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Actualités - REPORTAGE

Pour la première fois depuis 1975 et à l'initiative de l'association Offre-Joie Camp de vacances, sans surveillance officielle, pour 56 délinquants mineurs (photos)

Des journées comme celles-ci, on paierait pour les vivre. Dès le matin, il n’y a de place que pour la joie. L’autobus poussif, la chaleur étouffante, l’embouteillage et son cortège d’infractions, tout est oublié face au bonheur des 56 jeunes délinquants, qui quittent pour la première fois depuis 1975 les centres de rééducation pour un camp de vacances sans surveillance, comme s’ils étaient des jeunes comme les autres. D’ailleurs, en les entendant chanter à tue-tête, on oublie qu’ils sont tous accusés de crimes divers, certains — une minorité — ayant fait l’objet d’un jugement et d’autres attendant encore que leur sort soit tranché. Il a fallu beaucoup de courage aux responsables de l’association Offre-Joie, (notamment Me Melhem Khalaf et M. Joseph Habbouche) qui organise le camp, pour en assumer la responsabilité, mais il en a fallu autant à l’Union pour la Protection de l’Enfant au Liban (UPEL) en charge des centres de rééducation et à leur président, le magistrat Ghassan Rabah, pour donner leur accord au projet. Ce n’est en effet pas évident de confier 56 mineurs, âgés entre 13 et 17 ans, en détention préventive ou purgeant des peines diverses, à une association humanitaire pendant 10 jours. En principe, ils doivent vivre ces vacances comme le feraient des adolescents normaux, en mutipliant les activités sportives, artistiques ou manuelles, sans voir l’ombre d’un uniforme et avec pour seul souci de s’épanouir et d’apprendre à communiquer sans stress, ni contrainte. Le concept de ce camp est donc assez original et son principal objectif est d’entreprendre un premier pas vers la réinsertion sociale de ces jeunes. «L’opération plus loin» comme l’a baptisée Me Khalaf démarre à 10h, lorsque l’autobus affrété par «Offre-Joie» arrive aux abords du centre de rééducation des mineurs à Baassir. Il est aussitôt accueilli par des cris de joie, comme si jusqu’à la vue du bus, les jeunes ne croyaient pas vraiment au projet. Chacun serrant son bagage contre lui, ils attendent, en file indienne, la permission de grimper à bord de l’autobus. Première bonne surprise, le centre de Baassir (Chouf) est moins sinistre que prévu: une bâtisse de trois étages en béton, agrémentée d’un jardinet. Seul un fin grillage rappelle qu’il s’agit, malgré tout, d’un centre de détention. Un dernier appel, quelques instructions et 30 des 60 jeunes du centre commencent à monter dans l’autobus. Ils se sentent un peu coupables de laisser sur place leurs compagnons, mais il fallait bien faire une sélection et selon un des responsables du centre, les plus disciplinés ont été choisis. Les jeunes gens sont accompagnés de deux moniteurs, Samer et Assaad, qu’ils ont d’ailleurs l’air de bien aimer et, qui, assis dans l’autobus, pourraient être confondus avec les délinquants. De son côté, Offre-Joie a mobilisé un jeune moniteur Tony, et l’infatigable père Jean Rouquette, membre fondateur de l’association, venu spécialement de France pour participer à ce camp. Le directeur du centre, M. Samih Osseirane accompagne «ses» jeunes, afin de s’assurer qu’ils sont bien installés. Escorté de deux Jeeps des FSI, l’autobus s’ébranle et aussitôt, le ton est donné. Ce ne sont plus que chants, applaudissements et danses du ventre. Le père Rouquette en est émerveillé: «Cela s’annonce bien», crie-t-il, pour se faire entendre malgré le brouhaha. Les jeunes sont particulièrement impressionnés par le chauffeur du bus, qui conduit dangereusement, frôlant sans cesse l’accident. Pour eux, c’est déjà un avant-goût de la liberté et ils crient pour pousser les automobilistes à s’écarter du chemin. Le trajet commence par une escale au centre de rééducation de Fanar, où un second autobus doit prendre à son bord 26 délinquants, c’est-à-dire tous les occupants du centre. Là aussi, les jeunes sont accompagnés de deux moniteurs et du directeur du centre, M. Georges Matar. Repérage de caïds... La route menant au couvent de Kfifane, qui abritera le camp et qui a été restauré par les volontaires d’Offre-Joie, a beau être longue, le temps passe vite lorsqu’on est heureux, et les jeunes le sont visiblement. Ils ont d’ailleurs tous fait un effort de toilette, certains arborant la casquette de travers comme le font actuellement les ados, d’autres ayant noué un foulard sur leurs cheveux. Kfifane, enfin. Tout le monde descend. Les jeunes sont accueillis par les 25 volontaires d’Offre-Joie, dont deux Françaises, Frédérique et Aurélie, ainsi que par les responsables, Melhem et Joseph. Ils sont d’abord introduits dans l’immense salle qui leur servira de dortoir commun. Chacun se choisit un lit ou un matelas et les groupes se reconstituent comme dans les chambres du centre. Les jeunes, dont certains sont Syriens et Palestiniens, se ménagent des coins selon leurs affinités ou leurs âges et les moniteurs essaient de repérer les caïds ... Les jeunes bavardent entre eux et savourent d’avance les longues soirées de jeux de cartes ou de confidences qu’ils comptent passer dans cette salle. Ils ont plein de projets pour ces 10 jours, mais refusent complètement d’évoquer la raison de leur présence dans un centre de rééducation. Mohammed a 14 ans. Il est le seul à avoir l’air triste, assis en tailleur sur son lit, la tête entre les mains. Il faut d’ailleurs beaucoup d’insistance pour lui soutirer des confidences. Il raconte finalement qu’avec quatre de ses compagnons, il a été surpris en train de voler. Il n’a pas encore eu de procès, mais le juge a rejeté une demande de remise en liberté. Cela fait trois mois qu’il est au centre et il ressent cela comme une honte. Pourtant, tous les moniteurs, au centre et à Kfifane, essaient de pousser les jeunes à accepter leur situation. «Ce n’est pas parce qu’ils ont commis une faute qu’ils doivent être rejetés. Il faut simplement les aider à ne plus recommencer», affirme Georges Matar. Débats de réflexion En réalité, des 56 délinquants présents à Kfifane, 33 ont été jugés et les autres attendent leur procès. La plupart d’entre eux sont accusés de vols, mais ils viennent le plus souvent de milieux défavorisés ou de familles à problèmes. C’est pourquoi ce camp de vacances ne vise pas seulement à leur donner une période de détente, il doit être aussi un moyen de leur faire entrevoir une autre vie, basée sur l’entraide, la fraternité et la coopération. Il s’agit aussi de les aider à s’exprimer et à communiquer. Les jeunes moniteurs, qui sont à peine plus âgés qu’eux, ne comptent nullement les interroger sur leur dossier ou sur leurs conditions familiales, mais ils espèrent que, détendus, les jeunes aborderont ces thèmes d’eux-mêmes, notamment dans le cadre des ateliers de travail. Claudine Ghaziri, chargée de l’atelier de théâtre, se demande si les jeunes n’imagineront pas surtout des scènes axées sur la prison ou la vie au centre. De toute façon, si elle se heurte à des problèmes, le psychologue du camp est là pour l’aider, elle et tous les autres moniteurs. Des débats sur des thèmes tels que la liberté, le pardon, le respect, l’amour et l’avenir sont prévus, afin de pousser les jeunes à réfléchir positivement. D’ailleurs, ils sont prêts à le faire et dans la cour du couvent, ils se promènent par petits groupes, souriants tant ils sont heureux d’être dans ce cadre et de sentir ne serait-ce qu’un petit souffle de liberté. Avec leurs moniteurs et monitrices, des jeunes gens simples qui font penser aux chefs scouts, ils ne se sentent pas rejetés, surtout que Joseph, le responsable du camp, multiplie les plaisanteries du genre: «Il est interdit de quitter la table en ayant encore faim...Vous pouvez vous resservir quatre fois». Les rires fusent sans arrêt, un peu pour exprimer la joie et un peu aussi pour cacher une certaine timidité face aux jolies monitrices qui passeront avec eux les 10 prochains jours. Dans ce couvent en partie rénové, les 56 délinquants se sentent déjà un peu réhabilités. On leur parle normalement, on les responsabilise et surtout, ils ne se sentent pas enfermés. Ils profitent d’une période de pause pour jouer au ballon spontanément ou pour faire des figures acrobatiques. Ils ont de l’énergie à dépenser et de l’amour à donner. Ils voudraient vivre comme les autres jeunes et oublier tout ce qui peut rappeler ce qu’ils apppellent pudiquement leur faute. Ils demandent, en fait, une seconde chance. Les responsables des centres de rééducation et Offre-Joie sont en train de la leur donner, même si le risque et la responsabilité sont grands, l’éventualité d’une évasion ne pouvant être exclue. La société si prompte à condamner suivra-t-elle leur exemple? A Kfifane, hier, il n’y avait de place que pour l’espoir, la générosité et la foi dans la jeunesse, malgré ses faiblesses et ses blessures.
Des journées comme celles-ci, on paierait pour les vivre. Dès le matin, il n’y a de place que pour la joie. L’autobus poussif, la chaleur étouffante, l’embouteillage et son cortège d’infractions, tout est oublié face au bonheur des 56 jeunes délinquants, qui quittent pour la première fois depuis 1975 les centres de rééducation pour un camp de vacances sans...