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Actualités - ANALYSE

Un faste très opportun...

Aussi discrète que fût l’inauguration, aussi tronqués que fussent les chiffres des médias officiels coupant la poire en deux (ils parlent de 27 millions de dollars là où il en a fallu 58), la rénovation fastueuse du Grand Sérail a scandalisé les Libanais qui pour la plupart ploient sous les ennuis matériels. Et ils se demandent comment un Etat aussi endetté peut se lancer dans des dépenses aussi somptuaires. Le fait que M. Rafic Hariri y ait été partiellement de sa propre poche ne les rassure pas, bien au contraire. Il signifie en effet à leurs yeux que l’homme, comme il l’a reconnu d’ailleurs le jour même en toute simplicité, se considère comme vissé à vie sur son fauteuil. Et il implique en outre un sens paradoxalement peu civique de l’amalgame entre bien public et bien privé. La circulation fiduciaire qui s’opère dans un sens peut le faire dans l’autre, estime une opinion très versée dans la mystérieuse alchimie des vases communicants… Autre point d’interrogation, plus institutionnel: ce troisième étage que l’on a rajouté pour y loger la famille du président du Conseil (à l’avenir car M. Hariri ne tient pas personnellement à profiter de ce privilège), n’est-il pas le symbole d’une pérennisation antidémocratique de la fonction? On dira: mais il y a Baabda et Ayn el-Tiné. Certes, mais ces deux présidences sont installées par élection, l’une pour six l’autre pour quatre ans, un bail qui en vaut la peine. Alors que la présidence du Conseil peut sauter avant le temps de dire ouf, et d’ailleurs cela s’est déjà vu au Liban, du temps de la guerre. Sans aller si loin, le Cabinet de M. Rachid Solh, formé en 1992 rien que pour imposer les directives des décideurs concernant les législatives, n’a dansé qu’un seul petit été. Et avant M. Hariri — après lui aussi, sans doute — la moyenne d’âge des gouvernements n’était dans ce pays que de neuf mois. Toujours est-il que l’autre puissant du système n’est pas en reste. La présidence de la Chambre s’est dotée comme on sait d’une résidence fastueuse — les boiseries seules auraient coûté quelque deux millions de dollars — et elle a acquis par ailleurs pour les chers collègues l’ancien siège du Banco di Roma, transformé en bureaux personnels luxueux. Autant de gros sous qui n’iront pas au social, du reste insatiable, et serviront à bien meilleur escient pour offrir aux joyaux de la présente république les écrins qu’ils méritent. Le prestige avant tout: rien de tel pour un pays-vitrine de tourisme et de services. Entre bons camarades. Sauf que ce show-off produit un effet contraire à celui qui était escompté. Dans ce sens que les diplomates accrédités à Beyrouth se disent en privé assez choqués par cet étalage de luxe, alors que leurs gouvernements sont harcelés de demandes d’aide libanaises. «Est-ce bien la peine, dit un Arabe, de vous donner de l’argent, s’il doit ainsi être dépensé… Cela vous rapporte quoi, ces palais, au niveau du PNB et du revenu national qui devraient être votre seule préoccupation…» A noter cependant, personne n’est parfait, que certains opposants, dépassant les considérations financières «sordides» (peut-être parce qu’ils espèrent être un jour eux-mêmes au pouvoir) ne sont scandalisés que… par l’accueil réservé à M. Hariri au Grand Sérail. Selon eux «seul le chef de l’Etat, symbole de la nation, a droit au tapis rouge, à l’hymne de salut, à la présentation des armes ou même à une escorte officielle de motards». Il faut croire qu’ici, et de plus en plus depuis Taëf, on confond les genres.
Aussi discrète que fût l’inauguration, aussi tronqués que fussent les chiffres des médias officiels coupant la poire en deux (ils parlent de 27 millions de dollars là où il en a fallu 58), la rénovation fastueuse du Grand Sérail a scandalisé les Libanais qui pour la plupart ploient sous les ennuis matériels. Et ils se demandent comment un Etat aussi endetté peut se lancer...