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Actualités - REPORTAGES

Des corps carbonisés ou déchiquetés, des maisons en ruines Spectacle d'apocalypse à Djakovica (photo)

Des corps carbonisés ou déchiquetés, des tracteurs réduits en ferraille, des maisons en ruines : le bombardement par l’Otan de deux convois de réfugiés mercredi dans l’ouest du Kosovo offre une vision apocalyptique. Personne ne peut entrer au Kosovo sans le consentement de l’armée yougoslave. La province est verrouillée et toutes les routes qui y mènent sont étroitement surveillées. Normalement, il faut moins de trois heures pour y arriver. Mais en ces temps difficiles, le trajet dure plus de cinq heures. Un pont détruit par les Alliés dans la région de Krucevac au sud de la Serbie prolonge davantage le voyage qui se fait à bord d’un bus affrété par l’armée et escorté par des voitures de police banalisées. Quand on entre au Kosovo, on est étreint par des sensations bizarres qu’on ne ressent pas ailleurs. Pourtant, la guerre n’épargne aucune région de Yougoslavie. Est-ce parce que nous sommes conditionnés par toutes ces images vues et revues, par toutes ces histoires mille fois ressassées, par cette propagande, quelle que soit son origine, inlassablement martelée ? Au Kosovo, le ciel est bas. Ce n’est évidemment qu’une impression. Une impression suscitée davantage par la proximité du danger provenant des avions de l’Otan que par les hautes montagnes de cette région verdoyante. Cette province a une géographie variée qui rappelle beaucoup celle du Liban. Collines et plaines se succèdent et les pics les plus hauts se trouvent à la frontière albanaise, au sud-ouest de Djakovica, notre destination finale. Le paysage qui défile sous nos yeux entre Prizren et Djakovica ressemble plus au Liban-Sud qu’au Mont-Liban. Une route de six mètres de large qui se faufile entre des petites collines vertes. Les villages et les localités que nous traversons ou que nous contournons sont semblables à ceux qu’on peut visiter en Serbie : des maisons basses recouvertes de tuiles. Une différence cependant : beaucoup d’habitations sont entourées d’une enceinte en brique rouge de deux mètres de haut environ. Une tradition du pays, paraît-il. Au Kosovo, les avions de l’Otan sont très actifs de nuit comme de jour, contrairement au reste de la Serbie où les appareils frappent plutôt après la tombée de la nuit. Le vrombissement incessant devient comme un bruit de fond, inhérent à l’endroit. On a la désagréable impression d’être constamment observé par des yeux invisibles. Vranje, Uresovac, Gnjilane... toutes ces localités contournées ou traversées sont-elles vides, ont-elles été incendiées ? Difficile de répondre à ces questions. Parfois, on aperçoit une vieille femme derrière un rideau, ou un homme tirant un bœuf. Parfois aussi, on croise une voiture. Mais une chose est certaine, l’activité est anormalement lente et les champs sont vides. Les bourgades aperçues ne semblent pas avoir été incendiées ou détruites. Un mur noirci par-ci, une façade éventrée par-là. Mais une fois encore, on ne peut pas bâtir une opinion sur des coups d’œil jetés à travers la fenêtre d’un bus. Après plus de cinq heures de route, le lieu du drame apparaît, soudain, comme une image sortie d’un film d’horreur. Sur une route plate, à moins de dix kilomètres au sud-ouest de Djakovica, un spectacle apocalyptique s’offre à nos yeux. Des tracteurs calcinés, des remorques tordues propulsées par le souffle des explosions dans les champs environnants, de la tôle tordue, des vêtements brûlés éparpillés dans un rayon de 150 mètres. Sur les branchages d’un arbuste, un pneu pend comme un fruit maudit. Au moins six véhicules ont été touchés par les missiles. Visiblement, tous ne se trouvaient pas au même niveau dans le convoi. Plusieurs tracteurs intacts sont garés sur le bas-côté de la route entre le premier et le deuxième véhicule bombardé. Trois énormes cratères profonds de plus d’un mètre parsèment la chaussée. Une autre bombe a creusé un cratère encore plus impressionnant dans un champ à proximité. Quelques dizaines de mètres plus loin, la toiture d’une maison a été soufflée et les tuiles projetées dans tous les sens. Les morts ont été enlevés et les blessés évacués vers les hôpitaux. Mais sur un autre site bombardé, à trois kilomètres de celui-ci, les journalistes ont dénombré 16 cadavres déchiquetés et parfois calcinés. Certains rescapés se sont réfugiés dans un hameau non loin du lieu du drame. Une trentaine de personnes, en majorité des vieillards, rôdent comme des âmes en peine dans les champs environnants à la recherche d’une couverture qui n’a pas brûlé ou d’un ustensile de cuisine encore utilisable. Ils sont comme assommés, et rares sont ceux qui ont la force de parler. Ils répondent aux questions par des gestes de la main en montrant le spectacle de désolation et en regardant le ciel. Selon les explications d’un policier yougoslave, le convoi de réfugiés qui s’étirait sur plusieurs kilomètres au nord et au sud de Djakovica aurait été bombardé à trois reprises et en trois endroits différents. Les réfugiés du convoi rentraient-ils chez eux comme l’affirment les autorités yougoslaves ou se dirigeaient-ils vers l’Albanie, comme le dit l’Otan ? «Nous étions regroupés dans un endroit dangereux non loin de la frontière, explique Islar qui se trouvait à cent mètres du dernier tracteur touché par les avions. La police nous a escortés pour nous conduire vers un lieu sûr». Une réponse qui ne nous éclaire pas davantage sur leur véritable destination. Quelle importance ont tous ces détails. Les morts ne ressusciteront pas et les orphelins resteront seuls. Et la guerre, elle, continue de plus belle.
Des corps carbonisés ou déchiquetés, des tracteurs réduits en ferraille, des maisons en ruines : le bombardement par l’Otan de deux convois de réfugiés mercredi dans l’ouest du Kosovo offre une vision apocalyptique. Personne ne peut entrer au Kosovo sans le consentement de l’armée yougoslave. La province est verrouillée et toutes les routes qui y mènent sont étroitement...