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Actualités - OPINION

Carnet de route Autocensures


Je suis comme tout le monde: mon surmoi, tous les jours de l’année, passe son temps à censurer mon moi, qui, à son tour, censure mon inconscient, lequel se défend, pendant mon sommeil, en me faisant rêver: des rêves, qui, même eux censurés, me laissent une impression de malaise au réveil. Et voilà que M. Mohammad Baalbaki, président du syndicat de la presse, proclame devant les micros son attachement à «l’autocensure» des journalistes, dont je fais partie, nolens volens. Dans une conversation téléphonique amicale, il m’explique qu’il serait désastreux de voir, par exemple, la profession insulter nommément des hommes ou des femmes qu’elle juge délictueux, et se mettre à dos des procès ou, pire peut-être, s’en prendre à des instances religieuses et spirituelles. De la présence amie, il ne fut pas question.
Parce que je suis une conformiste, et tenant à être en règle avec Dieu, je dirai ici tout le bien que je pense de Sa Béatitude monseigneur Nasrallah Sfeir, de la noblesse de pensée du cheikh Fadlallah, et de la personnalité remarquable du mufti de la République. Quant à l’insulte («moussabba») envers les uns et les autres, qui me ferait poursuivre par la magistrature, je m’en garderais tourjours, utilisant tout au plus la critique, si tant est que celle-ci soit acceptée. Et de la présence amie je ne penserai que du bien, surtout que la presse étrangère estime aujourd’hui qu’elle souhaite se «libaniser»(1). C’est toujours un honneur que de savoir son pays pris pour modèle. Je me dois de répéter que c’est avec toute la sincérité et le sérieux du monde que s’exprimait mon président, homme sympathique, raffiné, masquant sa grande habileté sous une naïveté artificielle.
Mais vous avez compris mon problème: l’accumulation de la censure que, je le répète tous les jours, m’imposent mes diverses instances psychiques(2), lesquelles font de moi ce qu’elles veulent, je pensais m’en libérer par l’écriture hebdomadaire de ce carnet de route amorcé il y a treize mois. Mais non, Baalbaki, ancien élève du cours d’éthique de Charles Malek, ne veut pas me laisser ce temps de respiration. Nous savons bien que, depuis notre naissance, nous, humains, vivons en liberté surveillée: les colères de Dieu et la fatalité de la mort y suffisent. Alors je vais m’autocensurer toutes les semaines un peu plus. Et quand je lis, comme hier, dans le journal qu’une délégation de hauts dignitaires musulmans s’est rendue chez Sa Béatitude le patriarche Sfeir et que ces chefs spirituels se sont tous accordés pour dénoncer «l’anarchie morale du pays» et préciser que le Liban «n’est en aucun cas une scène pornographique ou artistique» (sic), je le retiens et j’en rends compte sagement, bien que ce haut responsable de la presse lui-même ne puisse nier que ces augustes propos soient une insulte contre la patrie...

Amal NACCACHE

(1) Dans le sens d’une ouverture au commerce et aux affaires.
(2) J’ai égaré mon antique «Vocabulaire de la Psychanalyse», mais je ne crois pas trop trahir papa Sigmund.
Je suis comme tout le monde: mon surmoi, tous les jours de l’année, passe son temps à censurer mon moi, qui, à son tour, censure mon inconscient, lequel se défend, pendant mon sommeil, en me faisant rêver: des rêves, qui, même eux censurés, me laissent une impression de malaise au réveil. Et voilà que M. Mohammad Baalbaki, président du syndicat de la presse, proclame...