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Actualités - REPORTAGE

Procès Karamé - Un spécialiste en émetteurs récepteurs entendu par La Cour Explications techniques et documents officiels au coeur des débats

Des accusations graves contre l’armée lancées par le brigadier inculpé, Khalil Matar, et sa sœur avocate Samira, des explications souvent incompréhensibles pour des magistrats qui n’ont probablement jamais tenu entre les mains un émetteur-récepteur et une atmosphère qui oscille constamment entre le drame et le vaudeville : l’audience d’hier du procès Karamé ne ressemble nullement à celles qui l’ont précédée. Le commandant Élias Aboujaoudé entendu comme témoin pendant six heures d’affilée en a vu de toutes les couleurs, mais ses joues pâles n’ont pas pour autant rosi. Seule une flexion du genou a traduit, à la fin, sa lassitude. Le président de la Cour de justice Mounir Honein a peut-être un caractère emporté, qui le pousse à faire un usage intensif de son maillet, il n’en est pas moins profondément humain. Soucieux du bien-être des six inculpés présents dans le box, il ne leur refuse jamais le droit à la parole et les traite avec les mêmes égards qu’il réserve aux avocats. Même si parfois, l’audience se met à ressembler à une cour de récréation d’élèves turbulents, lorsque avocats, inculpés et journalistes se retrouvent devant le prétoire, autour du témoin ou d’une carte, multipliant commentaires et questions. Le président Honein parvient toujours à arrêter les débordements, mais il laisse ainsi l’assistance souffler un peu. C’est que lorsque les témoins se lancent dans des explications techniques, la salle ne suit pas toujours. Hier, Me Badawi Abou Dib, avocat du brigadier Matar, était le seul à comprendre sans effort les propos du commandant Aboujaoudé, spécialiste en émetteurs-récepteurs, car il avait d’abord effectué ses propres recherches. Le commandant Aboujaoudé a servi à la base de Halate, dirigée par Matar, en tant qu’élève officier en 1984 puis en tant qu’officier radio en 1986 et 1987. À la faveur de son témoignage, la cour a pu enfin voir de près un poste de type GENEVA (qui s’appelle en réalité GENAV : General Navigation Aviation). Ce poste était, selon l’acte d’accusation, en possession du brigadier Matar le jour de l’attentat, lorsqu’il est monté à bord du bateau à partir duquel Ghassan Touma a actionné l’explosif. C’est ce poste qui déterminera le rôle véritable du brigadier Matar dans l’assassinat du Premier ministre Karamé, le 1er juin 1987. Si ce poste était indispensable à l’opération, en permettant d’identifier l’hélicoptère qui emmenait Karamé de Tripoli à Beyrouth, Matar devient un intervenant direct dans le crime. Sinon, il n’est plus qu’un complice mineur… Une signature falsifiée ? C’est donc sur les caractéristiques du GENAV qu’a porté le débat, un débat qui a provoqué à plusieurs reprises les interventions ulcérées du brigadier Matar. Le commandant Aboujaoudé a en effet, à la demande du procureur Adnane Addoum, rédigé un rapport dans lequel il explique le rôle du GENAV. Ce poste permet d’écouter les communications entre les pilotes d’avions ou d’hélicoptères d’une part et la tour de contrôle ou les opérations aériennes d’autre part, s’il est branché sur les mêmes fréquences. Selon lui, ce poste est indispensable pour qui veut localiser un avion en plein vol, car son possesseur peut capter les phrases du pilote. Lorsqu’il quitte une zone aérienne pour entrer dans une autre, ce dernier annonce à la tour de contrôle : «Leaving X, proceeding to Y ».Ces messages ne peuvent être captés que si le poste est branché sur la fréquence utilisée par le pilote et si la ligne d'horizon entre eux est dégagée. Le témoin affirme que les mêmes six fréquences sont fixées sur les quatre GENAV de la base de Halate sur ordre des opérations centrales et elles sont modifiées de la même manière. On peut facilement passer d’une fréquence à l’autre en manipulant un bouton. Matar n’est pas d’accord avec les fréquences énumérées par Aboujaoudé. Il maintient que les postes de Halate n’étaient pas branchés sur les fréquences des bases de Rayak et Kleiate. Et qu’ainsi, il n’a pu entendre sur son poste, comme l’affirme l’acte d’accusation, le pilote de l’un des deux hélicoptères qui ont quitté le Nord, ce fameux 1er juin, annoncer, s’adressant à la tour de contrôle de Kleiate: «Proceeding to Adma». Ce qui aurait permis aux passagers du bateau de comprendre qu’il ne s’agit pas de l’appareil transportant Karamé. Le témoin exhibe toutefois une copie du document énumérant les fréquences, collé à l’intérieur de l’hélicoptère, à côté de l’émetteur. Matar et ses avocats en contestent l’origine. Le témoin montre aussi une copie d’un document fourni par le commandement des forces aériennes, montrant l’inventaire des GENAV reçus par Matar en 1985 avec sa propre signature et une autre copie de la même liste, lorsque Matar a rendu les équipements au commandement en 1992. Matar conteste le premier document, affirmant qu’on a probablement falsifié sa signature car, selon lui, le GENAV était en sa possession depuis 1983. Le président Honein lui demande de faire attention à ce qu’il dit, car il est en train d’accuser le commandement de l’armée de présenter des faux documents. L’avocate Samira Matar se tourne alors vers le procureur et lui demande d’ouvrir une enquête sur le sujet. Mais son frère Khalil déclare de son côté : «Je n’accuse pas le commandement de falsification. Au contraire, je demande au commandant en chef d’intervenir pour rétablir la vérité». Et il répète ce qu’il avait déjà dit devant la cour : «Il existe un vaste complot contre moi, au sein de l’armée». Pourquoi aurait-on ourdi un complot contre lui? demande le procureur Addoum. Mais il n’obtiendra pas de réponse à sa question, le président Honein préférant recentrer le débat sur les propos du témoin. Au bout de six épuisantes heures, la cour a certainement beaucoup appris sur les caractéristiques du GENAV, mais il faudra attendre le témoignage du pilote de l’hélicoptère qui transportait Rachid Karamé, le colonel à la retraite Antoine Boustany, pour déterminer le rôle réel de ce poste dans l’attentat.
Des accusations graves contre l’armée lancées par le brigadier inculpé, Khalil Matar, et sa sœur avocate Samira, des explications souvent incompréhensibles pour des magistrats qui n’ont probablement jamais tenu entre les mains un émetteur-récepteur et une atmosphère qui oscille constamment entre le drame et le vaudeville : l’audience d’hier du procès Karamé ne...