discontinuités et des espaces invisibles sur les continuités et les espaces visibles et pleins, concrétisés en formes, auraient dû leur ôter. La petite frange d’irrationnel et d’intuitif finit donc par l’emporter sur le fond rationnel et intellectuel de l’œuvre. Cette frange est sans doute celle du sentiment d’une fuite du temps autant que de l’espace à travers les barreaux parallèles, les grilles et écrans des cages que Melotti se plaît à construire (cf. Le Jugement de Pâris, Le Cube Alphabet, Le Contrepoint plan...) pour n’y rien enfermer que le rien, l’irradiation du néant, l’épanchement du vide. À la limite, plus que la peinture pour Leonardo, la sculpture pour Melotti est véritablement une «cosa mentale» : sa réalisation effective n’est qu’une formalité, peut-être même pas nécessaire. Tout dans la tête, rien dans les mains : une sculpture radicalement immatérielle, la vraie et définitive abstraction. Mais c’est une limite, celle de l’art conceptuel, qu’il n’atteindra pas. Étrange destin que celui de Melotti qui était apparemment obsédé par les parallèles : même sa signature n’est faite que de lignes parallèles, le M étant réduit à trois traits verticaux, le E à un trait, le O à un point. Il ne commence à être connu du grand public, à travers quelques sculptures des années trente (son atelier fut détruit pendant les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale), qu’à l’âge de 65 ans. Il restera longtemps un artiste confidentiel, alors même qu’il était, paradoxalement, l’ami intime de Lucio Fontana, le plus tapageusement médiatique et international des artistes italiens de son temps. Comme si, par cet effacement, il reproduisait dans sa vie les silences spatiaux de ses œuvres. Silences qui suscitèrent longtemps l’incompréhension. La minimalisation des signes C’est donc entre 65 et 85 ans que se déroule l’essentiel de sa carrière publique. À 72 ans, il reçoit le prix Rembrandt, le Nobel des arts plastiques. De grandes expositions anthologiques lui sont consacrées, mais en Italie seulement, avant son décès en 1986. En fait, pendant longtemps, il a fait de la céramique pour gagner sa vie, remportant plusieurs prix artisanaux. Des spécimens datant des années 1950 à 1960 témoignent de cette activité : il y montre son sens de la fragilité des choses à travers une pâte très fine, des formes irrégulières, légèrement déformées et des glaçures subtiles. L’exposition compte également des eaux-fortes, des peintures et des techniques mixtes : ces œuvres, relativement mineures, sont des échos aux sculptures avec une tendance à la minimalisation des signes et à une certaine évanescence, tel le fort délicat crayon Chariot qui, pour figuratif qu’il soit, est une sorte de résumé de l’abstraction «en termes de variations et de contrepoints» chère à Melotti. En dédiant son livre Les Cités invisibles à Fausto Melotti, Italo Calvino ne s’était pas trompé d’adresse : c’est bien sous l’égide d’un architecte de l’invisible qu’il le plaçait (Musée Sursock).
Curieuse erreur dans la page de titre du catalogue de l’exposition anthologique itinérante de Fausto Melotti, artiste italien protéiforme, ingénieur électrotechnicien, musicien, sculpteur, peintre, céramiste, poète, théoricien d’une abstraction formelle musico-mathématico-modulaire reposant sur les lois de l’harmonie et du contrepoint, donc de la composition verticale et...