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Actualités - REPORTAGES

Société - Rencontre enfants-adultes Les écoliers du Lycée de Habbouche (Nabatiyeh) discutent de leurs droits(photos)

Les programmes scolaires continuent certes d’être trop livresques, parfois même indigestes pour beaucoup des enfants. Néanmoins, des efforts appréciables sont entrepris dans plusieurs établissements pour améliorer, qualitativement, les cursus scolaires. Un exemple qui illustre l’assouplissement opéré au niveau des méthodes pédagogiques: les élèves sont en contact avec des sujets puisés dans la vie de tous les jours et de plus en plus confrontés à des situations réelles qui les préparent au monde universitaire et professionnel, et puis à la vie tout court. Au Lycée franco-libanais de Habbouche, près de Nabatiyeh, les élèves de la 7e A, CM2A, en ont fait l’expérience. Pour joindre «l’utile à l’expression orale» et pour encourager les enfants à débattre, en présence des aînés, de sujets qui les préoccupent, le proviseur, M. Claude Vincensini, a répondu favorablement à une demande des enfants qui voulaient discuter, devant un groupe d’experts, de leurs droits. Sitôt dit, sitôt fait. Quelques jours plus tard, une table ronde était organisée dans les locaux du lycée, à laquelle ont été conviés les «adultes». Mais pas n’importe lesquels : judicieusement choisis par ces chérubins de 10-11 ans, les intervenants avaient tous un rapport, direct ou indirect, avec une question capitale, celle des droits de l’homme et des enfants. Un médecin, une avocate, le président du conseil municipal de Habbouche, un membre du comité des parents, une représentante d’une ONG, un délégué de l’Unicef, un enseignant du lycée, et le proviseur, pour bien canaliser la discussion. Et pour couronner le tout, un journaliste qui se chargera de transmettre leur message à la presse. Faisant preuve d’une audace peu courante à cet âge, affichant un sérieux qui a fini par intimider le peloton d’experts, des petites voix s’élevaient, à tour de rôle, pour s’enquérir de leurs droits en tant qu’enfants du Sud mais aussi en tant qu’enfants tout court. Car ne l’oublions pas, ces bambins sont parfaitement conscients de la situation précaire dans laquelle se trouve leur région, et les échos des bombardements sont devenus familiers à leurs oreilles. «Hier, pour la première fois, nous explique le proviseur, deux obus sont tombés sur la colline d’en face (à quelques kilomètres à peine du lycée). Les enfants jouaient dans la cour. Alors, durant quelques secondes, ils se sont figés de peur, pour reprendre leurs jeux quelques minutes plus tard, une fois le danger passé». Parcs et argent La question de la sécurité et les conditions particulières du Liban-Sud revenaient souvent dans la bouche de ces enfants, conscients de leur «différence» et de tout ce qui les distingue «des autres enfants libanais». «Comment trouvez-vous les enfants du Sud. Que fait-on pour les enfants emprisonnés chez les Israéliens. Ont-ils le droit de faire cela ?». Des questions embarrassantes pour ces adultes qui, évidemment, n’avaient pas de réponses toutes faites pour expliquer l’injustice et les abus commis dans cette région du pays. «Il est certain que la Charte des droits de l’homme est constamment violée ici», dira le représentant de l’Unicef, M. Tarek el-Mir, qui expliquera que, malheureusement, des milliers d’enfants subissent les conséquences de la guerre des grands, mais que l’Unicef ne peut que relever ces violations et les dénoncer auprès des gouvernements concernés. L’organisme international peut également émettre des recommandations sur le plan de la santé et de la sécurité des enfants, mais il appartient aux États concernés, dit-il, de les mettre en application. «On n’a pas d’espace pour jouer, et il nous est interdit d’aller dans les champs», dit Omar, qui faisait allusion à l’enfant décédé, il y a quelque temps, à la suite de l’explosion d’une mine non loin de là. Et d’enchaîner, en s’adressant au président du conseil municipal, M. Mohammed Makké : «Vous aviez promis à la télé de “faire des parcs” pour les enfants de Nabatiyeh, ce sera pour quand?», demande-t-il avec tout le sérieux du monde. Ce à quoi M. Makké répond, qu’il «a hérité d’une municipalité pauvre» et qu’un tel projet requiert espace et financement. «Il faudra du temps pour trouver les fonds nécessaires», dit-il a son jeune interlocuteur, satisfait d’avoir formulé sa revendication, mais déçu d’apprendre qu’il n’aura pas son espace vert de sitôt. «Pourquoi alors ne pas prendre de l’argent des gens?», reprend un autre, avec toujours cette même candeur désarmante. «Vous me donnez là une très bonne idée», rétorque le président de la municipalité, ému par une intelligence aussi intuitive. Vient alors le tour des questions sociales, dans lesquelles les thèmes de la pauvreté, de la souffrance, de l’injustice reviendront souvent. «A-t-on le droit de “jeter” les enfants», demandera Rim dans une allusion aux bébés illégitimes abandonnés par leurs mères devant des institutions d’adoption ou, pire encore «jetés», comme la petite l’avait bien dit, dans des poubelles. L’avocate, Nora Hallak, acquiesce: il s’agit en effet d’un véritable crime, mais il est difficile de faire quelque chose, puisque les parents disparaissent généralement après avoir commis leur acte odieux. Enfants battus «Pourquoi les adultes ont-ils le droit de frapper le enfants?», demande à son tour un petit garçon dont on avait à peine entendu le nom. Et le proviseur de répondre que les adultes n’ont certainement pas le droit de le faire, mais que, malheureusement, «ces situations existent». «Pourquoi bat-on les enfants dans les écoles et comment sont jugés ceux qui maltraitent les enfants?», enchaînent deux petites voix. Bref, des questions d’autant plus déconcertantes que les réponses à leur apporter sont difficiles. Le proviseur fait remarquer que les enfants faisaient probablement allusion à certaines écoles de la région, où le châtiment corporel était parfois de rigueur. En tous les cas, le thème de la violence, qui s’est manifesté à travers plusieurs questions, semble bien vivace dans la tête de ces chérubins qui savent désormais que personne n’a de droit absolu sur eux et que les châtiments corporels, de même que toute forme de violence, sont certainement condamnables. Vient le tour des questions économiques (ces enfants n’auront oublié aucun sujet…). Layal adresse sa question à Mme May Jaber, représentant une ONG concernée par «l’enfance et la maternité», pour lui demander ce que fait son organisation pour les enfants pauvres. Ce à quoi Mme Jaber répond en expliquant qu’avec les «moyens de bord», qui sont par ailleurs bien maigres, certaines activités d’entraide sont prévues à l’intention des enfants nécessiteux. Et Nivine de s’adresser à son tour au Dr Ahmed Haidar pour lui demander s’il soignait des familles pauvres. Le médecin lui répond que les familles pauvres bénéficient de soins gratuits. Commentaire de la fillette: «Les médecins disent toujours cela, mais prennent quand même de l’argent !» Éclat de rire dans la salle. Décidément, ces gamins sont bien embarrassants. Petits et grands ayant joué le jeu jusqu’au bout, cette rencontre fut, en tous les cas, on ne peut plus utile. Le Lycée franco-libanais s’était transformé, l’espace de quelques heures, en une véritable tribune où des voix fluettes mais déterminées se sont fait entendre. Car indépendamment de l’aisance dont ils ont fait preuve dans le maniement de la langue (la discussion, qui était en français, devait servir comme un exercice d’expression orale), les petits de la 7e A du lycée de Habbouche-Nabatiyeh ont vécu une expérience d’autant plus unique qu’elle a porté sur un sujet vital, celui de leurs droits en tant qu’enfants et citoyens libanais à part entière. La libération d’Arnoun, par les représentants d’une génération à peine un peu plus agée, est venue, quelques jours plus tard, justifier leur aspiration au droit à la parole, à la résistance, à la liberté.
Les programmes scolaires continuent certes d’être trop livresques, parfois même indigestes pour beaucoup des enfants. Néanmoins, des efforts appréciables sont entrepris dans plusieurs établissements pour améliorer, qualitativement, les cursus scolaires. Un exemple qui illustre l’assouplissement opéré au niveau des méthodes pédagogiques: les élèves sont en contact avec des sujets...