Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Un mort et trois blessés dans la répression d'une manifestation pro-irakienne à Maan Le gouvernement jordanien craint une explosion de violence dans le royaume

AMMAN, de notre envoyé spécial Paul KHALIFEH Ce que tout le monde craignait en Jordanie est arrivé hier. Pour la première fois depuis le début de la crise irakienne, le sang a coulé. Des affrontements entre des manifestants pro-irakiens et les forces de l’ordre à Maan, à 250 kilomètres au sud d’Amman, ont fait un mort et trois blessés parmi les protestataires. Un avant-goût de ce qui pourrait se produire dans le royaume hachémite en cas d’attaque américaine contre l’Irak. Les incidents de Maan se sont produits au lendemain de l’arrestation de l’ancien député et actuel président du puissant syndicat des ingénieurs jordaniens, Laith Choubaylat. Le plus célèbre opposant au royaume, proche des islamistes, avait tenu jeudi, dans la grande mosquée de Maan, des propos incendiaires contre «l’attitude pro-américaine du gouvernement au sujet de la crise irakienne». Quelques heures plus tard, il était arrêté par la police. Les autorités avaient, dans le même temps, rejeté une demande d’organisation d’une manifestation de solidarité avec l’Irak déposée par les notables de la ville. En dépit de l’interdiction, des centaines de fidèles se sont rassemblés devant la mosquée après la prière du vendredi. Echauffés par le prêche du prédicateur, ils ont scandé des slogans hostiles aux Etats-Unis et à Israël et favorables à l’Irak. Une altercation entre un groupe de manifestants et des policiers a dégénéré en une mêlée généralisée. La police a lancé des grenades lacrymogènes et fait usage de ses armes à feu. Bilan: un mort (Mohammed el-Kateb) et trois blessés parmi les manifestants, un blessé dans les rangs des policiers. Selon la police, les affrontements ont été provoqués par des manifestants armés qui ont ouvert le feu sur les forces de l’ordre. Les incidents qui se sont poursuivis pendant un certain temps ont cédé la place à une extrême tension dans la ville quadrillée par la police. De multiples barrages dressés sur la route Amman-Maan rendaient difficile l’accès à la région. En soirée, la tension a baissé d’un cran après l’allégement du dispositif de sécurité. Si l’attitude des Jordaniens sert de baromètre pour prévoir la réaction des populations des différents pays arabes en cas d’attaque contre l’Irak, Maan joue le même rôle au niveau du royaume hachémite. C’est dans cette ville que des troubles ont eu lieu en 1989 et en août 1996 après l’augmentation par le gouvernement des prix du pain et d’autres denrées de base. «Maan est une sorte d’étincelle qui met le feu à la poudrière», déclare Jamal, un photographe de presse qui a couvert les principaux événements des dernières années. Quand les Bédouins sont mécontents Maan est d’autant plus importante que sa population est à majorité bédouine. Et ce sont les Bédouins qui constituent l’ossature de la monarchie hachémite. En septembre 1970, c’est grâce à eux que le roi Hussein a réussi à écraser militairement les organisations palestiniennes et à asseoir de nouveau son autorité dans le pays. «Quand les Bédouins sont mécontents, c’est que la monarchie traverse une période difficile», déclare Jamal. Depuis une dizaine de jours, des mouvements de protestation sont organisés presque quotidiennement. Après la manifestation estudiantine de mercredi qui a rassemblé à l’intérieur de l’Université d’Amman environ 1500 personnes, selon les journaux proches du gouvernement, d’autres rassemblements moins importants ont eu lieu dans différentes régions du royaume. Des pétitions de solidarité avec l’Irak circulent dans les écoles, les universités et les associations professionnelles et des collectes de produits alimentaires et de vêtements destinés à la population irakienne sont régulièrement organisées. Les incidents de Maan reflètent donc la tension qui règne dans le royaume, mais aussi traduisent le fossé qui existe entre la population jordanienne et le gouvernement. «Les gens et les responsables sont dans des tranchées opposées. Le peuple est acquis à la cause irakienne et les dirigeants sont plutôt pro-américains», chuchote Ibrahim, employé à l’hôtel «Intercontinental Jordan». «La population n’est pas contente de l’attitude du gouvernement et elle ne rate pas une occasion de le montrer. La télévision ne dit pas tout». Sur cette phrase mystérieuse, le jeune homme poursuit son chemin en jetant des regards prudents autour de lui. Pourtant, le gouvernement jordanien insiste sans relâche sur la nécessité de trouver une issue pacifique à la crise irakienne. «La Jordanie a adopté une neutralité négative dans cette crise. Elle est à des années lumières de sa position de 1990 (lors de l’invasion du Koweit par l’Irak). Et cela, le peuple ne peut pas l’accepter», explique Sélim Moutayina, étudiant islamiste à la faculté des sciences appliquées d’Amman. Comment expliquer ce revirement du gouvernement jordanien? «La politique de la monarchie a toujours été de protéger l’intégrité du royaume dans cette région instable, explique un journaliste qui a requis l’anonymat. En 1990, l’Irak était un puissant voisin et la Jordanie dépendait économiquement de lui. Si le roi ne l’avait pas appuyé, le royaume aurait peut-être éclaté. Aujourd’hui, l’Irak est faible et la Jordanie s’est engagée sur une voie tout à fait opposée en signant un accord de paix avec Israël. Elle mise aussi beaucoup sur l’aide américaine. Espérons que les calculs du roi soient justes...». Pour l’instant, les partis d’opposition jordaniens — dont les formations islamistes constituent le plus puissant courant — n’ont toujours pas dépassé le seuil de tolérance fixé par le gouvernement, même si les affrontements de Maan peuvent être considérés comme une sérieuse bavure. Pour éviter d’éventuels incidents, l’opposition a annulé une manifestation prévue hier dans la ville d’Irbid. L’idée d’un rassemblement devant la mosquée el-Hussein à Amman a également été abandonnée, de même qu’une marche qui devait avoir lieu à partir du centre-ville en direction du siège du Parlement. Sur les quatorze collines d’Amman, la vie continue normalement. Mais le gouvernement et l’opposition se surveillent du coin de l’œil. Tous attendent les résultats de la mission de Kofi Annan à Bagdad. C’est d’elle que dépend l’issue de la crise irakienne... et la suite des événements dans le royaume. P. Kh.
AMMAN, de notre envoyé spécial Paul KHALIFEH Ce que tout le monde craignait en Jordanie est arrivé hier. Pour la première fois depuis le début de la crise irakienne, le sang a coulé. Des affrontements entre des manifestants pro-irakiens et les forces de l’ordre à Maan, à 250 kilomètres au sud d’Amman, ont fait un mort et trois blessés parmi les protestataires. Un...