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Actualités - CONFERENCES DE PRESSE

Il a donné une conférence de presse au siège de l'AEP L'Abbé Pierre : de patriotes, les libanais doivent devenir des citoyens

Egal à lui-même, alerte, pragmatique, ouvert à toutes les questions, exemplaire dans son respect de l’interlocuteur, l’abbé Pierre a rencontré hier la presse, au siège de l’Association d’entraide professionnelle (AEP), un organisme libanais pratiquant le micro-crédit membre d’Emmaüs international. Ce rassemblement présidé par l’abbé Pierre et partageant ses idéaux, tient en ce moment, au Liban, ses assises annuelles.
Auteur de nombreux ouvrages (le dernier «Mémoire d’un croyant», retrace les grandes étapes de sa vie), l’abbé Pierre n’est pas un inconnu pour les Libanais, qui ont fait sa connaissance pour la première fois en 1959, avec la fondation de l’«Oasis de l’espérance». Aujourd’hui, à 84 ans, le «chiffonnier d’Emmaüs» poursuit un combat de tous les jours contre les laissés-pour-compte de la société, pour la justice et la fraternité des hommes. Confronté au phénomène de la mondialisation économique, l’abbé Pierre va au-delà et parle de la «mondialisation de l’homme». Familier du Liban qu’il aime, il semonce les Libanais «patriotes» et les exhorte à devenir des citoyens.
«Oui, je pense que nous sommes en présence de la mondialisation de l’homme, explique-t-il, je crois que pour la première fois depuis les origines, l’homme se trouve condamné par les techniques à trois réalités nouvelles. D’abord, il est condamné à tout savoir. Il ne pourra plus jamais dire: «Je ne le savais pas». Quand des crimes comme ceux du Rwanda se produisent, l’ONU ne peut plus s’innocenter d’être restée passive».
«La seconde réalité, c’est que l’homme est condamné à de nouveaux partages. C’est vrai dans une société qui sort d’une guerre terrible comme la vôtre, mais aussi dans les sociétés occidentales. Ces sociétés ne peuvent plus vivre sur les partages qu’elles vivaient avant la mondialisation».

Le temps libre

«Le troisième fait très important, c’est que la société se trouve condamnée à du temps libre. C’est très grave. Ça peut être pour elle l’occasion d’un progrès dans l’humanisation, mais ça peut aussi être pour certains l’occasion de la délinquance, de la drogue et de l’alcool. J’ai d’abord combattu pour les sans-logis, après contre le chômage, maintenant, ma principale préoccupation c’est: «Que fera-t-on du temps libre»?
Que faire pour avoir «un vrai abbé Pierre» au Liban? la question surprend. «Une bonne photocopieuse», lance à la volée Mme Christiane Sayhoun, fondatrice de l’AEP. «Je n’ai pas de conseils, répond l’abbé Pierre, et je vous le dis, ne vous en lavez pas les mains. C’est votre affaire». Et de rappeler les principaux événements qui ont marqué sa vie, et notamment l’altruisme de son père. L’abbé poursuit en affirmant qu’il existe dans la vie d’une personne des circonstances, des événements, des expériences, des exemples aux effets impondérables, qui formeront la trame de sa vie, et finiront par donner à sa vie une physionomie imprévue.

Le malheur de
l’occupation

Que pense l’abbé Pierre de la récente déclaration des évêques français, reconnaissant leur passivité devant la montée de l’antisémitisme pendant l’occupation allemande.
«La vérité est toujours plus forte que toutes les habiletés, répond l’abbé Pierre. Il y a eu de l’héroïsme, et il y a eu le plus grand nombre de personnes qui ne prenaient pas d’initiatives parce qu’elles ne voyaient pas ce qu’elles pouvaient faire. C’était le malheur de l’occupation. Mais c’est vrai que la hiérarchie, sauf deux évêques, ceux de Toulouse et de Tarbes, n’a pas parlé pour crier contre les crimes. Et c’est vrai qu’il est juste de le reconnaître, et d’avoir l’humilité de le dire. Il n’ont rien trahi, ils n’ont pas vendu des paroissiens, mais ils n’ont pas eu la force de risquer la mort pour sauver les autres».
L’Occident se déchristianise, dit-on, et le pape parle de l’urgence d’une «nouvelle évangélisation». Est-il sensible à ce thème?
«Je pense qu’il faut voir les choses dans leur universalité, répond l’abbé Pierre. La christianisation n’a jamais été ce qu’elle doit être. Pour moi, le moment dramatique pour le monde chrétien, c’est le moment où l’empereur Constantin a déclaré qu’il est chrétien, et fait du christianisme la religion de l’empire romain. Il y a évangélisation, mais elle s’est immédiatement confondue avec le pouvoir et l’argent».
«L’Empereur, constatant que l’empire se disloque, se décide à faire appel aux vertus chrétiennes, puisqu’il n’y a plus de vertus civiques. A partir de là commencent les confusions (...) Quand le pape parle d’une rechristianisation, bravo, mais soyons conscients du fait que la christianisation à venir ne peut pas être la répétition de la christianisation d’avant la crise actuelle, car ce n’est pas vrai qu’avant la crise actuelle, la communauté des chrétiens était la perfection évangélique (...) chercher à créer une société politique mélangeant le temporel et le spirituel, ce n’est pas l’évangile».

L’entente
islamo-chrétienne

Croit-il au défi de l’entente islamo-chrétienne au Liban? «C’est beaucoup plus à moi de vous poser la question, qu’à vous de me la poser, répond l’abbé Pierre. Je crois que c’est possible que vous reviviez avec la valeur qui a existé avant la guerre. Depuis le jour que vous avez été nation indépendante, vous avez été un modèle. Vous n’étiez pas des anges, pas de saints, vous aviez des difficultés politiques, c’est vrai; mais vous ne vous faisiez pas la guerre civile. Dans cette salade humaine où tout était rassemblé, vous donniez l’exemple. On disait Liban, pays de la paix, et vous avez pendant 40 ans prouvé que c’était possible de vivre ensemble, en se respectant, en s’estimant. Ne croyez pas que vous pourrez faire identiquement ce qui a été, mais vous pouvez tirer des leçons de ce que vous avez vécu. Cette parole que m’a dite un jour votre président, le général Chéhab, me revient. Il a dit: «Mes compatriotes, ils sont tous patriotes, mais ils ne sont pas citoyens». Il faut être citoyens, c’est à dire établir des lois qui soient valables pour tous ceux qui habitent une même patrie (...) N’hésitez pas à dire: ce que nous voulons, c’est la paix de Dieu, qui repose sur le respect et au moins un minimum d’amour. Mais ce n’est pas de Dieu qu’il faut attendre la paix temporelle. Là, comme dans tant d’autres choses, Dieu a dit à l’homme «Je t’ai créé intelligent, à toi de prendre tes responsabilités. La paix dont Jésus nous parle, c’est celle qui dépend de nous, c’est la contagion de la paix qui s’instaure dans le coeur de ceux parmi les citoyens qui veulent la paix».

Fady NouN
Egal à lui-même, alerte, pragmatique, ouvert à toutes les questions, exemplaire dans son respect de l’interlocuteur, l’abbé Pierre a rencontré hier la presse, au siège de l’Association d’entraide professionnelle (AEP), un organisme libanais pratiquant le micro-crédit membre d’Emmaüs international. Ce rassemblement présidé par l’abbé Pierre et partageant ses...