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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Confessionnalisme et citoyenneté au Liban

L’organisation internationale «Pax Christi International», fondée après la Seconde Guerre mondiale afin de promouvoir la culture de la paix et dont le siège est à Bruxelles, fait paraître en octobre prochain dans ses publications une plaquette du professeur Antoine Messarra sous le titre: Confessionnalisme et citoyenneté au Liban (Espace public et culture de prudence dans les sociétés multicommunautaires). Nous publions ci-après un extrait rédigé pour L’Orient-Le Jour. Selon une idéologie répandue, le confessionnalisme, sans préciser ce qu’on entend par ce terme, est incompatible avec la citoyenneté et, pour cultiver la citoyenneté, il faut au départ «supprimer le confessionnalisme». Cette approche du problème en terme d’opposition, d’antinomie et d’incompatibilité débouche sur une impasse. On continue certes à penser le problème, mais on ne fait rien…, en attendant la suppression du confessionnalisme! Il y a là une méconnaissance de la nature même de la citoyenneté dont l’exercice se déploie dans un univers de contraintes. Le citizen power consiste à agir, et souvent à réagir, contre l’omnipotence étatique, l’Etat fortement centralisateur, les atteintes à l’Etat de droit, aux droits de l’homme et à l’exclusion de la participation politique, contre le mépris du bien commun, le cloisonnement confessionnel, les accaparements financiers, la domination capitaliste… S’il faut donc pour le Libanais qu’on lui supprime toutes les entraves à la pratique de sa citoyenneté, pour qu’il commence à se comporter en citoyen, c’est une piètre idée du civisme dans une patrie-hôtel à cinq étoiles! Tout commence avec la citoyenneté, avec les entraves, contre elles et malgré elles. On ne peut développer la citoyenneté dans une société multicommunautaire en modelant cette société suivant les schèmes de l’Etat-nation et les systèmes concurrentiels et exclusivement majoritaires de gouvernement. Il faudra certes dans les sociétés multicommunautaires, pour concilier des éléments apparemment inconciliables, plus d’imagination, de pragmatisme et de modestie. Le monde s’achemine de plus en plus, à l’approche du troisième millénaire, vers une extension des particularismes, exacerbés par l’évolution de la civilisation même. Déjà à l’échelle de la famille, la liberté individuelle, la personnalité de chacun des conjoints et l’autonomie des enfants entraînent une modification dans les rapports socio-familiaux. Le problème de la citoyenneté dans des sociétés de plus en plus plurielles ou multicommunautaires, avec les entraves provenant de cette pluralité même (et aussi porteuse de richesse culturelle et conviviale), revêt aujourd’hui une dimension planétaire qui déborde le cadre du Liban, la culture civique étant facteur de cohésion sociale et aussi d’immunisation contre les dangers internes et externes de violence, d’instabilité et de fragmentation. La notion de confessionnalisme au Liban est devenue le dépotoir de tout ce qui déplaît, et renferme trois problèmes différents. On trouve dans la notion de confessionnalisme: 1. La règle de la proporz ou partage du pouvoir (power-sharing) d’après le pacte national et l’article 95 de la Constitution. Cette règle consiste à accorder un quota de représentation à des groupes linguistiques, raciaux, ethniques ou communautaires en général. 2. Le régime des communautés (Weltanshauugsgruppen) en ce qui concerne le statut personnel et l’enseignement (les articles 9 et 10 de la Constitution). 3. Le fanatisme et l’exploitation de la religion dans la compétition politique. Chacun de ces problèmes exige une explication spécifique et la stratégie du changement varie suivant la dimension envisagée. Cinq composantes Nous nous limiterons à l’étude de cinq composantes fondamentales de l’éducation à la citoyenneté dans la société libanaise multicommunautaire. Elles revêtent un intérêt comparatif pour d’autres pays. 1. La stratégie de l’espace public: Prenons l’exemple d’un immeuble en copropriété. Dans cet immeuble, deux propriétaires sont très différents. L’un est renfermé et n’a pas de contact avec les voisins, mais participe aux élections de l’assemblée générale des propriétaires, paie sa contribution aux charges communes et respecte le règlement de l’immeuble. L’autre est très ouvert, entretient des relations avec les voisins, mais ne respecte pas ses obligations, ni les règles de la propriété commune. Il ne sert à rien de harceler le type renfermé et aux idées spéciales, pour qu’il change de comportement à l’égard de ses voisins dans des rapports de type inter-personnels. Si vous le heurtez dans ses attitudes «culturelles», il risque de se rebiffer davantage. Sa qualité de bon citoyen, remplissant tous ses engagements dans l’espace public, laisse présumer que ses relations de bon voisinage dans l’immeuble collectif vont, après quelque temps, se répercuter sur sa mentalité, qualifiée peut-être à tort de sectaire. Le civisme, c’est la chose publique, et pas seulement au niveau national. La chose publique commence dans l’entrée de l’immeuble, dans l’escalier, les parties communes, tout espace où se déroule la vie commune. 2. La mémoire collective des souffrances partagées: Les souffrances endurées par les Libanais de tout bord impliquent l’émergence d’une mémoire collective à transmettre de génération en génération, avec l’effet d’un traumatisme, de sorte que si à l’avenir une milice tente d’ériger des démarcations, les habitants du quartier se redressent, comme atteints de démence, pour l’en empêcher. 3. La culture consensuelle: Aucun philosophe de la démocratie n’a réduit le principe de majorité à une équation simpliste: moitié + 1 = démocratie! La loi de majorité, dont il s’agit de dégager la philosophie par un retour aux écrits des grands penseurs politiques, n’est pas un concept arithmétique. La démocratie se situe sur une chaîne de participation. 4. La dépolitisation des clivages grâce à une culture d’autonomie: La culture civique dans une société multicommunautaire implique une forte dose d’autonomie de la part des citoyens. Une Suisse, mariée à un Libanais, raconte: «En 1976, je me rendais à Bab-Edriss pour acheter une viande de qualité. Le boucher qui me connaît bien me dit: A-t-on idée de lancer sur nous tant d’obus provenant de votre côté? Et je lui ai répondu: Savez-vous combien de roquettes ont été lancées de chez vous, dans mon propre quartier, et combien il y a eu de victimes et de dégâts? Nous nous sommes mis à nous regarder mutuellement et à réfléchir. Qui a lancé ces obus de part et d’autre? Pourquoi nous solidariser avec ceux qui ne représentent pas nécessairement nos aspirations?» 5. La culture de prudence dans les relations extérieures: Dans un système aussi pénétré que celui du Liban, la vertu de prudence dans les relations extérieures n’est pas du régionalisme (qutriyya) et du sectarianisme. C’est une condition de l’indépendance nationale et de la paix civile. D’autant plus que cette vertu de prudence sauvegarde l’unité du pays, la coexistence islamo-chrétienne et l’indépendance nationale. Il n’y a pas de problème national, arabe et international plus important que celui du pacte de coexistence, avec son idéal, et surtout ses contraintes. La vocation arabe du Liban et les impératifs stratégiques communs libano-syriens en dépendent. * * * Faire en sorte que des peuples (des populations, était-il écrit dans la rédaction originelle en langue française de notre Constitution) vivent harmonieusement et concilient mondialisation et particularismes constitue un défi pour le monde. Le Liban est justement «l’universel concret», selon une expression du père Hamid Mourani. Les Libanais sont ainsi engagés, au-delà du concept éculé d’intégration, des approches jacobines de l’Etat et des rêves fracassés d’hégémonie ou d’homogénéité, à la conciliation harmonieuse au Liban de l’universel et du particulier.
L’organisation internationale «Pax Christi International», fondée après la Seconde Guerre mondiale afin de promouvoir la culture de la paix et dont le siège est à Bruxelles, fait paraître en octobre prochain dans ses publications une plaquette du professeur Antoine Messarra sous le titre: Confessionnalisme et citoyenneté au Liban (Espace public et culture de prudence dans les...