Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

L'audience d'hier dans l'affaire Karamé se transforme en drame sentimental La défense accuse l'ancienne secrétaire de Touma d'accabler les FL par esprit de vengeance (photos)

La seconde séance consacrée à l’audition du témoin à charge Amale Abboud s’est transformée hier en drame sentimental avec ce que cela implique de mesquineries, de frustrations et de rêves de bonheur brisés. Après avoir écouté au cours de l’audience précédente, les questions de la Cour et du Parquet, ainsi que les accusations de l’ancienne secrétaire du service de sécurité des FL dissoutes, Ghassan Touma, la défense a contre-attaqué en force. Me Moussa Prince, qui, depuis l’ouverture du procès de l’assassinat de Rachid Karamé passait le plus clair de son temps à somnoler au troisième rang de l’aile réservée aux avocats, est enfin sorti de son mutisme pour défendre son client, Samir Geagea. Sur le ton intimidant de l’homme qui en sait bien plus qu’il ne le dit, il a laissé entendre qu’Amale Abboud avait eu une liaison sentimentale avec Touma. Et lorsque ce dernier l’a laissée tomber pour épouser Myrna Tawil, qui travaillait avec elle, elle a commencé à lui vouer une haine vivace. Le mobile d’Amale Abboud serait-il donc la vengeance? La question a flotté dans l’air, hier, à la salle du tribunal, immédiatement suivie par une autre: si le témoin a décidé de parler pour prendre sa revanche, cela signifie-t-il pour autant que ce qu’elle a dit est faux? L’assistance a à peine eu le temps de se poser cette nouvelle question, que Me Abdo Abou Tayeh, avocat de Aziz Saleh, a lancé à son tour ses propres accusations. Il a demandé au témoin s’il est vrai que Touma l’a accusée d’avoir divulgué des informations à la presse sur l’assassinat de Rachid Karamé, le 1er juin 1987 et si c’est pour cette raison qu’il a réduit ses prérogatives et nommé Michel Hitti à son secrétariat personnel. Un avocat de la partie civile a toutefois fait remarquer que cela ne signifie nullement que les informations sont fausses et de toute façon on voit mal Ghassan Touma se contenter d’une punition aussi timide envers un de ses proches qui aurait divulgué des informations l’impliquant personnellement... Bref, le débat en est pratiquement resté au même point et seuls les avocats du brigadier Khalil Matar, notamment MM. Badawi Abou Dib et Rachad Salamé, ont posé des questions limitées au dossier. Me Issam Karam devra attendre la prochaine audience, le 19 juin, pour poser ses questions, et le témoin aura ainsi le temps de se reposer. C’est qu’hier, le seul mouvement de sympathie à son égard est venu de Me Bassam Dayé, de la partie civile, qui a attiré l’attention de la Cour sur sa fatigue, après plus de 3 heures debout. Pourtant, malgré une petite flexion du genou et parfois, une position un peu voûtée, Amale Abboud a bien tenu le coup, refusant de se laisser intimider ou de s’énerver en voyant sa vie privée ou prétendue telle, étalée au grand jour. Mais que s’est-il passé hier, dans le box des accusés? Généralement indifférent à tout et presque spectateur, Samir Geagea a eu deux moments d’émotion, au cours de l’audience. D’abord en voyant son ancien second et vieux compagnon, Nader Succar, entrer dans la salle, en tant que témoin. Geagea évite soigneusement son regard, alors que Succar essaye désespérément de le croiser. Mais en quittant la salle, après avoir été informé qu’il ne sera pas entendu cette fois faute de temps, il se plante presque devant Geagea qui le regarde alors longuement. Succar disparaît, mais Geagea continue de fixer la porte, en se mordant les lèvres. Ensuite, à la fin de l’audience, il ne cache pas son étonnement, voire sa frustration, en apprenant que la prochaine audience aura lieu le 19 juin. Ce qui signifie que le procès ne s’achèvera pas cette année et donc qu’il n’y aura aucune possibilité de grâce présidentielle pour lui, puisque le chef de l’Etat ne peut grâcier un inculpé qui n’a pas encore été condamné. Le brigadier Matar écoute attentivement et sort de ses gonds pour attaquer le témoin Amale Abboud, lorsqu’elle nie devant la Cour connaître les noms et le nombre des officiers de l’armée qui recevaient des aides financières de Ghassan Touma. «Elle ment, déclare-t-il. Il existe un film vidéo, tourné à Yarzé, dans lequel elle cite tous les noms. Je l’ai moi-même vu». Aziz Saleh et Camille Rami sont égaux à eux-mêmes, l’un le visage totalement inexpressif comme d’habitude et l’autre hilare, comme toujours. Antoine Chidiac, attentif à tous les détails ne peut s’empêcher d’intervenir lorsqu’Amale Abboud affirme avoir été présente au bâtiment du service de sécurité, la veille du crime, le 31/5/87. «C’était un dimanche, lance Chidiac, et elle ne travaillait pas en général ce jour-là». Interrogée par la Cour, Amale Abboud reconnaît alors qu’effectivement elle se trouvait chez elle, ce jour-là. Et le commandant Keitel Hayeck? Après avoir fait le signe de la croix à l’ouverture de l’audience, il s’en remet visiblement à Dieu, se contentant d’écouter en simple spectateur, riant avec les juges et échangeant des sourires avec ses geôliers... ou avec les journalistes, lorsque les avocats de la défense et ceux de la partie civile se lancent des mots peu aimables. Au début de l’audience, le président Mounir Honein rappelle à Amale Abboud qu’elle est sous serment et lui demande si elle a vu Afif Khoury (commandant de la flotte navale des FL à l’époque) et Ghassan Touma quitter tôt le bâtiment du service de sécurité des FL, le jour du drame, ou un autre jour. (Ce détail est important parce que selon l’acte d’accusation, ce jour-là, Touma est parti de son domicile à Fatka et les deux hommes se sont retrouvés à la base navale de Jounieh). Amale Abboud répond que ce n’était pas le même jour. A une autre question, elle précise qu’elle ne se souvient pas d’avoir vu Nader Succar à la réunion tenue le 1er juin 87, au bureau de Ghassan Touma, en présence de Samir Geagea, quelques heures après le drame. Elle est ensuite longuement interrogée sur le rapport reçu quelques jours après le drame et dans lequel figure le nom du militaire qui a piégé l’hélicoptère transportant le premier ministre Rachid Karamé. C’est surtout le procureur Addoum qui a multiplié les questions sur ce thème, avouant plus tard que ce point constitue un véritable casse-tête pour lui. Mais Amale Abboud répète qu’elle ne se souvient pas du nom, ajoutant qu’elle a lu, au cours de son travail avec Ghassan Touma, des centaines de noms. Elle ne peut donc se souvenir de celui-là. Les avocats veulent alors savoir comment elle a le droit de lire les rapports qui doivent parvenir à Touma. Et elle répond qu’elle et Myrna, c’est-à-dire son secrétaire personnel, pouvaient lire les rapports et autres dépêches destinées à Touma, sauf celles qui étaient dans des enveloppes fermées portant la mention «personnel et secret». En principe, ces rapports proviennent de la section d’analyse au sein du service de sécurité, qui reçoit elle-même les données de la section d’information, toujours au sein du service de sécurité. Elle précise que les rapports sont envoyés par un homme de confiance, lui-même membre de la section d’analyse, Sami Tok, surnommé Tony Moallem. Me Prince lui demande si les informations de ce rapport étaient les mêmes que celles qui ont paru en juillet 87 dans le quotidien As-Safir. Le témoin répond que les noms de Ghassan Touma et Afif Khoury ne figuraient pas dans le rapport. Me Edmond Naïm demande alors à la Cour d’interroger les responsables de ce quotidien sur leur source d’information. Me Mustafa Assir (de la partie civile) proteste, invoquant le secret professionnel, et un vif débat s’engage entre les deux parties sur les responsabilités de la presse, la défense critiquant les informations parues en ce temps-là par le «Safir» et la partie civile exhibant des extraits d’«Al-Massira» (hebdomadaire des FL). Au fil des questions, le témoin précise qu’au cours des deux mois précédant le drame, Ghassan Touma avait demandé à la section de surveillance de mettre les lignes téléphoniques (civiles) des bases d’Adma et du stade municipal de Jounieh (où étaient parqués les hélicoptères de l’armée) sur écoute. Elle précise avoir vu des rapports en ce sens. Selon le procureur, c’est grâce à une conversation téléphonique entre un sergent-chef d’Adma et son interlocuteur, la veille du drame, que les FL ont su que ce sera l’hélicoptère PUMA No 906 qui transportera le premier ministre le 1er juin de Tripoli à Beyrouth. (En général, les missions de vol sont distribuées la veille). Me Abdo Abou Tayeh axe, lui, ses questions sur les dames chargées de servir le café chez Ghassan Touma. Selon le témoin, il y en avait deux qui travaillaient à tour de rôle, jusqu’à 13h et l’après-midi, c’était elle qui, en cas de besoin, faisait du café et le servait. C’est ainsi que le jour du drame, elle a servi le café dans le bureau de Touma et a pu entendre Samir Geagea, parlant du premier ministre Karamé, lancer: «Ce fils de P... Il a voulu nous défier...». Me Abou Tayeh veut montrer qu’elle a menti et qu’il y avait en permanence, chez Touma, une Sri-Lankaise pour le café et le nettoyage. Amale Abboud maintient ses propos et nie la présence d’une Sri-Lankaise, l’après-midi au bureau. L’avocat lui pose ensuite des questions sur les procédures qui ont accompagné son interrogatoire au cours de l’enquête préliminaire. Abboud répond qu’elle a été placée en état d’arrestation à Yarzé pendant 10 jours. Elle a été interrogée par étapes pendant près de 5 jours et gardée 5 jours de plus, avant d’être déférée devant le juge d’instruction qui l’a entendue en tant que témoin. Elle affirme aussi que lorsqu’elle a été convoquée par les services de renseignements pour l’enquête préliminaire, les agents de ce service qui se sont présentés chez elle ont été très polis, ont montré leurs cartes et étaient en possession d’une commission rogatoire. Comme elle a dit la fois précédente être convaincue que les FL sont derrière l’attentat, Addoum lui demande, qui, au sein des FL, a pu mener une telle opération et elle répond: «Le service de sécurité». Me Dayé lui demande si Touma vouait une allégeance totale à Samir Geagea et elle répond par l’affirmative. Les questions se poursuivent, souvent inégales, entrecoupées d’altercations entre les avocats. Avec son extraordinaire patience, le président laisse faire, jusqu’à ce qu’il sente que les choses sont sur le point de déraper. Il lève finalement l’audience, donnant ainsi à la Cour un long congé de près de deux mois pour cause de voyage de l’un de ses membres (Ralph Riachi se rend aux Etats-Unis) et d’hospitalisation de son président. Prochain rendez-vous le 19 juin.
La seconde séance consacrée à l’audition du témoin à charge Amale Abboud s’est transformée hier en drame sentimental avec ce que cela implique de mesquineries, de frustrations et de rêves de bonheur brisés. Après avoir écouté au cours de l’audience précédente, les questions de la Cour et du Parquet, ainsi que les accusations de l’ancienne secrétaire du service...