«Andalousie, la gloire perdue» est conçu comme une mouvante fresque historique colorée où la danse, les costumes et les accessoires de scène semblent jaillir d’un livre d’images sur fond de musique constamment fortissimo...
Optant pour une narration à panache via un trouvère — hakawati qui égrène un oud comme pour une aubade, Caracalla fait revivre la gloire de l’Alhambra, de Grenade et de Cordoue à travers une suite de tableaux chargés de couleurs et croulant sous les voiles, les gazes, les brocarts, les soieries et les mousselines... Effets de draperie et d’étoffes pour un trop-plein de fanions généreusement agités sous les spots et des costumes magnifiques qui nous font oublier souvent la danse à poses emphatiques et cicéroniennes...
Avec le débarquement des cavaliers arabes sur les côtes espagnoles commence une grande épopée dont les rebondissements vont marquer le 8e siècle. Philosophie, poésie, art, architecture, musique, science, auront des effets déterminants sur toute une civilisation. L’Orient, incarné dans cette mythique Andalousie, atteint alors un apogée de faste, de raffinement et de culture que l’Occident regardera avec envie et intérêt.
Les émirs se succèdent et les intrigues de cour et du pouvoir tissent la sombre toile d’une société guettée par la décadence et l’anarchie. Et quand les Espagnols, sous le règne d’Isabelle et Ferdinand d’Aragon, reprennent les rênes du pouvoir en 1492, l’Andalousie est bien une gloire arabe perdue, une étoile déchue...
C’est cet ambitieux projet de tranche d’histoire où les Arabes ont étonné l’univers que tente de conter Caracalla. Quoique confus et peu perceptible dans ses détails historiques, manquant surtout de cohésion et d’émotion, le spectacle pallie ces lacunes par une grande richesse visuelle. De ce flot d’agitation habilement orchestrée, émergent des moments de beauté où l’originalité de chorégraphe d’Abdel Halim Caracalla prend le dessus comme cette ronde de jeunes gens aux tambourins avec un éphèbe ondulant tel un «gholam» d’Abou Nawass, ou cette kyrielle de jeunes filles à voile offrant les déhanchements lascifs de leurs corps telles de provocantes mais pudiques Salomé... Ici le oud rejoint la guitare, la castagnette accompagne le «daff», le pourpoint se mêle aux abayas, le casque des «conquistadores» a autant d’éclat que les «Keffiehs», les mantilles se fondent aux «gallabiehs», les talons Richelieu résonnent autant que le martèlement des pieds nus... Ici les Carmen ont le regard de braise des orientales et les hidalgos la taille cambrée d’Omar.
Passant du drame à l’euphorie, des batailles sanglantes aux duos d’amour, de la victoire à la défaite, de la fidélité à la trahison, pour reconstituer «l’Andalousie, gloire perdue» Caracalla traverse l’histoire à pieds joints pour retomber ferme sur des «dabkés» — bravoures où toute la troupe galvanise une salle en délire. Si les Rahbani ont inventé l’opérette à la libanaise avec lune argentée et village oublié, Caracalla a certainement inventé» aussi les spectacles de danse à la libanaise où le dabké d’ensemble, prestement enlevé, vibrant hommage patriotique, couronne même un récit d’histoire arabe de haute voltige...
Edgar DAVIDIAN
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