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Actualités - OPINION

Du surgelé à la carte

Une hirondelle, c’est bien connu, ne fait pas le printemps: ni même trois, tant qu’à y être. Aussi la décision gouvernementale de déférer ce même nombre d’ambassadeurs devant le Conseil de discipline est bien loin d’augurer l’avènement, tant attendu, de l’Etat de droit, de l’assainissement de la fonction publique, de la transparence. Elle ne peut, elle ne doit pas en tout cas suffire pour donner bonne conscience aux responsables. Il ne s’agit pas, bien entendu, ici, de juger le bien-fondé de l’enquête visant ces trois diplomates, ce qui est du ressort des autorités compétentes. Mais on ne peut que s’étonner de ces scrupules, ô combien tardifs, qui sont venus (r)animer un gouvernement dont l’existence — comme celle, veut-on croire, du régime — tire à sa fin. Lequel gouvernement n’a ni la crédibilité et la rigueur morale ni la volonté ni la capacité ni seulement le temps matériel nécessaire pour emmancher sérieusement l’épuration d’une administration et de tout un establishment politique pourris jusqu’à la moelle. Ce n’est certes pas la première fois dans les annales libanaises que le pouvoir en place fait un usage partial, tronqué, suspect ou même carrément dévoyé du couperet. Il y a une trentaine d’années, plus d’un fonctionnaire éminemment respectable s’était injustement retrouvé sur l’infamante charrette pour des considérations bassement «politiques» ou d’«équilibre» confessionnel. Plus tard — beaucoup trop tard, car pas toujours de leur vivant — certains de ces boucs émissaires avaient trouvé une bien maigre consolation dans les regrets embarrassés de hauts responsables de l’époque... A ces évocations d’épuration de circonstance s’ajoutent, dans le cas présent, de peu engageants remugles de mesquine vindicte personnelle. D’épingler, pour faire bonne mesure, deux autres ambassadeurs parmi la foule de fonctionnaires indélicats recensés dans les départements les plus divers, à tous les échelons, ne peut faire oublier en effet que c’est la tête de Souheil Chammas qui, ces derniers temps, était réclamée à cor et à cri. Par le président de la république d’abord qui, bien que se disant las et pressé de déménager du palais de Baabda, ne pardonne apparemment pas à l’ambassadeur retraité son peu d’enthousiasme notoire pour la reconduction de 1995, comme pour une éventuelle réédition de celle-ci. Par son gendre ensuite, le ministre des Affaires étrangères qui n’oublie pas, lui, que Chammas, chef de la délégation libanaise aux négociations de paix avec Israël, ne s’était jamais soucié de requérir ses instructions ou de lui faire rapport de ses activités, préférant emprunter pour cela des canaux de communication directe avec le chef de l’Etat ou le premier ministre du gouvernement. Les négociations, comme on le sait, sont depuis longtemps gelées; en revanche — et c’est littéralement de revanche qu’il s’agit là — c’est le dossier de l’ancien ambassadeur et secrétaire général des A.E., un dossier remontant à la première moitié de la décennie, un dossier qui faisait même l’objet d’une discussion suivie en vue d’une régularisation à l’amiable, que l’on vient brusquement de ressortir du frigo. La vengeance est un plat qui se mange froid, certes; on appréciera tout de même l’élégance du procédé. Il reste que l’on ne peut espérer leurrer, à l’aide de tels expédients, une opinion parfaitement au courant des scandales financiers éclaboussant certains personnages publics, et non des moindres, comme de la corruption éhontée qui sévit au sein de l’administration. Il n’est pas outrancier de dire que l’œuvre de reconstruction (non point celle des édifices publics, des résidences officielles, salles de congrès et autres bretelles d’autoroutes périphériques, mais la reconstruction de la société humaine et politique) que la reconstruction donc a capoté, dès l’instant où le pouvoir de l’après-guerre s’avérait impuissant à nettoyer les services étatiques. Confessionnalisme oblige, chacun des trois présidents a été amené en effet à étendre sa protection à ses ouailles, même quand elles ne méritaient pas autant d’égards; couvrant de la sorte le mal, quel pouvoir au monde pouvait-il se mettre lui-même à l’abri de celui-ci? Des champs d’opération ont été délimités, véritables territoires réservés aux puissants et à leurs proches. En quelques années d’exercice, des fortunes colossales ont été amassées grâce au trafic d’influence, aux pots-de-vin, commissions et participations en tout genre: fortunes impudemment étalées au demeurant, avec cette belle assurance que donne la garantie de l’impunité, dans un pays où, bien souvent, l’ascension politique est devenue indissociable de la réussite dans les «affaires». Maints de ces scandales ont été mentionnés dans la presse, sans que le Parlement, la Justice, la Cour des comptes ou l’Inspection centrale s’en émeuvent jamais. A la veille de l’échéance présidentielle, ce ne sont surtout pas les dernières gesticulations moralistes et épuratrices des responsables, ou alors leurs promesses pour le prochain sexennat, qui peuvent donner un fidèle avant-goût de ce changement dont sont avides les citoyens. Trop épaisse la sauce, en effet; et Dieu, que ces cuisines ont besoin d’être aérées un bon coup!
Une hirondelle, c’est bien connu, ne fait pas le printemps: ni même trois, tant qu’à y être. Aussi la décision gouvernementale de déférer ce même nombre d’ambassadeurs devant le Conseil de discipline est bien loin d’augurer l’avènement, tant attendu, de l’Etat de droit, de l’assainissement de la fonction publique, de la transparence. Elle ne peut, elle ne doit pas...