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Les formules qui paient , dans la restauration libanaise
Par DAOUD Barbara, le 03 juillet 1999 à 00h00
À en juger d’après le dynamisme du marché, la restauration serait bien une des activités les plus rentables du pays. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que «ça ne bouge» que dans quelques quartiers, quelques restaurants, voire même chez quelques groupes de gestion. Quelle serait donc la recette du succès? Le samedi soir, un critère trompeur Au Liban, comme partout ailleurs, la sortie du samedi soir est sacrée, et le «resto» figure parmi les options les plus prisées. C’est pourquoi, le plus souvent, la réservation est de rigueur si vous voulez garantir le dénouement de votre soirée. Malheureusement, et surtout par les temps qui courent, les samedis soirs sont plutôt l’exception qui confirme la règle. Il semblerait que l’industrie de la restauration ne soit pas la poule aux œufs d’or que l’on imaginerait en se fiant aux taux de remplissage du samedi soir et à la taille des foules qui s’abattent régulièrement sur certains restos de la ville. Si, de manière particulière, les restaurants et cafés de tout genre pullulent à Achrafieh et à la rue Verdun, centres «huppés» du moment où il fait bon de se faire remarquer, ce sont bien quasiment les seules régions où la profession de restaurateur semble plus ou moins s’épanouir. D’ailleurs, en semaine, même les restaurants qui ont la réputation de ne jamais désemplir ont du mal à attirer une clientèle autre que leurs habitués. Par ailleurs, l’intensité du travail des restaurants varie sensiblement d’une région à une autre. À peine sorti des restaurants les plus en vogue de la capitale, vous risquez en effet de vous retrouver dans une salle pratiquement déserte, surtout en semaine. Bien entendu, cela n’est pas toujours le cas, et certaines régions estivales particulièrement prisées (comme Broummana) abritent des restaurants qui survivent malgré la saisonnalité de l’activité. Il n’empêche que, même les gérants des restaurants les plus fréquentés s’accordent pour dire que le marché libanais témoigne actuellement de très peu de dynamisme dans l’industrie du tourisme, en général, et dans la restauration en particulier. Connaître son marché avant d’entreprendre À force de voir les restaurants pousser comme des champignons à chaque coin de rue, notamment dans les quartiers résidentiels chics de Beyrouth, on croirait que le restaurant est l’investissement le plus rentable et le plus sûr de nos jours au Liban. En fait, on n’aurait pas tout à fait tort, mais rares sont les propriétaires et/ou gérants de restaurants qui ont compris les mécanismes un peu particuliers du marché libanais et qui ont su en exploiter les avantages. La topographie du marché libanais de la restauration laisse clairement entrevoir que les restaurants qui peuvent être qualifiés d’entreprise réussie ne sont pas nombreux. Une estimation du marché situe le nombre de restaurants opérant au Liban aux environs de 900. À peine une vingtaine mériteraient d’être qualifiés de réussite, que ce soit en se fiant à leur durée de vie ou à leur rentabilité, elles-mêmes conséquences directes de l’intérêt suscité auprès de la clientèle. Les professionnels ne trouvent pas cela étonnant. En effet, le marché libanais de la restauration témoigne d’un surplus écrasant d’offres qui n’est pourtant pas injustifié : la majorité des restaurateurs s’aventurent carrément sur le marché sans pour autant connaître grand-chose sur cette branche particulière de l’industrie des services. A priori, ils n’ont pas défini d’objectifs commerciaux, ni même ciblé une clientèle spécifique particulière. Les études de faisabilité sont encore plus rares, et les propriétaires sont souvent surpris par la taille imprévue de l’investissement initial, sans compter que les charges d’exploitation sont le plus souvent sous-estimées. Comment s’étonner alors lorsqu’un nouveau restaurant ferme ses portes ou change de gérance à peine quelques mois après une ouverture en grande pompe? Clientèle versatile et durée de vie éphémère Le marché libanais de la restauration est sans doute régi par des lois et des mécanismes bien différents de ceux existants ailleurs, à commencer par la facilité d’entreprendre qui caractérise le marché dans l’ensemble. Il est surtout très petit et l’on estime à 3 500 personnes le nombre de personnes qui sortent au quotidien. Ce sont surtout ces «jet-setters» qui squattent quelques endroits pendant quelques mois avant de déménager, en troupeaux, chez le nouveau dernier où il fait bon de voir et de se faire voir. Ce sont eux aussi à qui l’on décerne le titre «d’habitués» ou de «réguliers» et qui constituent la cible première des restaurateurs qui cherchent à s’incruster sur le marché des restaurants «in». Pour le restaurant nouvellement lancé, cette catégorie de clients dispersés en ville et qui sortent très souvent est une source de rentrées constantes qu’il s’agit à tout prix de récupérer. Il est en effet difficile pour un restaurant de fidéliser une clientèle, sauf à court terme (le plus souvent quelques mois). La sortie resto demeure bien plus un phénomène social qu’un désir de bien manger dans un cadre agréable. C’est pourquoi la durée du succès d’un restaurant au Liban est, en moyenne, d’une année. Une fois que le marché propose «autre chose», c’est au nouveau venu d’être assiégé par la clientèle versatile des quelques autres boîtes à succès de la place. Et le succès, évidemment, déménage avec la clientèle. Un restaurateur averti en vaut deux Un rapide coup d’œil sur le marché, et l’évidence saute aux yeux : l’expérience dans le domaine de la restauration est un atout de taille dans la réussite. Mieux on connaît les mécanismes du marché, plus les chances de réussite et d’expansion sont grandes. Ils sont quelques-uns à avoir compris le «truc» sur le marché libanais et à avoir d’ailleurs établi une sorte d’oligopole redoutable. Bien que le grand nombre d’unités opérant au Liban laisse croire à un marché atomisé, le dynamisme dont font preuve quelques établissements ne laisse aucun doute quant à la suprématie, sur le marché local, de quelques groupes propriétaires et/ou gérants de plusieurs restaurants. Un peu à l’image du pionnier et leader Idarat, quelques groupes de gestion spécialisés dans la restauration ont réussi à se forger un nom et à se tailler une part de marché plus ou moins importante. On cite parmi eux Consult et SoChiModo. Le succès de ces groupes repose essentiellement sur la diversification (aussi bien au niveau de la clientèle ciblée que du type de produit offert ou encore de la gamme de prix et du thème du restaurant) et, bien entendu, sur une gestion professionnelle. Le succès de ces quelques groupes locaux ne va pourtant pas à l’encontre de la réussite de quelques restaurateurs indépendants ayant fait preuve d’initiative innovatrice et d’une bonne technique de gestion. Pourtant, dans ce dernier cas, il va sans dire que le nom, la popularité et la position sociale du propriétaire jouent généralement un rôle majeur quant au succès remporté par sa boîte, bien plus que son expérience dans le domaine, et parfois même malgré la qualité très moyenne de la nourriture et du service. Le restaurateur libanais doit aussi faire face à une concurrence étrangère, par exemple le restaurant d’un hôtel de renommée internationale, ou encore un restaurant à thème faisant partie d’une chaîne internationale. En général, ces restaurants sont forts d’une renommée internationale et attirent d’ores et déjà de par leur nom. Ils percent donc facilement sur le marché mais, tôt ou tard, ils doivent relever le défi du temps, comme tout autre restaurant de la place. C’est pourquoi, quelle que soit la catégorie du restaurant, sa réussite d’abord et sa survie ensuite reposent fondamentalement sur l’habileté de ses gérants à démarquer leurs boîtes par rapport à la concurrence et aux formules déjà répandues sur le marché. Si percer sur le marché est relativement facile, s’y positionner confortablement relève du défi. Les ingrédients de la réussite Les professionnels du marché s’accordent à dire que le trio gagnant est le suivant : un thème et le cadre qui va avec, des produits et un service de qualité, et un rapport qualité-prix bien perçu par la clientèle. – Le resto à thème : dernier cri du marché Dernièrement surtout, les restaurants à thème font fureur. On ne sort plus au resto, mais on «va manger mexicain», chinois, japonais ou thaï dans un cadre qui s’y prête. Les envies d’ambiance américaine et de rock sont assouvies par les nombreux «diners» et «saloon» où il est traditionnel de parler anglais. Une dizaine de restaurants de la capitale répondent aux exigences d’une sortie «sérieuse», à savoir la dégustation d’une cuisine raffinée dans un cadre luxueux et parmi une clientèle sélecte. Même les pizzerias sont dotées de décors exotiques ou rustiques, tandis que l’intérieur de quelques brasseries et salons de thé font revivre la gloire des décennies passées. Thèmes et décors vont en effet de paire. Les décorateurs se livrent une guerre impitoyable et c’est à qui réussit le décor le plus fantastique et le plus unique. Le résultat est d’ailleurs souvent tel qu’on y va plus pour l’ambiance que pour la qualité de la nourriture et du service. – Le défi majeur : faire bien et pour longtemps Au Liban, encore moins qu’ailleurs, il ne s’agit absolument pas de servir de la nourriture, même bonne, pour avoir un restaurant «réussi». Et pourtant, un minimum est nécessaire pour qu’un restaurant puisse survivre, sinon faire durer un succès traditionnellement éphémère. Le défi est d’autant plus grand que les mesures de contrôle prises par l’État sont symboliques comparées aux normes strictement exigées à l’étranger dans les restaurants de toutes catégories. En gros, le contrôle de qualité se limite à une petite tournée dans les cuisines où sont vérifiées les dates de péremption des conserves. Règles d’hygiène, méthodes de stockage des ingrédients, disposition des ordures, aménagement des cuisines et de l’espace clientèle, etc. devraient en fait faire l’objet du contrôle le plus strict. Ce n’est pas le cas au Liban, et même les contrôles élémentaires qui se font ne se font ni régulièrement ni sérieusement. Par conséquent, les gérants du restaurant sont entièrement responsables de la qualité des produits servis à leurs tables et de l’efficacité du service qu’ils offrent. La qualité d’un restaurant en vient alors à refléter les capacités de gestion de son propriétaire. Le défi consiste alors à parvenir à maintenir un service de qualité, associant bonne cuisine et accueil de charme. Cela implique une surveillance rigoureuse et continue et, surtout, une bonne formation du personnel, souvent peu qualifié et sans expérience. – La «douloureuse» Le terme a dû être inventé à la suite d’un repas de choix dans un restaurant digne d’être encensé par le Guide Michelin. Au Liban, le qualificatif est pratiquement polyvalent! L’addition est en effet presque toujours surprenante si l’on révise la commande. D’ailleurs, à force de sorties resto, on n’est plus surpris, mais surtout décidé à dîner plus souvent chez soi. Mais pourquoi cette cherté si rarement justifiable? Les prix des restaurants constituent l’un des critères auxquels se fient les touristes pour évaluer la cherté d’un pays. Dans ce cas, nul doute que le Liban est un pays cher. Les suppléments faramineux qui viennent gonfler une addition a priori acceptable (entre 14 et 16% de service, et 5% de taxe gouvernementale) deviennent pratiquement prohibitifs. Sans compter que le pourboire est un «must» au Liban. Parmi la clientèle, la croyance générale veut que, plus le pourboire est important, plus le client est associé à la catégorie des VIP (ambition très répandue au Liban). En fait, ces «remerciements» sont des investissements : on achète bel et bien les «salamaleks» souhaités à la prochaine visite. Et l’on craint la répression au moindre signe d’économie! Il semble en effet que les restaurateurs appliquent (un peu trop) souvent le concept du prix psychologique. Le raisonnement en est le suivant : jusqu’à concurrence d’un certain montant (variable selon le standing du restaurant), le client est persuadé qu’il paie relativement cher en contrepartie de la qualité. Ainsi, dans un restaurant de luxe, le client libanais est prêt à payer en moyenne 40 à 50 dollars par personne pour un repas complet. C’est exactement ce que facturera donc un restaurateur averti, même si un calcul rationnel des coûts du repas mène à un solde de $25... D’ailleurs, une addition inférieure risquerait de donner au client l’impression d’une qualité moindre! On en vient alors à payer un repas moyen au Liban autant qu’un repas dans un restaurant prestigieux d’une capitale européenne. Évidemment, faute de concurrence substantielle en matière de qualité, beaucoup de restaurants survivent admirablement tout en étant relativement chers. Sans compter que, malgré des charges d’exploitation assez élevées, les restaurateurs payent toujours au Liban des taxes modérées et des charges sociales peu significatives comparées à ce qui est payé à l’étranger. Pourtant, à y réfléchir, ils ne sont pas nombreux ceux, au Liban, qui peuvent se payer un «resto» une fois la semaine. Entre-temps, de nouveaux restaurants voient le jour régulièrement... C’est à en conclure que le marché de la restauration au Liban défie toutes les règles du secteur. Normalement, on ouvre un restaurant dans une perspective d’investissement à long terme. Au Liban, ce serait plutôt le principe du «hit and run» qui réussirait.
À en juger d’après le dynamisme du marché, la restauration serait bien une des activités les plus rentables du pays. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que «ça ne bouge» que dans quelques quartiers, quelques restaurants, voire même chez quelques groupes de gestion. Quelle serait donc la recette du succès? Le samedi soir, un critère trompeur Au Liban, comme partout...
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