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Actualités - REPORTAGE

Guerre de rumeurs et panachage à outrance à Nabatiyé (photos)

Il y a fort à parier que Nabatiyé n’aura pas un conseil municipal monochrome: le panachage pratiqué à grande échelle dans le chef-lieu de ce caza du Liban-Sud, la guerre des rumeurs lancée par les supporters de listes rivales et la distribution de listes électorales truquées à des électeurs dociles, ont dérouté aussi bien les votants que les candidats. Tous les coups étaient permis. C’était de bonne guerre et l’enjeu est de taille pour les deux principales forces en présence à Nabatiyé: Amal et le Hezbollah qui se disputent le leadership chiite de la région. Nul n’ignore que pour les deux frères ennemis, le principal objectif des municipales est de conquérir le pouvoir de décision locale de la principale ville du caza afin de pouvoir se poser en leader politique incontesté de la communauté chiite, du moins dans ce secteur du Liban-Sud où la résistance est très active. L’objectif du Hezbollah était de concrétiser ce projet, et celui d’Amal, de le contrecarrer. Pour cette raison, une coalition similaire à celle que les deux formations adversaires avaient formé aux Législatives de 1996 était impossible. Paradoxalement, ce qui était valable dans la ville de Nabatiyé ne l’était pas dans plusieurs autres localités du caza où Amal et le Hezbollah n’ont eu aucun mal à cohabiter sur une même liste. Comme à Kfar Remmane par exemple. Dans ce village, on vous regarde comme si vous débarquiez tout juste de Mars si vous parlez de bataille électorale. Pas dans la ville de Nabatiyé où le va-et-vient incessant de convois de blindés militaires témoigne de la tension qui règne. Nabatiyé est en ébullition. Depuis tôt le matin. L’épreuve de force à laquelle se livrent Amal et le Hezbollah éclipse presque la présence de deux autres listes engagées dans la bataille pour la conquête de 21 sièges municipaux. Les deux sont incomplètes. Il y a celle qui est formée par les candidats du Parti communiste et du Mouvement populaire démocratique (4 membres), soutenue par l’ancien député Habib Sadek, et celle qui regroupe sept candidats indépendants dont un chrétien, M. Jean Jarawan. La liste d’indépendants est appuyée par l’ancien député Rafic Chahine. Les tractations entreprises depuis le mois de février par les forces actives de la ville en vue de rapprocher les points de vue et de former une liste consensuelle ont toutes buté sur l’intransigeance d’Amal et du Hezbollah. Le parti de Dieu tenait à poser la candidature de ses partisans aux élections, partant du principe que des personnes politiquement engagées sont aussi représentatives de la société civile et le leadership d’Amal s’opposait catégoriquement à la candidature de partisans partant du principe que cela consacrerait la mainmise des partis sur les conseils municipaux. Il n’était donc pas possible pour Amal de prendre sur la liste qu’il appuie des candidats du PC ou du Mouvement démocratique. Il n’était pas en mesure non plus de prendre le candidat chrétien, considéré comme étant proche du PSNS. Sa liste, nommée «la liste de Nabatiyé», est appuyée comme on le sait par le ministre de l’Economie, M. Yassine Jaber, et par le député Abdel Latif Zein. Quant au Hezbollah qui a formé la «liste de la réforme municipale», il a préféré s’allier avec une autre puissance électorale de la région, hostile comme lui au mouvement de M. Nabih Berry. Il s’agit du courant représenté par l’ancien président de la Chambre, M. Kamel el-Assaad. Mais apparemment, ce courant était divisé: un de ses pôles, M. Anouar el-Sabbah, appuie la liste d’Amal. Les deux frères ennemis n’ont pas lésiné sur les moyens pour motiver un électorat qui n’avait pourtant pas besoin d’être mobilisé. Les convois automobiles de supporters devaient attendre longtemps avant de pouvoir se frayer un chemin dans les rues particulièrement animées en ce dimanche. Le son assourdissant de leurs haut-parleurs diffusant tantôt des appels au vote pour telle liste tantôt des chants patriotiques dédiés à Nabatiyé ne parvenait même pas à disperser une foule particulièrement fébrile. L’excitation des électeurs n’avait d’égal que l’excès de zèle des délégués des candidats aux élections. Qu’ils soient seuls ou en groupes, les électeurs sont immédiatement happés par les délégués aux casquettes jaunes ou vertes — jaunes pour le Hezbollah et vertes pour Amal — qui leur remettent des listes toutes faites et les conduisent vers les bureaux de vote où ils sont pris en charge par d’autres délégués. On apprend que les délégués des deux listes rivales avaient reçu des instructions très précises pour éviter «à tout prix» le panachage. Dans un bureau de vote près du Sérail, les délégués du Hezbollah vont jusqu’à tendre à travers les barreaux des fenêtres les listes de candidats aux électeurs. Ceux d’Amal protestent vigoureusement. D’autres arrachent des mains des électeurs les listes qu’ils s’apprêtent à déposer dans l’urne et les remplacent par d’autres. Quant aux électeurs analphabètes, ils sont les plus sollicités. Et pour cause: c’est ceux qu’on manipule le mieux. A un moment donné, c’est la panique: les deux listes rivales doivent joindre leurs efforts pour dissiper les craintes suscitées par une rumeur: celle d’un bombardement israélien imminent. Le bruit court ensuite que Moustapha Ali Badreddine, tête de liste du Hezbollah, s’est retiré de la bataille électorale après une dispute avec ses colistiers qu’il soupçonne de biffer son nom. Les délégués du Hezbollah s’empressent de vérifier l’information qui est bien sûr fausse. Et, au lieu de se contenter du bouche à oreille pour la démentir, ils ont recours aux grands moyens. Un partisan du Hezb (comme on l’appelle à Nabatiyé) sillonne les rues de la ville dans sa camionette et répète inlassablement que Badreddine est engagé «jusqu’au bout» dans la bataille électorale. Le Hezbollah ne tarde pas ensuite à contre-attaquer: des centaines de listes de candidats «piégées» circulent: sur de petits bouts de papiers blancs, les 6 premiers noms seulement sont ceux des candidats de la «Haraké» (mouvement Amal). Le reste est un amalgame des noms de candidats du Hezbollah. Plutôt que d’aller à la chasse aux électeurs, les délégués d’Amal se mettent à traquer les listes trafiquées. Anarchie féminine Toutes ces manœuvres font que les bulletins déposés dans l’urne ne contiennent pas toujours les noms des candidats pour qui on souhaite voter. Et quand on se rend compte du piège, c’est déjà trop tard. Les délégués ont beau encadrer un électeur, rien n’y fait. Il y a toujours un autre pour protester contre «les pressions» exercées sur les électeurs. Des coups pareils passent plus simplement dans un des bureaux de vote réservé aux femmes. Le chaos qui règne sur les lieux est inouï. Il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin jusqu’à l’entrée du bureau où les trois agents de l’ordre en poste déploient des efforts immenses pour rester calmes, barricadant la porte avec leurs corps afin d’empêcher des dizaines de femmes furieuses et lassées d’attendre d’envahir la salle de classe qui tient lieu de bureau de vote. A l’intérieur, l’anarchie est telle que les chefs de bureaux de vote et les scrutateurs ne réalisent même pas que certaines dames ne vont pas derrière l’isoloir et qu’elles glissent des listes de candidats dans les mains de leurs consœurs. Ailleurs, on biffe allègrement des noms et on les remplace par d’autres. Le cousin d’un candidat sur «la liste de Nabatiyé» nous révèle qu’en dépit des consignes d’Amal, il n’a pas pu s’empêcher de barrer quelques noms pour les remplacer par d’autres de la liste rivale, arguant du fait qu’il connaît mieux ces derniers. Vers midi, le taux d’affluence aux bureaux de vote diminue sans que la foule agglutinée dehors ne se disperse. C’est que de nouvelles instructions avaient été données par les deux listes rivales: il faut ralentir le rythme en attendant une première évaluation de l’opération électorale. A 14h, un délégué ambulant de la «liste de Nabatiyé» estime le taux de participation à 30% seulement. «C’est entre 16h et 17h que ça chauffera», dit-il. Même son de cloche auprès de la liste du Hezbollah. Berry: «Gare au panachage» L’arrivée en milieu de matinée du président de la Chambre réchauffe l’atmosphère. Aux cris d’«Allah Akbar», M. Berry est accueilli par une foule en délire. Les hommes se bousculent pour lui baiser la main, en multipliant les «Salamalek». Le chef du Législatif tient une brève conférence de presse au Sérail de Nabatiyé où il réaffirme qu’Amal n’est pas partie prenante aux élections et qu’il ne fait que soutenir une liste formée par les habitants de la ville. Il n’en demeure pas moins qu’il critique le Hezbollah sans le nommer le désignant par «ceux qui veulent spolier le pouvoir de décision des conseils municipaux». M. Berry met en garde contre le panachage. Il met aussi en garde contre les rumeurs sur un éventuel bombardement israélien: «Prenez garde. Ils font exprès de propager ces bruits pour que les gens fuient les bureaux de vote, afin que seuls les partisans rodés à ce genre de manœuvres viennent voter». C’est la guerre des déclarations. Le Hezbollah y va des siennes aussi, accusant Amal d’hégémonie. Le panachage se poursuit de plus belle, au profit, souvent, de M. Jean Jarwane. Le conseil municipal de Nabatiyé a toujours compté un chrétien parmi ses membres et apparemment les habitants de la ville envisagent de perpétuer la tradition, en affirmant leur attachement à la coexistence. Les voix chrétiennes ne comptent pas beaucoup dans le vote. Elles seraient une centaine seulement. Nabatiyé compte 92973 électeurs inscrits. Si M. Jarwane, un ancien PSNS, n’a pas voulu adhérer à une liste forte, c’est pour qu’on ne lui colle pas une étiquette politique ce qui le priverait de nombreuses voix. En se joignant à la liste des indépendants, il a gardé toutes les chances de son côté. Effectivement, les personnes interrogées se targuent de voter pour «le candidat chrétien», insistent sur la coexistence et rappellent pour la plupart que lorsque le directeur chrétien de l’école secondaire est mort, ses obsèques avaient été célébrées dans la Husseyniya (lieu de culte chiite) du village. Tête de liste, le Dr Ali Sabbagh (liste de Nabatiyé), affirme que la situation de M. Jarwane aurait été délicate s’il avait adhéré à une des deux listes en présence dans la mesure où la bataille engagée à Nabatiyé est celle «des choix». «De ce fait, poursuit-il, on avait peur que son échec aux élections ne soit assimilé à l’échec de la formule de la coexistence dans la ville». Le panachage s’opère aussi au profit d’autres candidats indépendants que soutient M. Chahine, de grandes familles de Nabatiyé ou la vieille garde de la ville. Selon les explications de M. Chahine, qui estime que les résultats du scrutin détermineront les alliances aux prochaines législatives, la liste des indépendants et celle du PCL échangent des voix. Si M. Habib Sadek ne s’oppose pas à cet échange à Nabatiyé, il regrette l’alliance des partis de gauche tantôt avec Amal tantôt avec le Hezbollah, dans le caza tout en se félicitant du calme qui marque le déroulement de l’opération électorale. C’est là l’unique point sur lequel tout le monde était d’accord.
Il y a fort à parier que Nabatiyé n’aura pas un conseil municipal monochrome: le panachage pratiqué à grande échelle dans le chef-lieu de ce caza du Liban-Sud, la guerre des rumeurs lancée par les supporters de listes rivales et la distribution de listes électorales truquées à des électeurs dociles, ont dérouté aussi bien les votants que les candidats. Tous les coups...