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Actualités - OPINION

Carnet de route Hors les livres

Quand j’entends le mot «patrie», j’ouvre mon dictionnaire. Je ne nie pas que ce geste puisse relever d’une maladie du scrupule, voire d’une manie de la vérification (1), mais, outre cette possibilité, il y a une certitude: je suis née Libanaise, j’ai chanté, enfant, avant chacun de mes cours d’arabe, «koulouna lel watan», tandis que le seul pilier idéologique de ma maison natale, une Syriaque orthodoxe de Mardin, me mettait ainsi en garde: «Si on te demande ce que tu es, réponds je suis Arabe» («bint arab»)». C’était à un âge où la préoccupation identitaire ne s’énonce pas encore en termes politiques. Depuis... Ceci pour en venir à une conférence récente (2) (voir «L’Orient le Jour» du 28 février) qui revient à prôner la persistance du confessionnalisme politique comme moindre mal dans la situation actuelle de la nation. Sacrilège! Profanation de tout ce que la «modernité» nous a appris sur la laïcité et la démocratie! Propagande réactionnaire, voire rétrogression caractérisée! Trahison de l’idéal démocratique, voire anéantissement de tous les efforts de dépassement accomplis par l’intelligentsia et un certain despotisme éclairé dans la voie de sécularisation et du progrès! Ces exclamations à peine imaginaires, on les devine bien, montant des rangs de l’élite rompue aux idéaux politiques hérités, à l’abri des universités, du dix-huitième siècle de Benjamin Franklin et de Condorcet, convaincre du sens de l’histoire et de l’irréversibilité du progrès, et dont certains membres seraient prêts à tirer au forceps les réalités concrètes et vivantes d’une terre et de ses hommes pour les exhausser au niveau de leur propre angélisme, sûrs que seul un bien peut advenir d’une aussi haute inspiration. L’ancien ministre des Affaires étrangères, lui, bénéficie d’un avantage rare. Quand il énonce, c’est a posteriori: théoricien «théorique» dans sa jeunesse, l’homme est depuis longtemps, marqué par la pratique politique. Expliquons-nous: Fouad Boutros a dû, comme le héros d’une autrefois célèbre pièce de théâtre, se «salir les mains». Comme le personnage auquel nous pensons, il a dû «tremper» (ses mains) dans la merde jusqu’au coude», dans les circonstances souvent vitales, on pense, bien sûr, aux années de guerre, et avec des interlocuteurs, libanais et étrangers à la fréquentation dangereuse, au cours des plus belles années du confessionnalisme fanatique et des ingérences particulièrement machiavéliques de nos voisins frontaliers, frères ou ennemis. Cela lui donne-t-il forcément raison sur d’autres, uniquement parce qu’il sait de quoi il parle, parce qu’il a connu, depuis l’âge de raison, le confessionnalisme dans tous ses états et toutes ses étapes, cet homme d’Etat et de terrain, homme de réflexion et politique consommé? Peut-être. Peut-être pas. Mais il se trouve au Liban désormais des esprits lucides, des hommes et des femmes bardés de titres et de lectures, des réalistes qui voient les chercheurs, occidentaux ou non, se débattre depuis une vingtaine d’années dans d’ingrates problématiques sur la mort des idéologies et même un questionnement plus récent sur l’avenir incertain des démocraties. Des Libanais, jeunes et moins jeunes qui, ayant dépassé les conformismes du «politiquement et théoriquement correct» ont, notamment, opté pour le pragmatisme. Or, en ce qui concerne le confessionnalisme politique, nous en connaissons plusieurs, et il y en a sans doute beaucoup, qui ont abouti, par souci de sauvegarde, aux mêmes conclusions que celles du conférencier de N.D. de Jamhour. Parce qu’on émascule pas un pays de sa vérité. Et cette vérité, depuis longtemps et pour l’instant encore, est celle des confessions. Elles sont religieuses, pour parler littéralement, mais, pour parler tout aussi littéralement, elles structurent notre société, elles en sont les instances constituantes, et leurs échanges se confondent avec la respiration même du pays. Si tel est le cas, quelle autre superstructure qu’un confessionalisme politique bien entendu pourrait-on donner, sans fausser le jeu au départ, à cet organisme multicellulaire que nous sommes? Ce qui n’exclut ni le bien public assuré par un Etat pratiquant pour une fois une centralisation intelligente, ni un développement sui generis. Nous sommes au cœur d’une région dominée par les dictatures. On sait que rien n’appelle autant le césarisme que le désordre. Si notre ordre est confessionnel, n’y touchons que pour en améliorer les rapports internes. La caricature de confessionalisme politique qu’incarnent aujourd’hui beaucoup de nos dirigeants ne doit pas nous impressionner. Il suffirait que nous ne sombrions pas avec eux pour avoir une chance de nous réunir. C’est une grande illusion de ne pas faire avec ce qu’on est, avec ce qu’on a. Un grand danger d’en avoir honte. Sur ces phrases sentencieuses, et parce que la direction de «L’Orient-Le Jour» pense que mieux vaut faire court que long, j’interromps mon bavardage. En espérant que nous ne serons jamais plus des Hutus et des Tutsis, ce qui un jour ne pourrait dépendre que de nous, en attendant que finisse le règne de l’«enrichissez-vous», en attendant que notre pays le plus frère puisse commencer à nous respecter, faute de renoncer à nous dominer, en attendant que M. Robert Kasparian, directeur des statistiques, sorte de sa neutralité pour nous dire qu’il y a péril en la demeure, en souhaitant que les tenants des élections municipales et confessionnelles par définition ne se cassent pas la gueule, moi je vais dîner à «Florence-Tabaris» parce qu’il faut être de son temps, et que mon temps de Beyrouthine (confessions islamo-chrétiennes réunies) est celui de la «décoration». A ce propos, voir le second sens de «décorer» dans le dictionnaire: «couvrir d’une apparence trompeuse et séduisante». Pour être honnête, le premier est autre: «agrémenter, embellir». On peut choisir. C’est, comme le mariage civil dans l’esprit du président Hraoui: facultatif.
Quand j’entends le mot «patrie», j’ouvre mon dictionnaire. Je ne nie pas que ce geste puisse relever d’une maladie du scrupule, voire d’une manie de la vérification (1), mais, outre cette possibilité, il y a une certitude: je suis née Libanaise, j’ai chanté, enfant, avant chacun de mes cours d’arabe, «koulouna lel watan», tandis que le seul pilier idéologique de ma...