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Actualités - ANALYSE

Nouvelle approche syrienne du problème libanais

Selon la petite histoire, au cours de sa première journée d’entretien avec son homologue français, en juillet dernier à Paris, le président syrien Hafez Assad a longuement évoqué les relations libano-syriennes, ainsi que les rapports des deux pays avec la France. Il aurait même souligné devant son interlocuteur qu’il est le premier président syrien à avoir reconnu l’indépendance du Liban, affirmant qu’il compte continuer à œuvrer en ce sens. Mais au second jour, lorsque M. Jacques Chirac a essayé de parler de l’échéance présidentielle libanaise, sans même la nommer expressément, M. Assad s’est contenté de sourire vaguement sans dire un mot. Pour les milieux diplomatiques, le message était clair: le président syrien — que l’on considère généralement comme le principal électeur au Liban — ne serait pas encore prêt à aborder ce sujet avec qui que ce soit, ni avec les responsables occidentaux , fussent-ils français, ni même avec les responsables libanais, qui font pourtant tout pour essayer de pousser la Syrie à révéler son choix. Pour les personnalités proches de Damas, cela ne signifie nullement que les Syriens ne se préoccupent pas de cette échéance. Au contraire, ils y pensent beaucoup, d’autant que, désormais, toujours selon les mêmes personnalités, le dossier libanais fait partie d’une équation interne syrienne. Simplement, ils préfèrent étudier longuement la question avant de se prononcer. En réalité, la Syrie, et la région en entier, traversent actuellement une étape délicate, face à un processus de paix pratiquement bloqué et alors que le premier ministre israélien n’a visiblement pas l’intention de donner une chance à n’importe quelle initiative de déblocage. Il préfère prendre son temps, et attendre la suite des événements, tant aux Etats-Unis que dans la région, où certains pays se trouvent à une période charnière. Son pari serait le suivant: transformer la Turquie en pôle musulman sunnite et l’Iran, après sa «domestication», en pôle chiite. Dans ce cas, les Arabes seraient totalement marginalisés. La surprise des jeux panarabes Face à ce scénario complexe, la Syrie, toujours selon les personnalités qui en sont proches, ne peut que réagir et essayer de lutter contre des failles éventuelles qui pourraient se transformer en points de faiblesse et en menaces directes. Le Liban pourrait être une de ces failles. D’autant que les Syriens commencent à comprendre que le mécanisme de gouvernement mis en place à Beyrouth n’est pas aussi satisfaisant qu’on pourrait le croire. En effet, depuis l’adoption de l’accord de Taëf et l’avènement de ce qu’on appelle la Deuxième République, les Syriens ont misé sur le président de la Chambre, Nabih Berry et sur le président du Conseil, Rafic Hariri, sans trop se soucier d’une certaine marginalisation des chrétiens, à leurs yeux voulue par ces derniers. Mais sans parler des multiples conflits entre ces deux pôles du pouvoir, leur premier choc s’est produit lors des VIIIes jeux panarabes qui se sont déroulés l’été dernier à la Cité sportive Camille Chamoun. Les spectateurs, en majorité musulmans, se sont abstenus d’applaudir le défilé de l’équipe syrienne, alors qu’ils ont applaudi au passage de toutes les autres délégations arabes. Enfin, à l’issue du match opposant la sélection nationale syrienne à celle du Liban, ils ont multiplié les rixes avec les spectateurs syriens, transformant le stade en champ de bataille. Les responsables syriens se sont alors, selon ceux qui les connaissent, posé beaucoup de questions, se demandant si leur pari était aussi utile qu’ils l’avaient escompté. Le second choc s’est produit à la faveur des élections municipales, lorsque les Syriens ont vu avec stupeur l’émergence de la Jamaa islamiya, qui, dans la plupart des circonscriptions, a joué le rôle de balancier, en alliance avec le président du Conseil: à Tripoli, à Saïda, dans l’Iqlim el-Kharroub (Mont-Liban), à Beyrouth et à Baalbeck (où ses 4000 voix sunnites ont fait échouer le Hezbollah). Selon cette personnalité proche de Damas, les responsables syriens se sont alors demandé si la formule actuelle était réellement valable et surtout, si elle est en mesure de résister aux bouleversements éventuels dans la région et de maintenir au Liban la stabilité indispensable à la Syrie. Tous ces facteurs — et bien d’autres — ont poussé les responsables syriens à remettre en question leur approche du dossier libanais. Si, pendant près de 9 ans, la troïka actuelle a fonctionné avec plus ou moins de bonheur, elle commence désormais à être perçue par les responsables syriens comme un poids , voire comme un boulet. Et s’il y a une chose dont ils, ne veulent pas, affirme cette personnalité, c’est que le Liban se transforme en une bombe à retardement qui susciterait des difficultés à la Syrie elle-même. La dernière polémique entre le président du Conseil et le chef du Législatif est venue renforcer leur impression qu’il est nécessaire de procéder à un changement dans l’approche du dossier libanais. Les premiers signes du changement Pour cette personnalité proche de Damas, les premiers signes du changement sont apparus à travers un rééquilibrage subtil des forces en présence au Liban. Cela a commencé par le renforcement de l’influence de l’ancien président du conseil Omar Karamé à Tripoli, avec l’élection d’un président de la municipalité de la ville, M. Samir Chaarani, qui lui est acquis, et par la réélection de M. Elias Abou Rizk à la tête de la CGTL. Certes, ceux-ci ont été élus par les voix de leurs partisans, mais les autorités syriennes ont neutralisé les obstacles qui auraient pu entraver leur succès, comme par exemple une tentative de dernière minute de la part du président Hariri de reporter le scrutin syndical. Enfin, toujours selon la personnalité proche de Damas, les responsables syriens ont décidé d’entreprendre une ouverture en direction des pôles chrétiens. D’où le défilé, parfois public, et souvent discret, de certaines personnalités chrétiennes à Damas pour y rencontrer le fils du président syrien, M. Bachar Assad. D’ailleurs, à ce stade, les opinions sont partagées: certains croient que cette ouverture est de pure forme et que les responsables syriens ne comptent nullement nouer une alliance stratégique avec les chrétiens car, aujourd’hui, ils croient ne plus avoir besoin d’eux. Lorsque le président du Conseil peut avoir ses entrées en France, aux Etats-Unis et dans la plupart des pays occidentaux, sans parler de l’Arabie Séoudite, pourquoi les Syriens iraient-ils se soucier des chrétiens? D’autres pensent, au contraire, que Damas est consciente du fait que les chrétiens sont un facteur d’équilibre dans la structure libanaise et qu’après une longue période de relations heurtées, elle souhaiterait bien entamer une nouvelle page. Reste à savoir si les chrétiens sont intéressés par cette nouvelle approche et dans quelle mesure ils sont capables de dépasser leurs vieilles appréhensions pour construire , avec les Syriens, une relation capable d’affronter les défis du futur. Les responsables syriens ont lancé plusieurs petites phrases qui en disent long sur leurs bonnes dispositions. Ils multiplient ainsi les rumeurs sur leur désir d’appuyer un nouveau président «plus représentatif des chrétiens» (dans les limites tolérées bien sûr) et sur leur souhait de sonder le Patriarche maronite sur ses propres préférences. A son tour, ce dernier a laissé entendre à un journaliste français que la fin du boycott chrétien des institutions étatiques serait proche... Comme quoi, l’heure serait finalement venue de se pencher sérieusement sur le contentieux syro-chrétien. Les dirigeants syriens, souligne cette personnalité proche de Damas, seraient prêts à revoir la situation des personnes jusqu’à présent considérées comme des constantes dans l’équation libanaise. La situation est donc en pleine mutation et les polémiques actuelles ne sont que les soubresauts de ceux qui sentent leurs positions menacées et qui souhaitent les consolider.
Selon la petite histoire, au cours de sa première journée d’entretien avec son homologue français, en juillet dernier à Paris, le président syrien Hafez Assad a longuement évoqué les relations libano-syriennes, ainsi que les rapports des deux pays avec la France. Il aurait même souligné devant son interlocuteur qu’il est le premier président syrien à avoir reconnu...