Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Retombées de l'affaire Toufayli, relations avec les sunnites et les chrétiens, lutte contre les leaderships traditionnels De Baalbeck à Brital : l'heure de vérité pour le Hezbollah (photos)

Baalbeck, Chmestar et Brital. Ces trois localités permettront aux différentes parties présentes dans la Békaa centrale de mesurer avec plus ou moins d’exactitude leur influence sur l’opinion publique. C’est surtout vrai pour le Hezbollah qui se présente depuis des années comme le parti le plus puissant, le mieux structuré et le plus populaire du pays. L’est-il réellement? Le verdict des urnes est censé être le plus fidèle des baromètres. C’est dire que cette consultation populaire a une dimension qui va au-delà de l’élection de conseils municipaux. Depuis la dissidence de l’un des fondateurs du Hezbollah, cheikh Sobhi Toufayli, nul n’a pu, en effet, mesurer avec précision la gravité de la déchirure provoquée par la «Révolte des affamés» et par son épilogue sanglant. La réponse viendra peut-être de Brital, le village natal du révolutionnaire enturbanné qui vit dans la clandestinité depuis février dernier. A Baalbeck, il s’agit de savoir comment les sunnites et les chrétiens ont vécu ces quinze dernières années de culture khomeyniste importée par le Hezbollah. Et, enfin, à Chmestar, c’est un bilan de santé des leaderships qui pourra être établi: malmenées, voire marginalisées par le parti islamiste, les figures traditionnelles se jettent sur n’importe quelle occasion pour tenter de regagner une petite parcelle du terrain perdu. Chmestar montrera si elles ont réussi...Trois localités, trois tests indispensables pour dessiner les contours du nouveau paysage politique dans la Békaa. Le Hezbollah et ses nombreux ennemis, dont beaucoup étaient ses alliés lors des dernières élections législatives, ont jeté tout leur poids dans la bataille. On peut mesurer l’importance des moyens mis en place avant même d’arriver dans la ville du dieu Soleil. Sur toute la route de Damas, des dizaines de minibus loués par le parti pour transporter des électeurs originaires de la Békaa et installés à Beyrouth ou même au Liban-Sud, foncent à toute vitesse en direction de Baalbeck ou du Hermel. Des affiches de candidats défilent sous les yeux des automobilistes et des fanions verts du mouvement Amal et jaunes du Hezbollah sont plantés un peu partout. Pour le Hezbollah, il n’ y a pas de sanctuaire interdit dans la Békaa. Partout où il est présent, le parti islamiste veut livrer bataille. Dans chaque localité, il présente des candidats. Et le fait que Chmestar soit le village natal et pratiquement le dernier carré du président Hussein Husseini n’y change rien. Il faut dire que les enjeux sont importants. Après Baalbeck et le Hermel, Chmestar est la troisième municipalité chiite de la Békaa. Aux 9.400 électeurs de la localité, il faut ajouter 7000 autres habitants d’une dizaine de villages, dont les fermes du clan Mcheik. Ce groupe de localités forme le conseil municipal de Chmestar composé de 21 membres. Certains de ces hameaux sont éloignés de...trente kilomètres. La police militaire Chmestar est quadrillée par la police militaire. Des soldats vigilants coiffés de casques rouges surveillent le va-et-vient des automobilistes et des passants. C’est l’omniprésence des partisans du Hezbollah qui surprend. Ils sont partout, même sur la petite allée plantée de peupliers menant à la somptueuse villa de M. Husseini. Transformée en QG de «la liste de la réforme», celle-ci aussi grouille de monde. L’ancien chef du Législatif, entouré des membres de sa famille, supervise en personne le déroulement des opérations électorales. Président sortant du conseil municipal, il a formé une liste de 19 membres conduite par son frère Mehdi, après que le Parlement eut interdit le cumul des mandats. Cette liste comprend des candidats des plus grandes familles et bénéficie du soutien du mouvement Amal et des partisans de cheikh Toufayli. Les Toufayli sont d’ailleurs assez nombreux dans la localité. Le président Husseini est une des principales victimes de la montée en puissance du Hezbollah. Au fil des ans, il a vu son leadership s’éroder au point que la liste qu’il a formée lors des élections législatives de 1992 a été laminée par le parti islamiste. Après ce triste épisode dans sa carrière politique, il a dû quitter la tribune de président de la Chambre pour rejoindre les bancs des députés qu’il a boudés pendant quatre ans. Et voilà que le Hezbollah vient maintenant lui disputer le leadership dans son propre bastion avec une liste verrouillée de 21 membres. Pour le président Husseini, celui qui tire les ficelles de cette confrontation se trouve ailleurs. Ce n’est pas seulement le parti islamiste qu’il affronte, mais également le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, «sinon, comment expliquer le fait que toutes les personnalités qui tournent dans son orbite appuient la liste adverse», nous dit-il. Le domicile de notre confrère Talal Salmane, PDG du Safir, sert de point de ralliement aux partisans de la liste soutenue par le Hezbollah. Pour M. Salmane, la bataille de Chmestar oppose le «sayyed» (le président Husseini) qui a toujours traité ses sujets avec condescendance et une génération de jeunes qui veulent participer à la gestion de leurs propres affaires». A Chmestar, il faut tout repenser, à commencer par le découpage électoral, explique-t-il. L’intégration de villages éloignés de 30 km à la municipalité de Chmestar date de 1958 et visait, selon lui, à remodeler le paysage politique de la région en prévision des élections législatives qui devaient frayer le chemin au jeune Hussein Husseini appuyé par Joseph Skaff. Invoquant le mauvais état des routes, le délabrement des bâtiments publics et la pénurie chronique d’eau, M. Salmane insiste sur la nécessité du changement. Ce changement peut être concrétisé par le Hezbollah soutenu par les familles et le courant de jeunes intellectuels. «Moins que la moitié des candidats de la liste que nous appuyons sont membres du parti», dit-il. Les intérêts politiques divergents ont empêché la formation d’une liste d’entente. M. Husseini ne peut se permettre de partager le leadership de son dernier bastion avec le Hezbollah ou avec d’autres figures émergentes. D’un autre côté, le parti islamiste ne peut pas relâcher sa pression sur l’ancien président de la Chambre sans risquer de le voir resurgir en tant que force principale dans la Békaa centrale. Pourtant, les négociations se sont poursuivies jusqu’à vendredi à l’aube. «L’insistance de M. Husseini à vouloir placer son frère à la tête d’une éventuelle liste d’entente a torpillé le dialogue», précise M. Salmane. Dans les deux camps, on crie à la victoire avant même la fin des opérations de vote. Mais déjà sur le terrain, la liste soutenue par le Hezbollah a remporté une bataille. Celle de la propagande électorale. A Baalbeck, seul contre tous Cette propagande est tellement puissante que parfois, elle frôle l’arrogance. De Chmestar à Baalbeck, en passant par Taraya, Nabi Rachada, Kfar Dane et Boudaï... ce ne sont que convois du Hezbollah, voitures munies de haut-parleurs et jeunes gens arborant des drapeaux jaunes qui défilent dans tous les sens. Mais que font donc les adversaires de ce parti? Leur effacement a quelque chose d’agaçant. Il faut arriver à Baalbeck pour réaliser que dans cette ville, l’issue de la bataille est incertaine pour le Hezbollah. Les 24.000 électeurs semblent tous mobilisés. Les murs sont recouverts d’affiches des 20 membres de la liste de la convivialité du Hezbollah et des 21 candidats soutenus par tous les partis laïcs, par le mouvement Amal et par les partisans de Toufayli regroupés au sein de la liste du développement de Baalbeck. Les grandes familles aussi les soutiennent. Au fil de la journée, le Hezbollah et ses adversaires ont accentué la mobilisation de leurs troupes. La pression est si forte qu’elle pourrait ébranler les immenses colonnes des temples de Bacchus et de Jupiter. Pourtant, aucun incident grave ne perturbe les opérations de vote. Et le ministre de l’Intérieur, M. Michel Murr, qui avait été interdit de passage dans la région par cheikh Toufayli, est accueilli aux cris de «Vive le retour de l’Etat» lors de sa tournée. Après la banlieue-sud de Beyrouth le 24 mai dernier, c’est à Baalbeck que le Hezbollah a sans doute déployé les plus gros moyens. C’est qu’il ne peut pas se permettre une défaite dans cette ville symbole qui l’a vu naître en 1982 sous l’impulsion des Gardiens de la révolution iranienne venus en volontaires se battre contre l’armée d’invasion israélienne. Face aux moyens considérables et aux grandes capacités de mobilisation du parti islamiste, le Baas, le Parti social national syrien (PSNS), le Parti communiste libanais (PCL) et leurs alliés ne disposent que de faibles potentialités. Mais ils comptent surtout sur deux facteurs: d’abord un vote de rejet de la part des électeurs sunnites et chrétiens (environ 8.000), ensuite la méfiance des commerçants. Le Hezbollah veut notamment jumeler la ville avec Téhéran alors que ses rivaux ont choisi Rome pour «honorer les temples de Jupiter, de Bacchus et de Vénus», les plus grands du Moyen-Orient et parmi les plus beaux du monde. «Notre ville ne peut plus vivre sur la culture de la drogue», déclare Hussein Hamiyé, un vendeur de souvenirs près des ruines romaines. «Nous devons renforcer le tourisme. Avec une victoire du Hezbollah, cela n’est pas évident». Beaucoup d’autres commerçants acquiescent en bons pragmatiques, bien qu’ils affirment soutenir le Hezbollah dans sa résistance contre Israël. «Mais il ne faut pas mélanger politique et affaires», explique Amer Haïdar. Pour tenter de rallier les électeurs de la forte minorité sunnite, le Hezbollah a fait appel au député Ibrahim Bayan, membre sunnite de son bloc parlementaire qui a fait le tour des bureaux de vote. D’autres personnalités sunnites proches du parti ont aussi été mises à contribution. Pendant que la bataille électorale fait rage, un groupe de touristes américains, légèrement vêtus, visite tranquillement les ruines de Baalbeck. L’autre grand défi du Hezbollah s’appelle Brital. Dans «le village aux 40 martyrs», tombés dans les rangs de la résistance, il y a un portrait de Toufayli à chaque coin de rue. Pour une journée électorale, la bourgade est étrangement calme. Seuls le ronronnement des chenilles des transports de troupes de l’armée qui sillonnent les ruelles et les appels à la prière du muezzin troublent le silence. «Je peux dès maintenant vous donner les résultats des élections», affirme Ziad Tleiss, principale figure de la liste verrouillée de 15 membres formée par les partisans de Toufayli. Assis sous le portrait de son frère, Khodr Tleiss, ancien député et principal lieutenant du cheikh rebelle tué en février près de Baalbeck, Ziad a «une confiance aveugle dans la loyauté de la population». Il assure qu’il n’ y a aucun contact avec cheikh Toufayli. «Sans même me concerter avec lui, je devine son opinion», dit-il. Officiellement, le Hezbollah n’a pas présenté de candidats à Brital pour éviter les provocations. Ziad Tleiss assure toutefois que des membres du parti ont formé une liste de 12 candidats sans pour autant mener la bataille sous l’étiquette du Hezbollah. «Nous savons très bien qu’ils sont affiliés au parti», dit-il. Selon lui, les chances de succès de cette liste incomplète sont «nulles». Pourquoi alors le Hezbollah a-t-il quand même présenté des candidats dans cette localité qui n’a pas encore fini de panser ses blessures? Il s’agit sans doute d’une manœuvre pour sonder le terrain et savoir si le divorce avec Brital, qui fut pendant des années le vivier de la résistance, est consommé. De ces élections, chaque partie attend donc des réponses à une foule de questions. La vérité sortira des urnes. Chacun ajustera alors ses positions en prévision des échéances à venir.
Baalbeck, Chmestar et Brital. Ces trois localités permettront aux différentes parties présentes dans la Békaa centrale de mesurer avec plus ou moins d’exactitude leur influence sur l’opinion publique. C’est surtout vrai pour le Hezbollah qui se présente depuis des années comme le parti le plus puissant, le mieux structuré et le plus populaire du pays. L’est-il...