«Où vas-tu Nathalie?» demande sœur Raghida à la petite fille qui marche le long du couloir du bâtiment des douzièmes, un châle sur le bras. «Je vais remettre ce châle à sœur Georges qui l’a oublié chez nous.» «Fais-le vite et reviens immédiatement en classe», recommande sœur Raghida, responsable des douzièmes. Malgré cette recommandation sévère, la petite Nathalie n’est jamais revenue dans sa classe. Elle a franchi les quelques marches menant au bureau de sœur Georges, et elle s’est effondrée devant l’infirmière Nadine Béchir. Affolée, celle-ci l’installe aussitôt dans sa voiture et l’emmène à l’hôpital Saint-Charles où les médecins constatent son décès. Il est 12h10, ce jeudi 6 novembre, une date que ni la famille Debbas, ni l’école Notre-Dame de Jamhour n’oublieront de sitôt.
Pourtant, comme chaque matin depuis la rentrée des classes, la petite Nathalie a été déposée à l’entrée du bâtiment des douzièmes par le chauffeur de sa famille à 7h05. (Elle préfère cette formule car elle souhaite dormir un peu plus longtemps le matin, mais à la fin des classes, elle rentre chez elle en autocar). Elle a ensuite suivi son emploi du temps habituel et à 10h, accompagnée d’autres élèves des douzièmes et de la surveillante, elle a assisté à une réunion chez le recteur, le père Sélim Daccache. Celui-ci avait voulu rencontrer les élèves élus délégués de leur classe et Nathalie, très éveillée et joviale, en faisait partie. Un film vidéo de la rencontre a d’ailleurs été tourné et la petite Nathalie y apparaît très souriante mais un peu pâle. Au cours de la réunion, elle a d’ailleurs répondu à une question du recteur sur le rôle d’une déléguée qui est «d’aider les autres et de veiller à la propreté de la classe».
A 10h45, Nathalie entre dans la salle des diapos, située face à sa classe, et y reste jusqu’à 11h20. De 11h30 à 12h04, elle réintègre sa classe pour assister au cours de catéchèse donné par sœur Georges. Et à 12h05, le drame se produit. C’est du moins la version de l’école, car la famille de la petite soutient de son côté que rien ne prouve que Nathalie ait assisté à la séance de diapos et au cours de catéchèse... Et cette affirmation montre l’étendue du drame, puisque c’est à partir de l’emploi du temps de la petite que l’on pourra essayer de trouver le coupable de ce crime horrible. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Une fois arrivée à l’hôpital, la petite est prise en charge par le pédiatre réanimateur, le Dr Fadlallah Nassif, qui constate aussitôt le décès. Mais tout en examinant la petite, il aperçoit des traces évidentes de sévices sexuels, notamment sur son anus. Les parents n’ayant pas encore eu le temps d’arriver, à cause de l’embouteillage, il alerte les responsables de l’école qui se trouvent sur place et procède aux examens de sang nécessaires. Selon des sources proches de l’école, le Dr Nassif suggère la convocation d’un médecin légiste afin qu’il procède à une autopsie. Et il écrit dans son rapport que les parents qui étaient arrivés en compagnie du Dr Elian (l’oncle maternel de la mère de Nathalie) refusent cette suggestion.
Toujours dans son rapport, le Dr Nassif précise qu’il s’agit d’agressions sexuelles répétées, non récentes, puisqu’il n’a observé aucune trace de sang ou d’un quelconque liquide sur les parties génitales de la petite. Mais il a constaté que son foie était dilaté (peut-être à la suite de l’absorption d’une forte dose de barbituriques). Selon lui, les abus sexuels ne sont pas la cause directe du décès, et il émet plusieurs hypothèses qui auraient pu provoquer l’arrêt cardiaque. A l’école, certains responsables affirment que Nathalie arrivait tous les matins enjouée et éveillée, mais à partir de 11 h, elle devenait apathique. Comme c’est sa première année à Jamhour, l’école n’avait pas eu le temps de bien la connaître d’autant que depuis le 3 octobre, date de la rentrée des classes, elle s’était absentée 4 jours pour angine et une fois, elle a été prise de vomissements et elle a dû être ramenée chez elle par sa mère. L’école est catégorique, la petite n’a pas pu disparaître dans la journée, le bâtiment des douzièmes étant bien gardé et il n’y a aucun homme dans les parages, vingt femmes s’occupant des élèves, sous la houlette de sœur Georges. Il y en a même une dans les toilettes, qui n’intervient toutefois qu’à la demande de l’élève.
La version de la famille
La famille de l’enfant a, elle, une tout autre version des faits. Selon elle, Nathalie était en parfaite santé. Elle était joviale et éveillée. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder la vidéo tournée ce sinistre 6 novembre au cours de la réunion des délégués des douzièmes avec le recteur. «A 10h45, elle était encore pleine de vie, s’écrie la mère. Que s’est-il passé pour qu’elle meure à 12h05?»
Dans les couloirs du palais de justice de Baabda, la mère, les yeux rougis par les larmes, ressasse en permanence les éléments en sa possession. Elle se base essentiellement sur le rapport du médecin légiste, le Dr Wagih Tabbarah, qui a procédé à l’autopsie de l’enfant à l’hôpital Rizk, le lendemain du drame, à la demande des parents. Dans son rapport, le Dr Tabbarah précise que la petite a été victime d’agressions sexuelles et de viol qui ont provoqué son décès. Selon lui, les sévices remonteraient au plus tard à 24h. Interrogée par l’avocat général, Mme Debbas aurait précisé qu’elle s’occupait très consciencieusement de sa fille et que c’est elle qui lui donnait le bain et lui retirait ses vêtements, tous les soirs. Elle aurait aussi affirmé n’avoir rien constaté d’anormal sur son corps, ni dans son comportement.
Faisant les cent pas devant la porte de l’avocat général, Mme Debbas ne comprend pas comment on a pu mettre son mari en garde à vue. «Comme si ce n’était déjà pas assez terrible de perdre son enfant et de savoir qu’elle a été violée...», se lamente-t-elle. Mme Debbas, ainsi que son mari et sa domestique philippine ont été interrogés séparément par l’avocat général. Et ce dernier aurait constaté, selon certaines sources, que la domestique s’est reprise plusieurs fois, disant tantôt que c’était elle qui déshabillait la petite, pour dire ensuite que c’était la mère qui le faisait. Ayant ainsi décelé des contradictions dans sa déposition, M. Zakhour aurait décidé de la placer en garde à vue pour recel d’informations et faux témoignage. Ce fut la première mise en examen. M. Zakhour a ensuite décidé d’entendre une seconde fois le père et à la fin de cet interrogatoire, ce dernier est sorti du bureau du magistrat les menottes aux poignets. Direction, la maison d’arrêt.
Selon un avocat proche de la famille, l’affaire s’est politisée et il y aurait eu de nombreuses pressions, afin de trouver un bouc émissaire, puisque l’opinion publique est très mobilisée pour cette histoire tragique. Le même avocat précise qu’il ne veut pas accuser l’école, mais si l’on veut décharger celle-ci de toute responsabilité, pourquoi avoir choisi de mettre le père en garde à vue? «Il y a d’autres hommes dans l’entourage de la petite...», ajoute-t-il. Le juge d’instruction, M. Fawzi Dagher, étudiera sans doute toutes les hypothèses, mais l’enquête s’annonce particulièrement difficile.
Pourtant, la situation se résumerait ainsi: deux rapports médicaux contradictoires, deux parties, l’école qui doit préserver sa réputation et la famille effondrée, encore sous le choc de la tragédie et de ses conséquences, et entre les deux une petite fille morte à la suite d’une horrible agression. Il est impératif de faire toute la lumière sur cette affaire, pour Nathalie d’abord, pour sa famille, notamment son petit frère, et pour son école aussi, mais surtout pour ces innombrables enfants victimes d’abus sexuels et dont on ignore tout.
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