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Actualités - ANALYSE

L'entente, une douce illusion aussi évasive que l'horizon

L’entente nationale c’est comme l’Arlésienne de Bizet: on la chante à tue-tête mais on ne la voit jamais sur scène. Mieux encore: les plus ardents trémolos lyriques fusent de la glotte de ceux-là mêmes qui escamotent cette déesse mythique et la gardent sous clé. Retour à Taëf. Ce document fondateur d’un Liban nouveau — mais si peu tout compte fait d’un nouveau Liban — nous apprend solennellement que «le Liban est une nation souveraine, libre, indépendante, une patrie définitive pour tous ses fils. Il est un et unique en son territoire, son peuple, ses institutions. Il est arabe d’identité comme d’appartenance. République démocratique parlementaire, il se fonde sur le respect des libertés publiques, sur la justice sociale, sur l’égalité entre tous les citoyens sans distinction ni préférence, le peuple ne pouvant être tronçonné en fonction d’une quelconque appartenance. Ni division, ni partition, ni implantation. Et aucun pouvoir contraire à la coexistence ne peut y être légitime». Les effets pratiques? L’on a supprimé au niveau de la Chambre l’ancien quota favorable aux chrétiens ( six contre cinq) pour établir la parité égale. L’on a édicté que les résolutions du Conseil des ministres — quorum des deux tiers requis — seraient prises à l’amiable et en cas d’impossibilité par vote. Une liste de questions cruciales, nécessitant impérativement l’approbation d’au moins les deux tiers du Conseil, a été établie. Parmi les projets de refondation générale, la décentralisation administrative, assortie d’un redécoupage des districts de manière à promouvoir le brassage des composantes de la mosaïque libanaise afin de renforcer la coexistence, l’unité de la terre, du peuple et des institutions. Du côté formation des générations montantes, il a été décidé d’unifier les programmes pédagogiques, notamment en ce qui a trait au manuel d’histoire. On a parallèlement prévu une refonte du système ou du code des médias, pour les mettre au service de l’entente. Qui serait également mère d’un gouvernement portant son nom et qui aurait pour mission principale d’étendre l’autorité, la souveraineté de l’Etat sur l’ensemble du territoire national. Encore et toujours pour la coexistence, on a décrété que les réfugiés retourneraient dans leurs villages. Sur le plan électoral on a retenu le mohafazat comme base de circonscription, étant toutefois entendu que ses limites seraient celles qui correspondraient à la nouvelle carte de la géographie administrative, le but étant d’assurer une vraie représentativité des élus et là encore la coexistence, l’unité de la terre, du peuple, des institutions, etc. etc. et bla-bla-bli et bla-bla-bla… Car de tout cela, dont il devait sortir un pays rénové, épuré, civilisé, l’on n’a vu que des poussières infimes, un peu de poudre aux yeux, même pas assez d’or pour plaquer un pin’s. Peu de choses ont été appliquées et jamais sans être tronquées. La décentralisation, le redécoupage administratif, le retour des réfugiés et le Cabinet d’entente restent lettre morte. L’adoption du mohafazat comme circonscription ne s’est faite qu’en partie, pas au Mont-Liban, de manière à favoriser les chouchous des décideurs et à obliger l’Est, pour ne pas dire le camp chrétien, à garder la tête sous l’eau. Conséquence, sans doute voulue, de ces dérapages accumulés: la paix civile reste finalement précaire, comme le prouvent de multiples incidents dans différentes régions. Ce qui «oblige» les autorités à continuer à s’appuyer sur les forces empruntées pour maintenir un minimum de stabilité. Et sur le plan politique, on ne le sait que trop bien depuis les glorieux exploits de la troïka querelleuse, tout reste fonction d’un arbitrage extérieur savamment gardé «indispensable» et qui tout en prodiguant de fermes «conseils» d’accord — étrangement jamais entendus — a tout l’air de diviser pour mieux régner. Comme on l’a vu hier au Nord et aujourd’hui au Sud où s’affrontent des parties qu’un claquement de doigts suffirait à rappeler à l’ordre… De cette entente, nationale ou intracommunautaire, qui reste pure fiction.
L’entente nationale c’est comme l’Arlésienne de Bizet: on la chante à tue-tête mais on ne la voit jamais sur scène. Mieux encore: les plus ardents trémolos lyriques fusent de la glotte de ceux-là mêmes qui escamotent cette déesse mythique et la gardent sous clé. Retour à Taëf. Ce document fondateur d’un Liban nouveau — mais si peu tout compte fait d’un nouveau...