Actualités - CHRONOLOGIE
Une révolution pour les entreprises
le 18 avril 1998 à 00h00
Il n’est pratiquement pas d’entreprise qui ne sera affectée par le passage à l’euro, étape fondamentale dans la réalisation d’un marché unique des biens et des services en Europe. Il faudra revoir les prix et la production, sans parler des relations avec les fournisseurs ou les syndicats. Les entreprises devront informer leur personnel sur les conséquences de l’euro pour les salaires et les retraites, voire sur l’emploi. Le consommateur ne devra pas être oublié. Gare aux entreprises qui se verraient accuser de profiter de la valse des étiquettes pour renchérir le prix réel de leurs marchandises ou services. Comme pour le changement de millénaire et son «bogue» annoncé, le passage à la monnaie unique a surtout été abordé sous ses aspects techniques sans qu’il soit suffisamment mis l’accent, de l’avis de nombreux experts, sur les implications stratégiques de l’Union économique et monétaire (UEM) pour les entreprises. Une enquête réalisée en décembre auprès de 300 sociétés par le cabinet de consultants KPMG a montré que 62% d’entre elles ne jugeaient pas que l’euro aurait une influence notable sur leur structure internationale de management. Une proportion semblable, 63%, ne prévoyait pas de revoir le positionnement géographique de leurs opérations européennes. Si les aspects techniques et technologiques de l’UEM sont vastes et coûteux, les implications à plus long terme sont plus importantes encore. La plupart des entreprises pressentent qu’elles seront confrontées à des pressions concurrentielles comme elles n’en ont encore probablement jamais connues. «Il ne fait pas de doute que l’environnement est en train de changer et qu’à court ou moyen terme la situation aura empiré pour la plupart des entreprises», souligne Vicky Pryce, chef économiste de KPMG Consulting. Le processus est engagé. Poussées par la mondialisation de l’économie, bon nombre d’entreprises ont entrepris de réduire leurs coûts et de restructurer leurs opérations pour préserver ou améliorer leurs marges. Dans ce contexte, l’euro ne fera qu’accélérer les choses, expliquent les consultants, et quelques années suffiront peut-être à achever une transformation qui aurait autrement pris plus de temps. Transparence des prix L’effet peut-être le plus concret de l’euro sera d’exposer les différences de prix pour un même produit dans les pays européens — ce que les économistes appellent la transparence des prix. «L’UEM créera un grand marché intérieur avec une concurrence significativement accrue et une transparence des prix», observe François Charrière, spécialiste des affaires européennes chez Andersen Consulting. Du fait de différences dans la TVA, mais aussi d’autres facteurs comme la productivité, le prix d’un même produit standardisé, que ce soit une boîte de céréales ou une bouteille de Coca-Cola, peut considérablement varier d’un pays à l’autre. De tels écarts, qui dans certains cas peuvent dépasser les 50%, sont aussi observés dans les industries automobile et chimique et bien d’autres secteurs. En février, une étude de la Commission européenne montrait que le prix d’un même modèle de voiture pouvait varier de plus de 20% dans l’Union européenne, à l’exception d’Audi. Avec l’introduction de l’euro, ces disparités deviendront visibles. Pour les entreprises, la tâche ne sera pas facile, d’autant que l’arithmétique de la conversion pourrait aboutir à des prix bien peu attrayants d’un point de vue de marketing. Ainsi un prix juste sous un chiffre rond comme il s’en pratique couramment — 49,90 par exemple — pourrait donner quelque chose comme 7,67 euros, total moins facile à retenir a priori. De l’avis des consultants, les entreprises auront tendance à arrondir les prix en euros vers le bas pour éviter de s’exposer aux foudres des consommateurs. «Si vous vous trouvez du mauvais côté de ce seuil psychologique, les forces du marché vous feront ramener vos prix en-dessous», prédit Peter Everett, vice-président de la cellule euro du groupe chimique britannique Imperial Chemical Industries (ICI). Les entreprises devront évidemment veiller à ne pas donner l’impression de voler leurs clients au change, mais en arrondissant leurs prix à la baisse elles s’exposeront à un rétrécissement de leurs marges — ce qui les contraindra encore plus à réduire leurs coûts. Coûts du travail Les économistes jugent fort probable que l’arrivée de l’euro incite les entreprises européennes à délocaliser une partie de leurs opérations et de leurs nouveaux investissements vers des pays où la main-d’œuvre est moins chère. Les coûts du travail divergent sensiblement dans l’UE. Une étude récente de Dresdner Kleinwort Benson (DKB) confirme que la main-d’œuvre la moins chère se trouve dans des pays comme la Grèce ou le Portugal, alors que l’ouvrier allemand est le plus cher d’Europe. En termes de salaire horaire, l’ouvrier moyen d’une chaîne d’assemblage de Stuttgart gagne environ 27,50 dollars contre seulement 5,90 pour son alter ego à Lisbonne — soit plus de quatre fois plus. De tels écarts s’expliquent par des différences de productivité mais aussi par des incertitudes inhérentes aux pays à moindre coût, concernant par exemple les taux de change ou les taux d’intérêt. Or bon nombre de ces incertitudes disparaîtront avec le passage à l’euro, laissant place à un modèle proche de l’exemple américain. «L’expérience américaine laisse penser que l’UEM entraînera une convergence bien plus rapide des coûts du travail en Europe», indique Julian Callow, de DKB Research. Au cours des 70 dernières années, une importante convergence des revenus per capita s’est opérée aux Etats-Unis. Aux yeux des économistes, ce résultat a été obtenu en grande partie grâce aux forces du marché unique, avec un transfert de la production vers les régions où le coût du travail est le plus faible. Transposé à l’UEM, cela signifierait que l’euro accentuerait les investissements transfrontaliers et faciliterait l’harmonisation des coûts du travail sur le Vieux Continent. En d’autres termes, les salaires dans l’industrie de pays comme le Portugal et l’Espagne auraient tendance à se rapprocher de la moyenne de l’UE, alors que les ouvriers allemands et français pourraient voir leur emploi menacé. Cela pourrait entraîner des compromis aux termes desquels les travailleurs les mieux payés se résigneraient à des rémunérations moindres en contrepartie de garanties sur leur emploi. Ce raisonnement suggère qu’au lieu d’une migration sociale dans l’Europe, les travailleurs changeant de région ou de pays à la recherche de meilleurs postes, dans certaines zones, l’emploi viendra à eux. Fusions et acquisitions Par les pressions qu’elle exercera sur les prix et l’offre, l’UEM entraînera très vraisemblablement une recomposition du monde des affaires. Ce sera notamment le cas dans les services financiers où, selon les termes d’un influent banquier londonien, se prépare une «explosion des fusions bancaires transfrontalières». Selon les données du cabinet de recherche américain Securities Data, les fusions et acquisitions ont atteint le montant record de 419 milliards de dollars en Europe l’année dernière, culminant avec l’annonce au début décembre du mariage de l’Union de banques suisses (UBS) et de la Société de banque suisse (SBS). La tentation de réduire ses coûts par des acquisitions sera partout présente. Certains économistes prédisent pour l’Europe une ère de concentration comparable à la grande restructuration de l’industrie américaine au début du siècle. La mondialisation et le développement des nouvelles technologies de l’information y seront pour beaucoup, mais la monnaie unique fera peut-être office de catalyseur. «Presque chaque multinationale voit dans l’UEM un moyen d’accroître ses parts de marché et de renforcer sa compétitivité», affirme Chris Robinson, de la Citibank à Londres. Paradoxalement, l’UEM pourrait en premier lieu bénéficier aux multinationales américaines déjà habituées à opérer sur le théâtre européen dans son ensemble. «Il y a une possibilité très réelle de voir les groupes américains, compte tenu de leurs coûts réduits et de la tendance qu’elles ont toujours eue à voir dans l’Europe un marché unique, être les véritables gagnants de l’UEM», estimait Price Waterhouse dans une étude publiée en octobre. (Reuters)
Il n’est pratiquement pas d’entreprise qui ne sera affectée par le passage à l’euro, étape fondamentale dans la réalisation d’un marché unique des biens et des services en Europe. Il faudra revoir les prix et la production, sans parler des relations avec les fournisseurs ou les syndicats. Les entreprises devront informer leur personnel sur les conséquences de l’euro pour les salaires et les retraites, voire sur l’emploi. Le consommateur ne devra pas être oublié. Gare aux entreprises qui se verraient accuser de profiter de la valse des étiquettes pour renchérir le prix réel de leurs marchandises ou services. Comme pour le changement de millénaire et son «bogue» annoncé, le passage à la monnaie unique a surtout été abordé sous ses aspects techniques sans qu’il soit suffisamment mis l’accent, de l’avis...
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